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(Reportage) A Kolda, la jeunesse recherche la clé de sa survie dans les deux roues ou dans les affres de l’immigration clandestine

Certains jeunes qui n’ont subi aucune formation professionnelle ; d’autres contraints, après l’obtention du baccalauréat, à surseoir aux études universitaires et à se muer en conducteurs de motos Jakarta ou à braver les affres de la mer dans l’espoir risqué de rallier l’Europe ; le tout teinté d’un dur désir de tirer du trou leurs parents à la mémoire balafrée par la dépense quotidienne. Tel est le tableau ombrageux de Kolda.

Dans le cadre de ses reportages sociétaux, Actusen.sn a fait une descente, dans cette partie Sud du Sénégal, où l’espoir de toute une jeunesse s’est éteint. Ou presque ! 

Des témoignages recueillis par des conducteurs de motos Jakarta, à ceux des autres acteurs de la vie active, en passant par les confidences des autorités administratives, l’on est parcourus de frissons. 

Tous sont unanimes. Le manque de formation et de compétences noté chez les jeunes, est, entre autres, les causes inhérentes de ce chômage qui étrangle la région du Fouladou. Et l’enfonce de jour en jour au fond de l’abîme. Reportage !!!

Kolda est une région située dans le Sud du pays, à 688 km de Dakar, capitale du Sénégal. Avec une population estimée à plus de 65.000 habitants.

Il est 10 heures, ce jeudi 21 décembre 2017, au centre-ville. En ce début de matinée, l’ambiance n’est pas encore au rendez-vous. Malgré la préparation des fêtes de fin d’année, les choses ne semblent pas bouger. Peu de gens sont visibles dans les rues.

Sur la route nationale, on tombe nez-à-nez sur une dispute entre femmes en partance pour le marché. Leurs échanges de propos sont noyés par les klaxons des motos Jakarta.

Dans cette localité, le chômage est le mal, dont souffrent la plupart des jeunes. Et cette situation devient inquiétante pour la population.

Pour essayer tant bien que mal de sortir la tête de l’eau, tous les jeunes de la ville se sont orientés vers un business. Un seul. Ou presque. Le business du transport en motos Jakarta. Mais ce n’est pas de tout repos pour ces derniers qui décrient les nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés.

“Notre problème, ce sont les agents de sécurité de proximité (Asp)”

A Kolda Commune, les conducteurs de motos Jakarta n’ont pas de place de stationnement pour guetter d’éventuels clients. Ils sillonnent les rues de la ville pour en trouver. Ce qui ne leur facilite pas la tâche, car leur faisant gaspiller de l’essence.  Certains même souffrent le martyre pour compléter la somme de leur versement estimée à 2000 F Cfa, par jour. A cause, surtout, des contrôles répétitifs des Agents de sécurité de proximité (Asp).

Et ce n’est pas ce conducteur qui va nous démentir. Agé d’une vingtaine d’années et trouvé à côté du marché, avec sa moto, un jeune homme sanglé dans une tenue noire sur du blanc, nous explique avec tristesse les difficultés rencontrées par ses camarades.

«Ici, à Kolda, il n’y a pas d’emplois et on a que les motos Jakarta pour pouvoir aider nos parents à sortir de la précarité. Mais on ne peut pas faire notre travail correctement, à cause des Asp, qui nous arrêtent pour nous demander des permis de conduire», déplore-t-il sous le couvert de l’anonymat.

Asp : «On n’a jamais arrêté un conducteur de moto pour lui demander un permis de conduire. Mais vu que les accidents sont nombreux, on les oblige à porter des casques. Et c’est pour leur sécurité»

Concernant l’arrestation de certaines motos que les conducteurs déplorent, un agent de sécurité de proximité apporte des éclaircissements. Tenue complète et sifflet à la main, un Asp, sous le couvert de l’anonymat, rejette l’idée, selon laquelle les motos sont souvent immobilisées pour contrôler si leurs conducteurs ont ou non des permis.

«On n’a jamais arrêté un conducteur de moto pour lui demander un permis de conduire. Mais vu que les accidents sont nombreux, on les oblige à porter des casques. Et c’est pour leur sécurité», se dédouane l’Agent.

Les jeunes qui, pour la plupart ont obtenu le baccalauréat, n’ont pas eu de formation professionnelle

Outre ces raisons, Abdou, Vigile trouvé dans un hôtel de la place, évoque un manque de formation. Et ce fait qui est peu banal, dit-il, peut justifier les raisons, pour lesquelles les jeunes peinent à trouver un emploi.

«La plupart des conducteurs de motos Jakarta ont déjà leur baccalauréat ou leur Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Et c’est par manque de formation professionnelle qu’ils (Ndlr : les jeunes) ne peuvent pas être insérés dans un secteur de l’emploi», a-t-il expliqué.

Dans la foulée de son argumentaire, l’homme marque une petite pause, histoire de finir sa tasse de thé qu’il avait à la main. Puis, il se redresse et tire sa chaise pour mieux disserter sur le sujet.

Poursuivant, le vigile considère ce manque d’emploi comme une des principales causes de l’immigration clandestine, dans la capitale du Fouladou.

«Le manque de qualification et de spécialité rend ces jeunes inaptes à avoir des boulots décents. De même, ils se sentent mis à l’écart par les autorités de cette localité qui ne font rien pour les sortir de ce gouffre.

La seule usine, qui leur permettait d’avoir un métier, ne fonctionne plus. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre eux empruntent la voie illégale pour rallier l’Europe. Et en sont malheureusement morts», ajoute Abdou.

Assane : “je ne peux plus continuer mes études supérieures, les conditions difficiles que vit ma famille ne me permettent pas d’aller à l’Université”

La pauvreté que vit, actuellement, la population a aussi des conséquences sur l’avenir des jeunes. Les parents, qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts, sont plus préoccupés par les dépenses quotidiennes et ne contrôlent plus l’éducation de leurs enfants. Et c’est ce qui a poussé bon nombre de ces derniers à tourner le dos à l’école.

C’est le cas de Assane, un étudiant orienté à la Faculté des Lettres et Sciences humaines à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Venu avec sa moto, pour chercher un client dans un hôtel, Azou, comme l’appellent ses camarades, a l’air fatigué.

En attestent ses yeux rougis et qui trahissent un manque de sommeil. Selon lui, les conditions difficiles que vit sa famille ne lui permettent pas d’aller à l’Université.

«Je suis un nouveau bachelier, je suis orienté à la Faculté des Lettres de l’Ucad, mais je ne suis pas prêt à aller à Dakar pour poursuivre mes études supérieures. Là-bas, la vie est trop chère et je n’ai pas de famille proche qui puisse m’héberger», a-t-il déclaré.

Aussi, Azou se dit-il prêt à se débrouiller pour sortir de cette situation. Et tirer sa famille du trou, dans lequel la vie en panne sèche la maintient. Sur ce, il a décidé d’acheter une moto Jakarta, pour vaincre le signe indien de ses parents : les dépenses quotidiennes.

Autre jeune, autre rêve avorté. Ou du moins, pour l’instant ! «Mon objectif était de faire une formation dans les écoles supérieures privées. Mais puisque je n’ai pas encore les moyens, je préfère rester à Kolda avec ma moto pour essayer d’épargner une petite somme et d’aller poursuivre mes études», rapporte notre interlocuteur.

«Nous rencontrons d’énormes problèmes… Si je continue à vivre dans la précarité, je prendrai la mer»

Trouvé dans son lieu de travail, en t-shirt de taille XXX, pantalon kaki, Ameth Sow, le visage sali par la poussière qui règne en cette période, est devenu sculpteur, depuis des années.

Entouré de certains de ses camarades, ses outils de travail à la main et des chaises et bancs déjà fabriqués à côté de lui, il répond, avec dépit, à nos questions axées sur le chômage.

«Nous rencontrons d’énormes problèmes pour vendre nos produits et les clients, qui viennent nous voir, nous payent de vils prix, qui ne peuvent même pas assurer les dépenses quotidiennes de notre famille», déclare-t-il, avec tristesse.

Toutefois, pour faire face à cette difficulté, Ameth Sow n’a pas décidé d’attendre l’aide des autorités. Il préfère plutôt prendre la mer pour rallier l’Europe. Quel que soit le prix à payer.

«Je suis marié et père de deux enfants. J’ai perdu mon père, il y a de cela des années, et je vis seul avec ma mère à la maison. Donc, si la situation ne change pas, je suis obligé de prendre la mer. Quitte à sacrifier ma vie dans l’Océan», narre-t-il.

 Le Gouverneur de Kolda : “avant de réclamer un emploi, il faut d’abord avoir une formation” 

Au sujet de l’inquiétude des jeunes et de leurs parents à trouver un emploi décent dans la ville de Kolda, le Gouverneur de la localité dégage toute responsabilité de l’Etat. En effet, selon lui, le problème majeur des jeunes est le manque de formation.

«Ici, à Kolda, les jeunes demandent souvent de l’emploi, alors qu’ils n’ont pas été formés», se désole le représentant de l’Exécutif. Pour autant, indique-t-il, «avec la Division régionale des transports terrestres, nous les encadrons en termes de conduite et d’obtention des permis de conduire pour les aider à bénéficier de l’expérience dans un secteur».

Debout comme un seul homme, les jeunes de Kolda ne veulent continuer à exercer ce métier de moto Jakarta. Ils demandent des usines pour faire émerger leur terroir. La promesse des autorités étatiques, lors de l’élection présidentielle de 2012 et des Législatives d’aider les jeunes à trouver de l’emploi, n’est toujours pas tenue.

En attendant, ils accrochent leurs derniers espoirs sur l’arrivée de certains bus de marque Tata dans la ville, car si l’on en croit Abdou, «les routes sont en train d’être réfectionnées et après cette étape, on aura l’occasion de bénéficier des bus de marque Tata qui vont faciliter le déplacement des populations mais nous aider aussi à avoir un peu d’emploi».

Mansour SYLLA, Envoyé spécial à Kolda (Actusen.sn)

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