Contribution

Billet sur le franc CFA : entre nazisme monétaire et servitude volontaire par Seydina-Ousmane Dramé, Juriste-le 25 août 2017

Je viens donc joindre ma modeste voix au mouvement anti CFA. Le franc CFA est un obstacle au développement économique des pays de la zone franc. Après m’être documenté sur la question, voici, de manière synthétisée, les arguments que je trouve les plus pertinents à même de justifier sa réforme ou sa suppression pure et simple. Je profite aussi de la circonstance pour rendre un hommage mérité à nos sœurs et frères qui mènent ce noble combat, mention spéciale à KEMI SEBA.

La coopération monétaire, soit elle sert à quelque chose, soit elle ne sert pas à grand-chose. Nous n’en voyons la pertinence que si elle participe au développement. Après les indépendances, on nous a fait miroiter la possibilité d’aller plus vite dans la marche vers le développement en déléguant la gestion de notre monnaie à la France.

Quel est donc l’état des lieux après plus de « 60 ans d’indépendance » et de dépendance monétaire? Jetons un coup d’œil sur le classement 2016 établi par le PNUD : la France occupe le 21e rang mondial selon l’IDH. Mais ceux qui sont au bas de l’échelle ce sont les pays de la zone franc CFA. Et si on prend le PIB/hab., en 1960 celui de la Corée du Sud était de 690 dollars et pour des pays comme le Cameroun 736 dollars, le Tchad 685 dollars, la Centre Afrique 805, etc. Ces pays étaient loin devant la Corée du Sud. Aujourd’hui, le PIB de la Corée du Sud est de 32 000 dollars par tête contre 750 dollars pour la Centre Afrique.

Certes, la monnaie n’est pas l’Alpha et l’Omega de l’économie, mais elle n’est pas neutre. Or les pays de la zone franc sont privés de l’outil monétaire. Par exemple, les USA après les attentats du 11 septembre 2001, ont fait baisser le dollar pour favoriser leurs exportations et le consommer local. On appelle cela le protectionnisme monétaire. Avec la parité fixe, nous sommes privés de cette marge de manœuvre devant d’éventuelles conjonctures.

Au niveau de la zone franc, les unions monétaires sont ainsi organisées : la Conférence des chefs d’Etats, le Conseil des ministres et les trois banques centrales. La Conférence des chefs d’Etats est l’organe suprême qui prend les décisions à l’unanimité officiellement mais officieusement, la France tire les ficelles.

Explications : Le franc CFA est un produit français, créé par décret n° 45-0136 du 25 décembre 1945 du Général De Gaule. Il appartient par définition à la France (hier, franc des colonies françaises d’Afrique, aujourd’hui, coopération financière d’Afrique). C’est pour cela d’ailleurs que la France a décidé de manière discrétionnaire de sa dévaluation en 1994. En ce temps-là, il y a eu des réactions des chefs d’Etat africains parmi lesquels feu Gnassingbé Eyadema du Togo (1935-2005) qui avait vivement contesté. Il n’était pas le seul d’ailleurs mais cela, évidemment, n’a servi à rien. Les voix africaines n’ont pas compté pour grand-chose dans la décision parce que c’est la France qui décide. Robert Julienne qui a été le gouverneur de la BCEAO de 1962 à 1974 a dit à ce propos « c’était pour ajouter la dernière touche de la néocolonisation ».

Donc retenons qu’au niveau de la tête, il y a la Banque de France et les trois banques centrales : la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest), la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale) et la BCC (Banque Centrale des Comores) qui littéralement sont les filiales de la Banque de France. Au niveau de ces trois banques centrales, des français siègent au Conseil d’administration. Le Conseil d’administration est l’instance de décision au sein d’une structure. Les banques centrales sont ainsi composées : la BEAC a 14 administrateurs dont deux français (6 pays, deux administrateurs par pays), au niveau de la BCEAO (huit membres, 18 administrateurs dont deux français). Et à la BCC, huit administrateurs dont quatre français.

On pourrait dire, en se fiant au nombre, que les français y sont largement minoritaires. Soit, mais ils ont le droit de véto. Par exemple, dans les Comores, si le Conseil d’administration souhaite se réunir, il faut au moins six administrateurs. Si l’ordre du jour n’intéresse pas les français, ils feront simplement la politique de la chaise vide pour bloquer toute prise de décision.

Donc, c’est une monnaie dont la gestion nous échappe, sans compter les conséquences délétères que son usage a sur nos économies.

Le premier problème que pose le franc CFA est la faible part du commerce intra régional. Plus de soixante-dix ans après la création du franc CFA, la part du commerce intra régional est toujours inférieure à 15% dans nos pays, contre plus de 60% dans la zone euro. Or il n’y a pas de raison quand on n’échange pas assez de partager la même monnaie.

Le deuxième problème est le défi de la compétitivité. Des économies faibles comme les nôtres sont rattachées à une monnaie forte comme le CFA qui est en arrimage fixe avec l’euro, l’une des monnaies les plus fortes au monde. Cela agit comme des subventions sur nos importations et des taxes sur nos exportations. Cela fait qu’on a des balances commerciales structurellement déficitaires.

Nous avons l’impression d’être riches lorsque nous avons une monnaie forte. Alors au lieu de produire nous-même ce dont nous avons besoin, nous sommes tentés d’importer ce que les autres produisent. Et quand nos producteurs, de coton par exemple, veulent exporter, ils sont obligés d’utiliser le dollar qui est la monnaie internationale des échanges. Or, cette dernière est faible par rapport à l’euro. Nous avons des coûts de production en euro-CFA mais nous vendons en dollar. C’est ce qui fait que nous n’arrivons jamais à dépasser la zone de coût fixe. Donc nous ne pouvons pas être compétitifs.

Le troisième défi est le sous financement chronique des économies de la zone CFA. Le ratio crédit sur PIB est de 23 %. Ce ratio indique le degré de liquidité d’une économie. C’est-à-dire que les banques ne prêtent pas assez. Et quand on compare avec l’Afrique du Sud qui a un ratio de 150% ou même avec la zone euro où elle est supérieure à 100%, on réalise que les économies de la zone franc sont des économies presque de troc. L’argent n’y circule pas assez. Et même si on ouvrait, les vannes du crédit, comme nous importons beaucoup parce que nous produisons très peu, cela ferait fuir les devises. A un moment donné, nous ne pourrions plus supporter le taux de change entre le CFA et l’euro. Et il faudrait dévaluer.

4 Et le quatrième écueil est lié au troisième. Par paresse intellectuelle ou par pusillanimité ou je ne sais quoi, nous avons choisi d’avoir des politiques monétaires de pays riches notamment des pays de la zone euro. C’est à dire qu’il n’y pas une ambition de croissance économique affirmée. Tout ce que nous faisons c’est de l’arrimage. C’est pour cela que Kako Nubukpo (1960–, économiste béninois, Directeur de la francophonie économique et numérique à l’OIF) parle de « servitude volontaire ».

Cela révèle une certaine incohérence des politiques publiques. On a cédé à la tentation de facilité qui consiste à se réfugier derrière l’euro et à s’interdire une réflexion endogène sur la manière dont on peut utiliser les leviers économiques notamment le budget et la monnaie pour financer l’économie et promouvoir la croissance. Cette politique de l’autruche nous est fortement préjudiciable parce qu’à long terme nous ne pourrons pas garder une monnaie forte. Quand le secteur réel s’effondre comme c’est cas dans nos économies, que nous ayons beaucoup de réserves de change ou pas, n’y changera rien. Elles finiront par s’amenuiser d’elles-mêmes et il faudrait dévaluer à un moment donné. Au-delà de la question identitaire et celle de souveraineté, la problématique du franc CFA relève du bon sens. Il pose de réelles difficultés à nos économies.

A qui profite le Franc CFA ? : à la France bien évidemment qui s’octroie nos matières premières qui sont des biens réels et n’a que la peine de nous payer avec la monnaie qu’elle fabrique elle-même. Elle détient aussi 50 % parfois plus de nos réserves de change qu’elle a le loisir de placer à sa guise.

En Afrique, le franc CFA bénéficie essentiellement aux riches et à la classe moyenne urbaine. Parce qu’ils ont une consommation extravertie, c’est-à-dire qu’ils achètent des biens importés. Ils ont aussi « le luxe » de pouvoir déposer leurs ressources au sein de la zone euro. Cependant 75% de la population de la zone franc est rurale (comme Malcom X, appelons-les nègres des champs histoire de dessiner une allégorie) et cette population a besoin d’une monnaie faible pour pouvoir s’équiper, exporter et avoir un niveau de vie décent. Le franc CFA est la monnaie des élites. C’est pourquoi une partie d’entre elles (les nègres de maisons) la défendent bec et ongles.

Il a y deux types de solutions qu’on peut faire pour endiguer les méfaits du franc CFA : des solutions d’urgence à court terme dans la logique d’une réforme et une solution finale à long terme après une large concertation.

Concernant les solutions d’urgence :

  • il faut arrimer le franc CFA à un panier de monnaies pour lui assurer une plus large convertibilité.
  • il faut que les trois banques centrales aient le même franc CFA pour favoriser les échanges intra régionaux.

Ces solutions d’urgence ne seraient qu’une transition vers l’indépendance monétaire qui est la suppression pure et simple du franc CFA et la création d’une monnaie africaine à la place.

En tant que citoyens africains nous n’avons pas le droit de garder le silence. Nous avons le devoir de partager l’information et de critiquer sans relâche ce système monétaire inique jusqu’à ce que le sort soit brisé.

Notes.

1 L’Afrique doit osez être indépendant pour de bon et briser toutes les chaînes du néocolonialisme. Oui, l’audace de l’indépendance monétaire ici et maintenant hic et nunc ! Avec nos erreurs et nos lacunes, au lieu d’attendre que d’autres Etats souverains à la même enseigne que nous décident du sort de notre monnaie. La dépendance monétaire est une voie sans issue. Avec les critères de convergences, nous avons des balances commerciales structurellement déficitaires. Tôt ou tard, ils vont nous imposer d’autres dévaluations à nos dépens. « Aucun pays africain n’émergera avec le F CFA » – Nicolas Agebohou.

2 Si les Africains ne peuvent pas avoir leur propre monnaie et la gérer, s’il y a une réelle nécessité de la confier à une puissance étrangère, alors tout espoir est perdu pour le développement. Que peut-on attendre de pays incapables de gérer leur propre monnaie face aux défis de plus en plus complexes du développement ?

  1. La monnaie relève du domaine de la loi. Les peuples d’Afrique ou leurs représentants n’ont jamais étaient consultés pour l’adoption du franc CFA. Donc juridiquement parlant, c’est une monnaie anticonstitutionnelle.
  2. Ce n’est pas la peine de vandaliser, de déchirer ou de brûler des billets de banque même en guise de geste symbolique. Ce n’est pas responsable à mon humble avis. Pour l’instant, c’est la seule monnaie dont nous disposons. Nous vivons dans des pays pauvres. Un billet de banque peut toujours soulager le malheur de quelqu’un. Les plus grandes batailles se gagneront avec la force des idées et du militantisme. L’excès et le fanatisme ne feront que nuire au combat.
  3. Intéressons-nous à la question du franc CFA. C’est une question grave. Il y va de l’avenir de nos économies. Sensibilisons nos parents, nos amis, partageons tout ce que nous avons sur le sujet : livres, articles, vidéos etc., au point qu’elle devienne une exigence de l’électorat africain et que ceux qui vont briguer des mandats désormais incluent sa réforme puis sa suppression dans leur programme.

Annexes

Ce texte est de René Sédillot (1906-1999) juriste, journaliste et historien économique français. Il décrie le système monétaire que l’Allemagne nazie avait installé dans ses colonies:

« Avec les siècles les formes de pillages sont devenues plus savantes. Les anciens germains dévastaient en toute simplicité les pays qu’ils avaient conquis. Leurs descendants en 1940 ont recouru à une méthode de rapine plus subtile et plus fructueuse. Ils ont mis le mark à 20 franc. Déjà dans les territoires qu’ils avaient occupés en Europe, les allemands victorieux avaient assigné au Reich une valeur et un pouvoir d’achat fort avantageux. Ils avaient fixé son équivalent à 1,5 schilling en Autriche, à 10 couronnes en Bohème etc. …En France les premiers soins des autorités d’occupation ont été d’arrêter un rapport monétaire pareillement rémunérateur. La parité de 20 franc choisi et imposé par les vainqueurs n’est autre que l’expression d’une politique délibérément punitive à l’encontre de la France défaite et pour le seul bénéfice de l’Allemagne. En s’octroyant un pouvoir d’achat exorbitant en pays conquis, les envahisseurs allemands s’assuraient une facile exploitation de toutes les richesses locales ingénument. Certains français admirèrent la correction de ces soldats qui ne volaient rien et des boutiquiers se réjouirent de trouver en eux des clients qui payaient sans marchander. Ils tardèrent à comprendre qu’à l’abri d’une ingénieuse stratégie monétaire, les occupants pouvaient les dévaliser indéfiniment et transférer à bon compte, de la France en Allemagne, indûment ses réserves de valeurs réelles. Longtemps en effet, l’opinion abusée confondit les occupants allemands avec des touristes. Ceux-là comme ceux-ci ne s’acquittaient-t-ils pas en monnaie légale ? Ils n’avaient que la peine de recevoir ou de fabriquer ce papier et de le remettre contre livraison de marchandises. Le mark à 20 franc qui doublait pour le moins le pouvoir d’achat des allemands assuraient l’enrichissement automatique du Reich et l’appauvrissement automatique de la France. Il montrait comment au prix d’une habileté monétaire, une guerre victorieuse pouvait devenir une guerre payante ».

Maintenant si on remplace l’Allemagne par la France, la France par les Pays africains de la zone franc, on voit nettement pourquoi le professeur Nicolas Agebohou assimile le franc CFA à du nazisme monétaire.

« Avec les siècles les formes de pillages sont devenues plus savantes. Les anciens colons français dévastaient en toute simplicité les pays africains qu’ils avaient conquis. Leurs descendants actuels, en 1945, ont recouru à une méthode de rapine plus subtile et plus fructueuse. Ils mirent leur monnaie hier à 100 f CFA puis 656,950 f CFA dans les territoires habités majoritairement par les peuples noires qu’ils avaient occupaient en Afrique, aux Antilles et dans l’Océan pacifique. Les français victorieux avaient assigné au franc français une valeur et un pourvoir d’achat fort avantageux. Ils avaient fixé son équivalent à 100 f CFA en Afrique, dans la Polynésie française, partout ce taux correspondait à une appréciation exagérément flatteuse de la monnaie française. La parité de 100 f CFA hier et 655,9 f CFA aujourd’hui, choisi et imposé par les vainqueurs français n’était l’expression que d’une politique délibérément punitive à l’encontre des pays africains de la zone franc CFA défaits et au seul bénéfice de la France. En s’octroyant un pouvoir d’achat exorbitant en pays africains conquis, les envahisseurs s’assuraient de l’exploitation de toutes les richesses locales africaines ingénument. Certains africains admiraient la correction de ces français expatriés appelés des coopérants qui ne volaient rien. Et des boutiquiers se réjouirent de trouver en eux des clients qui payaient sans marchander. Ils tardèrent à comprendre qu’à l’abri d’une stratégie monétaire, les français pouvaient les dévaliser indéfiniment et transférer à bon compte des Pays de la zone franc en France, indûment, ses réserves de valeurs réelles, c’est à dire les biens. Longtemps en effet, l’opinion africaine abusée confondit les coopérants français civils et militaires avec les touristes français, ceux-là comme ceux-ci ne s’acquittaient-t-ils pas en monnaie légale? Mais les touristes avaient acheté leurs francs CFA avec des devises. Les coopérants français payaient avec des devises qu’ils avaient émis eux-mêmes par le billet de leur Etat. Ils n’avaient que la peine de fabriquer ou de recevoir ce papier et de le remettre contre livraison de marchandises. La monnaie française hier à 100 f CFA et aujourd’hui à 655 f CFA qui multiplie par 13 le pouvoir d’achat des français, assure encore aujourd’hui l’enrichissement automatique de la France et l’appauvrissement automatique des Pays africains de la zone franc. Il montrait comment au prix d’une habileté monétaire, une guerre coloniale victorieuse peut devenir une néocolonisation payante.

Seydina-Ousmane Dramé, Juriste

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