Jour de vérité

DECHARGE DE MBEUBEUSS : « L’ETAT N’A PAS TENU SES PROMESSES »

Le 22 décembre 2016 a été un jour tragique pour les récupérateurs d’ordures  de Mbeubeuss. Un violent accident, dont la cause n’est pas jusqu’ici élucidée, avait fait, au moins, deux morts. Après le drame, les autorités administratives, qui y avaient massivement fait le déplacement, n’ont jamais tenu les promesses faites, à l’époque, aux victimes, selon El Hadji Malick Diallo, le Président de l’Association des «Boudiouman».

Et, comme si cela ne suffisait pas, nos gouvernants ne leur avaient remis que la modique somme de 200.000 FCFA. Alors qu’au détour d’un incendie où aucune perte en vie humaine n’a été enregistrée, l’ancien Président Abdoulaye Wade avait offert 10 millions F Cfa aux sinistrés. 

Mbeubeuss a été implanté à Keur Massar dans les années 70. Il compte trois plateformes, qui s’étendent sur plusieurs kilomètres carrés. Où sont érigés «Darou Salam», « Wembley » et «Yémen». Le dernier nommé, d’où s’échappe la fumée, comme à Sanaa, en proie aux bombardements des alliés saoudiens, est l’endroit le plus dangereux. Car les incendies y sont très fréquents.

«Darou Salam» et «Wembley» sont aussi redoutables. C’est là où il y a plus de fumée, d’odeurs et de poussières, au point qu’on y enregistre les plus nombreux cas d’infections respiratoires aiguës et de dermatose. Plusieurs accidents de camions ont été également relevés sur l’étroite route, qui mène aux différentes plateformes.

Mais selon que l’on est à «Darou Salam», «Wembley» ou au «Yémen», l’on partage un dénominateur commun : la souffrance mutilante. Les journées à Mbeubeuss sont rythmées par le défilé incessant des camions de ramassage des ordures. Au fur et à mesure qu’on s’y approche, une odeur de plus en plus insupportable accueille le visiteur.  Le chemin est bordé de tas d’immondices. Par-ci et par-là, des hommes et des femmes s’affairent au triage. Ils sont apparemment dans leur élément. Mais gare à celui qui se montre trop indiscret.  Les «Boudiouman» n’aiment pas trop le regard des intrus. Surtout qu’ils ont du mal à avaler cette amère pilule des promesses non tenues de l’Etat.

Après la compassion, place à l’oubli

Toute l’attention de la République était braquée sur cet endroit atypique, après l’incendie survenu le 22 décembre 2016 et qui avait emporté deux personnes. Au moins !  Abdoulaye Diouf Sarr, qui fut le ministre de tutelle, au moment du drame, avait fait le déplacement pour s’enquérir de la situation. El Hadji Malick Diallo, dit Aladji Bankhass, révèle que le ministre Abdoulaye Diouf Sarr avait même promis de les recevoir.

Aussi, ont-ils avaient cru à cette promesse. Mais erreur ! Car cet engagement aura fondu comme beurre au soleil. «Jusqu’au moment où l’on parle, cette audience n’a jamais pu avoir lieu», souligne-t-il. Pis, «les récupérateurs jugent dérisoire la somme de 200.000 F Cfa que l’actuel ministre de la Santé leur avait remis. Ils estiment que lors d’un incendie qui n’avait pas fait de victime, l’ancien Président de la République, Maitre Abdoulaye Wade, leur avait remis 10 millions F Cfa.

Entre labeurs et souffrances

Les «boudiouman» de Mbeubeuss se sentent mal de savoir que plusieurs millions leur passent, chaque jour, sous le nez, malgré leurs souffrances et leurs efforts. Une étude publiée en 2005, révélant que la décharge génère, chaque jour 25 millions de francs, a fini d’entamer leur moral. Cette importante manne financière provient d’un dur labeur. Les récupérateurs (des jeunes, des femmes et des enfants) transportent leur collecte à l’aide de charrettes, de brouettes, mais aussi de leur tête.

Après une longue procédure de triage, ils écoulent leurs produits à d’autres acteurs. Selon El Hadji Malick Diallo, le Président de l’Association des «boudiouman» de Mbeubeuss, ces « semi-grossistes » se sucrent sur leur dos, puisqu’ils gagnent plus d’argent que ses camarades qui sont sur le terrain. Aladji Bankhass, comme il est communément appelé sur les lieux, renseigne qu’il y a même des entreprises qui engagent des récupérateurs qui leur vendent les produits collectés.

Aspirations pour un meilleur devenir

Mbeubeuss est devenu un site très convoité, qui intéresse même les Chinois. N’empêche, les «Boudiouman», qui se sentent abandonnés à eux-mêmes, aspirent à de meilleures conditions de vie. Les revendications des récupérateurs tournent autour de trois axes. Premièrement, ils sollicitent du Gouvernement qu’il mette à leur disposition une à deux citernes d’eau, pour lutter contre les incendies.

Deuxièmement, ils pensent qu’il faut identifier les personnes, qui entrent et qui sortent de la décharge pour qu’à l’avenir, on puisse avoir un bilan exhaustif, au cas où il y aurait un nouvel incendie.

Troisièmement, El Hadji Malick Diallo et ses amis récupérateurs de l’Association disent payer des impôts à l’instar des entreprises.  Par conséquent, ils revendiquent le droit d’être soutenus par le Gouvernement, en cas de calamité. D’ailleurs, leur objectif à court terme est d’aller vers la création d’un Groupement d’intérêt économique (GIE).

Les promesses du nouveau régime

Le régime du Président Macky Sall s’était empressé de donner, comme solution, la délocalisation du dépotoir considéré comme une «bombe écologique» au cœur de Dakar. Finalement, ce projet avait été abandonné. De passage à l’Assemblée nationale pour le vote de son budget 2018, le ministre de la Gouvernance territoriale, du Développement et de l’Aménagement du Territoire avait affirmé que «la relocalisation du site n’est pas une solution viable et ne fait que déplacer le problème d’un lieu à un autre».

Aujourd’hui, il est plutôt question de requalifier le site de la décharge de Mbeubeuss. Selon Yaya Abdoul Kane, le projet est en cours d’élaboration. Il se traduira, dit-il, par «la mise en place d’un système intégré de traitement et de valorisation des déchets». Ce qui veut dire que les localités environnantes devront encore supporter leur encombrant voisin.

Profil

EL HADJI MALICK DIALLO

LE GARDIEN DU TEMPLE DES ORDURES

Les récupérateurs d’ordures sont très organisés. Point question pour eux de se prononcer sur un quelconque sujet, sans la bénédiction de leur Président. A Mbeubeuss,  seule une voix est autorisée à parler, au nom des récupérateurs. Il s’agit de celle du Vieux El Hadji Malick Diallo qui porte en ces lieux le surnom de «Bankhass». 

Le surnom d’El Hadji Malick Diallo renvoie au nom originel de Keur Massar, son quartier natal. Tel un nostalgique, il est revenu, plusieurs fois, exercer à Mbeubeuss le métier de récupérateur, qu’il affectionne par-dessus tout, depuis l’âge de quatorze ans. Entre le vieil homme et les ordures, c’est une longue histoire d’amour. Cette idylle, se rappelle-t-il, date de l’époque où la décharge se trouvait près de l’usine de la SOTIBA.

Les fameux «Mbalitu Toubab» (les ordures des blancs) ! Ce temps est maintenant révolu et «Bankhass» est sorti de l’anonymat. Il est, aujourd’hui, très sollicité par les journalistes spécialisés dans le domaine de l’environnement, comme ceux du Groupe de Recherche Environnement et Presse (GREP), mais aussi par les étudiants et les médias étrangers.

Il dirige aussi une Association dénommée «Bokk Jom», est le Président du Comité de santé du dispensaire de la décharge. Ce choix n’est pas fortuit, puisqu’il assure avoir subi une petite formation en santé. Pour autant, il ne passe pas ses nuits dans la décharge. A l’en croire, seuls les indigents le font, en attendant de trouver une solution.

En ce qui concerne les chiffres distillés sur les homicides d’enfants, «Bankhass» affirme que les faits sont différents de la manière dont ils sont présentés. En cinq ans, il dit juste avoir recensé une vingtaine de cas. Pour ce qui est des maladies, El Hadj Malick Diallo assure que les plus fréquents sont la dermatose et l’infection respiratoire aiguë.

En fait, notre interlocuteur tient à départir Mbeubeuss de sa mauvaise réputation. Pour ce faire, il compte bien jouer sur son image. Il prend celle-ci très au sérieux. D’ailleurs, à notre arrivée sur le lieu du rendez-vous, c’était la seule personne à porter des habits présentables. Dans cet endroit inhospitalier, pour gagner sa vie, il faut bien salir.

Omar Ndiaye (SourceA)

 

 

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