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(Reportage) La Forêt classée de Mbao agressée à outrance : Mame Thierno Dieng, l’ex-Médecin du khalife des “Mourides”, débarque avec une cure

Seul poumon vert de Dakar, la forêt classée de Mbao (Fcm) étouffe sous le poids de l’activité humaine. Hormis les activités économiques qui s’y pratiquent pour permettre sa revalorisation, elle est agressée, au fil du temps.

Au-delà des stations essence à l’entrée, comme à la sortie de Keur Massar, l’autoroute à péage a grignoté cet espace vert de Dakar. Et réduit sa superficie de plus de 30 ha. Tout comme le projet du Train Express régional (Ter).

Mais face à toutes ces agressions, le ministre de l’Environnement et du Développement durable (Edd), Mame Thierno Dieng, rassure et promet d’accompagner les acteurs, dans la préservation et la protection de cet espace unique à Dakar. Reportage !

A priori, rien ou presque ne présage de la rusticité de la Forêt classée de Mbao (Fcb). Ni la présence de ses énormes potentialités, ni la vaste superficie qu’elle renferme au cœur de Dakar. Ville située dans la bande sahélo-sahélienne qui s’étire jusqu’à Djibouti. Mais erreur ! Car à l’intérieur, le seul espace vert de la capitale (après le parc zoologique de Hann) du Sénégal fascine et attire. Une oasis de verdure et de nature sauvage, au milieu d’un océan de défis climatiques.

«Depuis 1982, je passe deux, voire trois fois par mois sur cette route, mais je n’avais jamais imaginé qu’un tel potentiel pourrait se retrouver dans la forêt. Je suis impressionné», s’est époumoné le nouveau ministre de l’Environnement et du Développement durable (Edd).

Forêt classée de Mbao : une oasis de verdure au cœur de Dakar

Moins d’un mois après sa prise de fonction, en remplacement de Abdoulaye Bibi Baldé qui a atterri au Ministère de la Communication, Mame Thierno Dieng s’est rendu, ce jeudi 28 septembre, dans la forêt de Mbao pour une visite de prise de contacts avec le personnel. Accompagné d’une forte délégation dont les membres de son cabinet et le Directeur des Eaux et forêts, le Colonel Baïdy Bâ, l’ancien médecin attitré du Khalife général des Mourides n’a pu retenir sa joie. Au vu de la verdure flamboyante qui lui rappelle, plus encore, le jardin botanique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

«Ce que j’ai vu, en termes de superficie et de potentiel forestier, de tentative de préservation de l’intégrité de la nature, me dépasse. Les gens sont superbement motivés. A la limite, ils sont passionnés par ce qu’ils font», a-t-il réagi, après quelques détours dans le bois.

«La forêt a, dans son essence, trois fonctions principales», dit Colonel Moussa Fall. En effet, au-delà du rôle écologique et sociologique, celui économique est d’une importance capitale. «Les populations doivent pouvoir se nourrir et bénéficier  des retombées…économiques de la forêt», ajoute Colonel Moussa Fall, devant le Ministre Mame Thierno Dieng, après une brève présentation.

Ancien patron du Service des Eaux et Forêts de Mbao avant de prendre une retraite méritée, l’ancien Officier connaît les coins et recoins de cette partie de Dakar. Après son signal, le top départ d’un périple dans différents endroits de la forêt de Mbao est donné.

Ministre de l’Environnement : «je suis surpris par ce que j’ai vu, ici»

Sous sa conduite et celle du Colonel Bodian (son remplaçant), la délégation s’ébranle pour une excursion. Dans le bois, au milieu des oiseaux et des animaux rongeurs qui, par moments et endroits, sortent de leurs terreaux pour couper à vives allures la cohorte de véhicules qui nuit à leur quiétude, l’on semble sortir de Dakar.

Que nenni ! On est bien dans la capitale du Sénégal en proie à des files de voitures énormes à longueur de journée. Au milieu du vacarme des véhicules et autres engins moteurs qui tympanisent, une chaleur suffocante règne sur place. Le soleil darde ses rayons impitoyables sur les hommes.

«Ici, c’est la forêt de Mbao», appuie un élément des Eaux et Forêts, content du travail abattu, tous les jours, pour maintenir cet espace en «vie», loin du brouhaha et de la dégradation de la nature, à plusieurs endroits de Dakar. Au lieu de la pépinière, sur plus de 1ha, de petites plantes poussent à profusion dans des sachets de couleur noir. Dûment posés.

La fraîcheur des lieux n’a nul pareil à Dakar. Tout est naturel. Des insectes, des vers de terre grouillent. Et sortent du sol plein d’humus. Grâce à la végétation des arbres qui laissent ses feuilles mourir pour enfin, enrichir le sol. Le chant des oiseaux rappelle l’ambiance décrite par les auteurs ou autres écologistes dans les forêts ancestrales. Comme en Casamance ou à Bandia, plus près de nous.

Le domaine de la pépinière n’est qu’une partie visible de l’iceberg. Au jardin de Mabo-Kamb, la main humaine a changé un espace, qui commençait à se faner. Des groupements de femmes, autour de Binta Wane, ont transformé une partie de la forêt en proie dans un passé récent, à un véritable dépotoir d’ordures.

Jardin de Mbao-Kamb : un site de Recherches pour étudiants

En lieu et place des gravats, jadis occupant le site, c’est, désormais, un jardin expérimental, où viennent faire des recherches des étudiants des différentes Universités du pays. De la sous-région comme le Togo, la Côte d’Ivoire, le Bénin, mais aussi, de l’Afrique Centrale comme le Gabon, renseigne Colonel Fall.

«Je suis étudiant en Agroforesterie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Je suis venu pour des recherches et un stage à la forêt de Mbao», déclare un jeune garçon de moins de 30 ans.

Etudiant en Master II d’Agroforesterie, notre interlocuteur a raison. Visage poupon, blouse blanche enfilée, il témoigne : «ce jardin de Mbao-Kamb est un laboratoire». Des agrumes aux fruits de maraîchage, en passant par les plantes comme les citronniers, papayers, goyaviers, entre autres, tout y passe.

A la tête des femmes de ce Gie, Binta Wane tente d’expliquer, dans la langue locale, les raisons qui les maintiennent sur le site, depuis des années. Taille moyenne, un badge noué autour du cou, sandales d’une autre époque, mais adaptées aux conditions climatiques des lieux, mère Binta, comme on l’appelle ici, maîtrise bien son sujet. «Elle était là, depuis le début», explique, avec un brin d’humour, une dame à la taille XXL.

«Au début, c’était comme un jeu. Les gens riaient de nous. Sous prétexte que nous nous lançons dans une aventure, sans issue», retrace-t-elle les péripéties des activités économiques qu’elle et ses camarades mènent dans la forêt de Mbao. Depuis, maintenant, plus d’une dizaine d’années.

Binta Wane : «au début, les gens riaient de nous, plus jamais maintenant»

Quelque part dans la forêt, non loin de la nationale 1, un peu en profondeur, un groupe de femmes sous la direction de Soukeyna Diop s’activent dans la transformation des produits forestiers. Au nombre de 60, ces dames s’occupent de la revalorisation de la forêt par les activités connexes (économiques) qu’elles y mènent.

Visages recouverts de poussière, pieds nus pour certaines, debout ou assisses à-même le sol pour d’autres, elles sont en pleine corvée. Manuellement, (les moyens manquant», et devant des mortiers qui résonnent. Elles s’activent comme de beaux diables. Un coup de pilon par-ci, un autre par-là, puis le tour est joué.

La graine est sortie de sa coque. Le pilon ou le van à la main, elles font, avec les moyens du bord. Inutile de décrire davantage leurs difficultés. Hélas ! Ce n’est pas ce qui compte vraiment pour ces femmes. Et elles le font savoir. Devant un ministre médusé. La main à la bouche. Sourire au coin parfois. Ecarquillant les yeux par moments.

Bref, Mame Thierno Dieng n’en revenait pas. Lui qui, toujours dans ses bureaux cossus, n’avait plus l’occasion ni l’opportunité de descendre ou de faire un tour au botanique de la Faculté des Sciences et techniques de la terre (Fst). Avec sa récente nomination, l’occasion lui est, désormais, offerte. Et il ne s’en cache pas.

«Nous ne remercierons, jamais assez, la forêt de Mbao. C’est elle qui nous a donné du travail. Nous lui devons tout. Avec les bénéfices provenant de nos activités, ici, à la forêt de Mbao, nous parvenons à inscrire nos enfants à l’école et à nous occuper de nos foyers respectifs», renseigne-t-elle devant la délégation du Ministre Mame Thierno Dieng.

Doléances des femmes transformatrices : «revoir la prime journalière»

Cette fonction économique, au-delà de celle écologique qui consiste à reboiser partout où elles passent, n’est pas sans difficultés. En dépit des ressources tirées de la forêt.

«Nous travaillons seulement 10 jours d’affilée pour nous reposer 1 mois, à cause d’un manque de semence», a regretté Soukeyna Diop. Non sans interpeller le ministre en charge de l’Environnement et du Développement durable sur cette question, qui plombe leurs activités par moments, au cours de l’année.

«Nous demandons aux autorités de nous octroyer de la semence à longueur d’année pour que nous puissions travailler 12 mois sur 12 et gagner davantage», a-t-elle plaidé. Mais aussi, en dépit de la bonne volonté affichée par les agents des Eaux et Forêts, la prime journalière est jugée trop infime par rapport au travail effectué. «Nous souhaitons que la prime, par jour, soit revue à la hausse», imploré Soukeyna Diop, avec l’assentiment de ses soeurs.

5 millions pour 1 ha d’anacarde

Au cœur de toutes les activités d’Agroforesterie dans la forêt de Mbao, celles liées autour de l’anacarde restent les plus dynamiques. Au milieu, comme tout autour de la forêt, l’anacarde est la plante la plus visible. Les usufruitiers n’ont pas de contrat de travail, certes. Mais un plan d’aménagement a été mis en place, entre les agents des Eaux et forêts et les populations riveraines.

Qui, à leur tour, participent, de manière consistante et assidue, au reboisement de la forêt de Mbao. Une bonne politique. Car, déjà en 2014, avec 200 pieds à l’hectare, 35 hectares ont pu être emblavés. En attendant, disait Colonel Moussa Fall, en 2016, la mise en valeur de 300 hectares prévus dans le moyen terme.

Avec des variétés différentes : brésilienne, burkinabé et Costaricaine, l’anacarde est la plante, qui rapporte plus dans la forêt de Mbao. Il est ressorti des interventions du Colonel Moussa Fall, que pour 1 ha d’anacarde, on peut gagner 5 millions de F CFA.

De 815 ha à moins de 700 ha

Mais au-delà des activités d’Agroforesterie rentables, la forêt de Mbao, créée en 1908 et classée en mai 1940,  est constamment agressée. Aussi bien par les populations avec les coupes de bois, dépôts d’ordures, feux de brousse, la cueillette que l’Etat. La preuve, sur 815 hectares au départ, la forêt classée de Mbao peine, aujourd’hui, à conserver les 700 ha qui lui restent.

La faute aux différents chantiers d’envergure de l’Etat qui le traversent. D’abord, ce fut l’autoroute à péage qui a pris 35 ha. Ensuite, c’est le nouveau projet du Train Express régional (Ter) avec une gare en plein chantier au rond-point de Keur Massar avec 20 ha de perdus. A ce rythme, l’on est tenté de dire qu’au vu des projets de l’Etat du Sénégal,  la forêt de Mbao risque de disparaître.

Mais le nouveau ministre de l’Environnement et du Développement durable rassure. «Un projet, il faut toujours faire le rapport bénéfice-risques : ce qu’on gagne et ce qu’on perd. Et dans les projets, dont il est question, tout le monde constate que ce qu’on va y gagner, est supérieur à ce que l’on y perd », a-t-il soutenu, avec force conviction. Et d’embrayer en ces termes : «ce qu’on a pris de la forêt, est une infime partie de sa superficie réelle».

Mame Thierno Dieng : «on a pris une infime partie de la forêt, ce qu’on gagne est supérieur à ce qu’on perd»

«On peut compenser, quantitativement, par la qualité, ce qu’on perd sur les risques», a poursuivi Mame Thierno Dieng. Cependant, cette question n’est pas l’objet de sa visite. «Ma première responsabilité est de leur rendre visite et constater de visu, ce qu’ils sont capables de faire. Parce que si on leur donne des moyens, ils vont  contribuer à l’essor économique de ce pays», s’est-il adressé aux agents des Eaux et forêts pour qui les moyens logistiques font, parfois, défaut.

Pour lui, si tout le monde fait ce qu’il a à faire, le problème est résolu à moitié. Sur ce point, le visage recouvert de poussière, après quelques heures sur les pistes sablonneuses et tortueuses de la forêt, le ministre donne des assurances supplémentaires, quant à son engagement à accompagner les acteurs.

«Si nous faisons les efforts qu’il faut, en termes d’éducation et aider les autorités, afin de travailler la main dans la main, je ne dis pas qu’on va anéantir l’agression, mais on va l’atténuer», a-t-il préconisé.

«J’ai l’intention de faire l’état des lieux intégral dans mon domaine de compétence. A chaque fois que je serai  sur les lieux, ça ne sera pas pour voir ce qui marche, mais ce qui ne marche pas, pour y remédier. Quand on fait l’état des lieux, c’est pour identifier des insuffisances et y remédier. Nous avons conscience de nos responsabilités et nous ferons tout pour les assumer», a-t-il confié, à l’issue de la visite des différents sites que renferme la Forêt classée de Mbao.

Non sans attirer l’attention des «agresseurs». «Les gens l’agressent (forêt de Mbao), c’est parce qu’ils n’ont pas conscience de l’importance de ce qu’ils sont en train de détruire», a lancé le ministre de l’Environnement et du Développement durable.

Cependant, la vérité est plus prosaïque : car entre ses déclarations d’intentions et les multiples agressions dont est l’objet la forêt de Mbao, il y a un grand fossé. D’autant que tous les projets routiers du pays, partant de Dakar pour longer la Nationale 1, ne peuvent passer que dans cette forêt.

Gaston MANSALY (Actusen.com)

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