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Joie placide et dignité étincelante : quand les Sénégalais deviennent des stoïciens

Les lions du football ont donc réussi à réconcilier les Sénégalais avec les délices d’une participation à une coupe du monde. Puisant dans les tréfonds de leur âme de guerriers nos lions ont battu l’Afrique du Sud à deux reprises et ont effacé l’affront et les intrigues d’un arbitre de football trop spécial.

Nos lions méritent donc respect et déférence : cette deuxième qualification montre que celle de 2002 n’était pas un accident de l’histoire du foot et que la génération de cette année là n’était pas spontanée. Pourtant malgré la beauté de la double victoire contre l’Afrique du Sud après celle sur le Cap-Vert et une qualification méritée, le peuple n’a pas jubilé ! Pourquoi donc un tel silence ? Pourquoi les Sénégalais ont-ils préféré noyer leur joie dans cette circonspection quasi philosophique ?

Beaucoup d’hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer cette curieuse attitude de passionnés de football que sont les Sénégalais. L’une d’elles explique que le fait que cette qualification soit la deuxième aurait amorti l’ardeur des supporters.

Cependant cette hypothèse ne résiste pas à l’analyse, car dans beaucoup d’autres pays africains habitués du mondial, une qualification provoque des liesses de joie. Une autre prétend que c’est à cause du rappel à Dieu d’un chef religieux qu’il n’y a pas eu d’explosion de joie : une telle hypothèse a du mal à être prise au sérieux au regard de nos mœurs sociales.

Une troisième hypothèse explique la retenue des supporters par la morosité de la conjoncture économique. C’est vrai les Sénégalais sont non seulement fatigués, mais aussi désenchantés, et presque désespérés. On chante l’émergence partout, mais aucune mesure sociale (bourses familiales, CMU et toute la phraséologie sur le PSE) n’a jusqu’ici réussi à sortir un seul Sénégalais de la pauvreté. Au Brésil, terre natale du concept de bourses familiales, Lula avait réussi à sortir de la pauvreté des milliers de familles : chez nous les bénéficiaires de cette pitance s’impatientent de recevoir cette grosse arnaque politico-financière.

Telle qu’elle est pilotée et conceptualisée, cette politique ne sortira personne de la pauvreté et ce, même si elle s’étendait sur cinquante ans ! Les bourses familiales, c’est de la communication politique, et les Sénégalais ne tarderont pas à se rendre compte de l’étendue de la supercherie dès qu’une évaluation scientifique, affranchie de tout présupposé politique, sera faite de cette trouvaille. Mais la morosité économique n’explique pas à elle seule la sobriété des Sénégalais. C’est vrai que l’argent ne circule plus aujourd’hui, mais en 2002 aussi les Sénégalais étaient pauvres.

  Il faut d’abord rappeler que les faits humains et sociaux n’obéissent pas toujours à des causes uniques et figées, mais plutôt à un faisceau de facteurs. Parmi les facteurs susceptibles d’interpréter l’absence de déferlement de joie suite à cette qualification au mondial 2018, nous pensons que c’est le processus qui y a mené qui semble gêner les Sénégalais.

Il ne s’agit pas de savoir si la décision de la FIFA de faire rejouer le match contre l’Afrique du sud est légitime ou pas ; de toute façon la victoire à Dakar montre que les lions méritent cette qualification. Mais les Sénégalais sont fairplays : ils se disent que la décision de faire rejouer le match a été un déclic et, par conséquent, un gain ou dopage psychologique qui a réarmé nos lions. Inversement cette décision a inhibé peut-être les autres protagonistes. Les supporters sénégalais peuvent être chauvins comme tous les autres supporters, mais ils sont capables de se poser la question : quelle aurait été notre posture si c’est nous qui avions été favorisés par Lamptey et victimes de la décision consécutive de la FIFA ?

  Il faut ensuite remarquer que les Sénégalais savent que cette équipe n’a pas encore joué sur sa véritable valeur : au regard de la qualité de nos individualités, notre  football aurait dû être plus conquérant et plus flamboyant. La façon dont notre équipe nationale joue n’est guère probante comme philosophie de victoire ; et le fait que nous peinons à marquer beaucoup de buts en est une illustration.

Des victoires laborieuses, un jeu hésitant et brouillon : ce n’est guère agréable comme menu de jeu. Il y a entre autres raisons qui expliquent cette posture des supporters le fait que les qualifications de l’équipe nationale aux différentes joutes se soldent trop souvent par des échec amers, incompréhensibles, voire simplement révoltants : nous avons tellement accumulé de désillusions que nous n’avons plus le courage d’espérer. On voit donc qu’il y a plus de raisons de ne pas jubiler suite à cette qualification que de le faire.

En observant cette posture placide et très modérée, les supporters ont envoyé un signal fort aux joueurs de l’équipe nationale : nous en avons assez des pacotilles de football ! Les supporters exigent plus de sacrifice de la part des joueurs de leur équipe nationale : ils veulent voir des patriotes décidés à puiser dans les ultimes ressources de leur soi les forces mentales et physiques nécessaires pour faire la différence. Dans un monde où le sport est globalisé autour des championnats européens, ce qui fait la différence c’est l’engagement, l’abnégation et le fanatisme de la victoire.

C’est simplement regrettable de constater que nos autorités politiques, plus soucieuses de communiquer que de gouverner, s’empressent, de façon éhontée, à théoriser la notion absurde de football émergent et d’équipe nationale émergente. Quelle honte ! Les joueurs qui composent la charnière de cette équipe sont majoritairement issus d’écoles de football qui fonctionnaient avant que l’actuel Président de la république ne soit promu à un poste de directeur de société. Cette équipe n’a pas besoin de tels bas agissements, il nous faut fédérer nos forces pour l’accompagner dans un élan patriotique au lieu de jouer à ce chauvinisme sans esprit.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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