Economie Jour de vérité

Ousmane Ndiaye, Dg de l’ASPRODEB, décortique, sous toutes ses coutures, la situation actuelle de la filière arachidière

Pas si certain qu’il ait omis un seul sujet de l’heure, concernant la situation actuelle de la filière arachidière. Lui, c’est Ousmane Ndiaye, Directeur général de l’Association Sénégalaise pour la Promotion du Développement à la Base (l’ASPRODEB).

En effet, dans cet entretien accordé à Actusen.com, le Dg de cet Outil technique et économique des Organisations Paysannes a évoqué la recette-miracle mise en oeuvre, pour permettre aux paysans de bénéficier, dans le bassin arachidier, d’intrants suffisants et en bonne qualité ; le nombre insuffisant de points de vente (Secco), ainsi que ses conséquences ; la posture que doit adopter l’Etat face à cet état de fait.

Mais ce ne sont pas les seuls sujets sur lesquels Ousmane Ndiaye a ergotés. Car il a jeté son grain de sel dans la marmite à idées qui bout autour du dialogue de sourds entre les huiliers et le Gouvernement ; de la pertinence ou non de privatiser la Sonacos ou de supprimer la taxe sur l’exportation de l’arachide, entre autres sujets.

Entretien!!!

Actusen.com : Les bonnes récoltes sont, certes, tributaires de l’hivernage 2017 qui a été pluvieux. Mais quels leviers ont été actionnés pour permettre aux paysans de bénéficier, dans le bassin arachidier, d’intrants suffisants et en bonne qualité ?

Ousmane NDIAYE : Cinq membres de l’ASPRODEB sont engagés dans la filière arachide. Par la signature d’un contrat entre l’ASPRODEB et COPEOL-Sénégal pour lui livrer de l’arachide, COPEOL-Sénégal a consenti à nos 30 000 producteurs et productrices dans les régions du bassin arachidier  un prêt de 1 milliard 500 millions de FCFA au taux d’intérêt de 0% pour acheter 6 000 tonnes d’engrais et 3 000 tonnes de semences certifiées.

Donc, grâce à la contractualisation, ces producteurs et productrices ont pu disposer, entre le 15 mai et le 15 juin 2017, donc, à temps, de leurs intrants. J’ajoute que ces intrants n’ont rien coûté à l’Etat du Sénégal, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de subvention.  Au mois d’octobre dernier, nous avons visité les régions de Kaolack, Kaffrine, Tamba et Kolda. Partout, l’appréciation des producteurs était la même : les engrais et les semences sont d’une excellente qualité.

Actusen.com : Après bientôt deux semaines de campagne arachidière, tous conviennent à dire que les acheteurs se font désirer. Selon vous, à quoi est due cette situation ? Et quelles conséquences pour les producteurs ?

Ousmane NDIAYE : Dans les régions du bassin arachidier, nous observons que peu de seccos sont ouverts à côté de nos 210 points de collecte. Par exemple, à Diourbel, le Directeur Régional du Développement Rural  (DRDR) signale une situation très difficile : 23 points de collecte fonctionnels sur 121, soit 19%. A Fatick, le DRDR signale une situation identique : 15% des points de collecte sont fonctionnels, 2 600 tonnes collectées sur 150 000 tonnes prévus, soit 1,7%.

Donc, presque partout dans le bassin arachidier, il y a peu d’acheteurs après 10 jours de campagne. Concernant les organisations paysannes membres du CNCR et de l’ASPRODEB, le volume contractuel de 21 700 tonnes d’arachide convenu avec COPEOL Sénégal ne pourra pas être dépassé et c’est pourquoi, nous discutons avec d’autres huiliers pour trouver des débouchés mais ceux-ci ont des difficultés à mettre en place des financements compte tenu de la crise que traverse ce secteur.

Comme vous le savez, le prix de campagne est homologué par le Gouvernement. Certaines années il est en dessous des cours mondiaux et on voit les acheteurs, notamment les chinois, se précipiter au Sénégal pour acheter la graine. D’autres années, comme pour cette campagne et la précédente, les prix internationaux sont bas et à cause de nos coûts de production élevés en tant que petits producteurs (rendement faible, qualité sanitaire en cause, etc…) seuls les huiliers peuvent acheter la graine à condition que le Gouvernement leur compense le différentiel avec les cours internationaux.

Dans sa volonté de maintenir, voire d’améliorer le pouvoir d’achat des producteurs et des productrices, le Gouvernement du Sénégal signe donc avec les huiliers un accord pour compenser leurs pertes.

Aujourd’hui, il semble qu’il y a un problème entre le Gouvernement et les huiliers pour la mise en œuvre complète des accords de compensation. Il est tout à fait compréhensible que les huiliers qui ont investi au Sénégal ne l’ont pas fait pour perdre constamment de l’argent.

Comme on a pu le constater, ces dernières années, lorsque les cours sont bons, les huiliers sont concurrencés et ils peinent à avoir les volumes pour équilibrer leurs comptes. Quand, les cours sont mauvais et qu’ils sont obligés d’acheter au prix interprofessionnel garanti avec la compensation du Gouvernement, cette compensation, semble-t-il, n’est pas suffisante pour absorber les marges négatives.

Actusen.com : Devant cet état de fait, quelle devra être la posture de l’Etat ?

Ousmane NDIAYE : Le Gouvernement du Sénégal, dans sa volonté de protéger le pouvoir d’achat des producteurs, doit négocier avec les huiliers. D’abord, en préservant les capacités financières des huiliers à travailler, c’est-à-dire, une fois des accords de compensation obtenus, que ces accords soient réalisés. Il faut savoir que les exportations ne sont pas une solution à long terme : les acheteurs étrangers ne viennent que lorsque cela les arrange.

La bonne solution et qui est durable, est de disposer d’unités de transformation industrielle. C’est pourquoi, dès après la campagne, l’Etat devrait organiser une réelle concertation en vue de faire de cette filière une filière phare.

Cela suppose que nous producteurs nous fassions des efforts et des investissements pour améliorer notre productivité et notre compétitivité et la qualité sanitaire de l’arachide. Les industriels devront aussi investir pour moderniser leurs installations. Le but à moyen et long terme est de fournir aux consommateurs sénégalais et ouest-africains de l’huile d’arachide.

Actusen.com : Les huiliers censés acheter l’arachide exigent que le Gouvernement leur compense le différentiel avec leurs cours internationaux ; ce que l’Etat ne veut pas entendre. A votre avis, c’est quoi la solution de sortie de crise ?

Ousmane NDIAYE : Cette situation vient du fait que le Gouvernement du Sénégal, dans sa volonté de garantir aux producteurs des revenus décents, décide de maintenir un prix au producteur parfois au-dessus des cours mondiaux. Mais en même temps, du côté des industriels, les installations pour la transformation ne sont pas, souvent, celles qui permettent d’avoir des coûts de transformation les plus bas possible.

Les différends entre l’Etat et les huiliers dont nous ressentons aujourd’hui les conséquences, ne pourront être résolus que par la négociation et l’application des accords convenus. Si l’Etat, les huiliers, les organisations paysannes, nous ne travaillons pas dans une même direction tout en préservant les intérêts majeurs de chaque catégorie d’acteurs, la filière arachide risque d’être à l’agonie.

Actusen.com : Si ce dialogue de sourds perdure, que risquera, à long terme, la filière arachidière ?

Ousmane NDIAYE : Notre conviction est que l’industrie de transformation de l’arachide est indispensable au développement d’une agriculture qui ambitionne de nourrir les populations, de donner des emplois aux jeunes et de procurer des revenus décents aux familles d’agriculteurs, sans compter les autres effets sur l’économie nationale. Ces objectifs sont ceux que le Gouvernement veut réaliser.

Les membres du CNCR et de l’ASPRODEB soutiennent et contribuent à la réalisation de ces objectifs et c’est pourquoi depuis trois ans, les Organisations de Producteurs, membres du CNCR et de l’ASPRODEB, tout en louant les efforts de soutiens financiers du Gouvernement du Sénégal, ont pris leurs responsabilités, c’est-à-dire acheter au prix coûtant leurs intrants –ce qui soulage les finances publiques- pour être prêts à produire lorsque les pluies sont là. Mais cela suppose qu’il y ait un industriel ou des industriels avec lesquels travailler pour acheter la production.

Soutenir le modèle d’affaire basé sur la contractualisation que nous réalisons avec COPEOL Sénégal me paraît une des solutions majeures aux risques d’agonie, de faillite de la filière. A moyen terme, si  à l’intérieur du pays, nous n’aurons plus d’acheteurs, les risques seront le bradage et la mévente. A long terme, la filière sera morte, c’est-à-dire que l’arachide ne sera produite que sur de petites superficies pour de quantités pour une autoconsommation.

Les producteurs d’arachide devront forcément se reconvertir et pour cela, il faudra que l’Etat créée les conditions favorables pour accueillir ces milliers de producteurs dans d’autres filières. Pour le moment, ce ne sont pas les filières du mil, du maïs, du sorgho et du riz pluvial qui offrent de telles conditions.

Pour toutes ces filières, les marchés sont mal organisés et donc leur croissance risque d’être erratique. Donc, le plus grand risque sera d’accentuer la pauvreté rurale dans les régions du bassin arachidier.

Actusen.com : La rumeur d’une probable privatisation de la Sonacos persiste. Qu’est-ce que cela vous inspire comme commentaire ?

Ousmane NDIAYE : Le Gouvernement du Sénégal, en reprenant la SONACOS a bien annoncé qu’il s’agissait d’une transition, c’est-à-dire, le temps de remettre la SONACOS en bon état pour être privatisée. Mais si la SONACOS est privatisée, elle sera forcément soumise aux mêmes contraintes et exigences de gestion que les autres privés.

La question n’est pas de privatiser mais de pouvoir créer les conditions économiques, institutionnelles, administratives et politiques qui donnent un climat d’affaires dans lequel, les organisations paysannes, les huiliers pourront travailler et gagner de l’argent et dans lequel aussi où les finances de l’Etat ne seront plus sollicitées comme cela se fait aujourd’hui sur des montants élevés et d’une manière récurrente.

Actusen.com : êtes-vous favorable à la suppression de la taxe ? Pourquoi ?

Ousmane NDIAYE : D’abord, nous les Organisations Paysannes, nous félicitons et soutenons le Gouvernement du Sénégal d’avoir mis en place ce mécanisme de protection. Comme on dit chez «avant de vendre la bouillie aux autres, il faut d’abord être rassasié avec sa propre bouillie», nous devons tout faire pour d’abord satisfaire nos besoins internes en huile et autres produits dérivés de l’arachide, ensuite nous tourner vers les pays de la CEDEAO. Cela est possible si l’Etat, les Organisations Paysannes et les huiliers, nous avons le courage de faire les réformes qu’il faut et que nous tous en tant qu’acteurs nous connaissons.

Car,  supprimer la taxe, à court terme, cela baisserait le prix de revient des exportateurs et donc forcément cela peut aider à l’écoulement de la récolte, quoique, suivant les informations dont nous disposons sur les prix en Chine, même sans taxe, il sera difficile de pouvoir acheter au cours officiel de 210 FCFA. L’activité des exportateurs est beaucoup moins facile à contrôler que celles des huiliers et le Gouvernement ne peut pas s’assurer avec eux, que la graine est effectivement achetée au prix de campagne.

Actusen.com : Au Sénégal, la filière arachidière entretient avec les soucis une relation de longue date. Quels sont les axes de réflexions que vous prônez, pour quitter cette pente ?

Ousmane NDIAYE : Cette campagne de commercialisation repose encore la question de solutions durables pour la filière arachide qui est malade à cause de multiples dysfonctionnements qui ne datent pas d’aujourd’hui et qu’il est injuste de tout imputer au Gouvernement actuel.

Nous, Organisations Paysannes, nous pensons qu’il est temps que nous soyons avec les industriels, les vrais gestionnaires de la filière. Ce que nous demandons au Gouvernement, c’est de favoriser un environnement profitable aux acteurs nationaux, en soutenant les relations contractuelles qu’ils tissent entre eux, en améliorant les investissements publics, notamment pour la fertilité des sols et encourager un alignement des prix sur les réalités économiques.

De notre côté, nous fournissons des efforts pour disposer de semences certifiées, d’engrais de bonne qualité, d’équipements agricoles pour être résilients face aux changements climatiques et pour également avoir notre propre personnel pour un appui technique de proximité des producteurs et productrices.

Le but est, sur le moyen terme, d’augmenter notre productivité grâce à de hauts rendements. Le CNCR et l’ASPRODEB sont toujours disposés, autour d’une table, avec les vrais acteurs (Organisations Paysannes et Huiliers en particulier) sous l’égide du Gouvernement, à rénover cette filière.

Propos recueillis par Ousmane THIANE, Stagiaire à Actusen.com

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