Contribution

Pour un calendrier musulman basé sur le calcul astronomique : cadre théorique, méthodologie et application  

Comment surmonter l’obsession du moyen au prétexte de la fidélité au texte ?  (1/3)

Introduction

La question principale est : « Comment concevoir et réaliser un calendrier lunaire commun à toute la Oumma, sur des bases acceptables du point de vue de la Charia et qui intègrent l’astronomie et les sciences connexes ainsi que les enjeux de notre époque ? » Etant entendu que la réponse attendue doit porter fondamentalement sur la détermination des débuts et fins de chacun des 12 mois lunaires, ce qui permet d’en déduire les dates des événements particuliers du calendrier musulman. Perdre de vue cet aspect du problème conduit à d’incessantes, inutiles, et insolvables polémiques. Les musulmans ont besoin de savoir avec le plus de précision possible le temps légal pour la zakat, l’observation du délai de viduité, le mois de Ramadan, les mois du pèlerinage, le jour d’Arafat, les trois jours de la fête du sacrifice, le jour d’Achoura, etc. Aussi, il ne s’agit pas de « balancer » des dates ou des heures du culte musulman sans aucune base si ce n’est le « copier-coller » de sources dont la fiabilité n’a pas été établie et qui plus est, de la part de gens qui ne sont connus ni pour leurs compétences scientifiques ni pour celles en sciences de la Charia. C’est ainsi qu’on voit circuler des heures et minutes de prières sans aucune spécificité géographique ou des messages du genre « le Ramadan commence à telle date » sans préciser pour quel pays et sur quelle base. L’islam ne mérite pas cette cacophonie et cette légèreté qui sont semble-il de mode : tout se permettre avec l’islam pour vendre ou se vendre.

Ce genre de fantaisies a pignon sur rue étant donné que nombre de musulmans se comportent comme des naïfs prêts à tout accepter et relayer en flagrante contradiction avec les enseignements de base de l’islam qui invite à s’adresser aux savants du domaine en question, à vérifier et arbitrer entre différents arguments. Dans cette contribution revue et actualisée, nous déclinons les fondements théoriques d’un calendrier musulman basé sur le calcul astronomique, la méthodologie adoptée et une application du modèle à la détermination de ce Ramadan 1439/2018 pour Dakar, la Mecque et Paris. Ce texte constitue une synthèse des recherches que nous avons entreprises sur le sujet depuis plus de 5 ans et dont les résultats ont été exposés en détails dans notre livre Astronomie et Charia publié en 2016/1437H à Dakar.

Selon les prémisses de notre cadre théorique, le premier jour du nouveau mois musulman commence au coucher du Soleil qui suit l’instant de la conjonction vraie (nouvelle lune), même s’il s’agit de quelques secondes ou minutes, et ce, que le croissant de Lune soit visible à l’œil nu et/ou avec l’aide d’instruments optiques ou pas. Les avis de deux grands oulémas contemporains militent en faveur de cette option : le ouléma égyptien spécialiste du hadith et faqîh – juriste Ahmad ibn Muhammad Châkir (m. 1958) et le juriste libanais le Cheikh Faysal al Mawlawi (m. 2011).

Dans ce cadre, deux critères suffisent à déterminer le début et la fin du mois lunaire : 1) l’instant de la conjonction vraie (la nouvelle Lune – début d’un nouveau cycle lunaire) ; 2) l’instant du coucher du Soleil. Etant entendu que l’instant de la conjonction vraie donné en UTC (Temps Universel Coordonné) qui a remplacé le GMT doit être ramené à l’heure locale (décalage horaire de 0 à -12h vers l’ouest et 0 à +12h vers l’est).

De nos jours l’astronomie et les sciences connexes ont fait des progrès tels que l’instant de la conjonction vraie est donné à la seconde près de façon suffisamment fiable et précise pour chaque nouveau cycle lunaire. L’adoption de ces deux seuls critères pour disposer d’un calendrier musulman perpétuel revêt au moins les avantages suivants :

  1. l’instant de la conjonction vraie (nouvelle Lune) est fourni par les institutions scientifiques légitimes et fiables dans le monde entier ;
  2. s’en remettre à ces institutions permet d’éviter les interférences politiques et autres divergences qui sont de nature à empêcher une détermination commune du calendrier musulman ;
  • la connaissance de l’instant de la conjonction vraie permet d’exclure les témoignages fantaisistes et farfelus sur l’apparition du nouveau croissant de Lune ;
  1. Pas besoin de construire des Observatoires coûteux qui seraient au service des oulémas de la Charia, il suffit de s’adresser aux institutions et scientifiques qualifiés en la matière, ce qui requiert une collaboration étroite et de confiance entre ces deux parties prenantes ;
  2. l’adoption d’un calendrier perpétuel basé sur le calcul astronomique permet de déterminer à l’avance les débuts et fins des mois musulmans et d’en déduire les dates importantes pour le culte ainsi que leur correspondance avec les dates civiles grégoriennes.

Quelles sont les références scripturaires sur ce sujet et quels enseignements en tirer ?

Les versets clés  

« Ils t’interrogent sur les phases (de la Lune) – Dis : « Ce sont des repères temporels pour les gens et aussi pour le Hadj (pèlerinage à la Mecque) » (Coran 2 : 189)

Le terme coranique « ahilla » qui est traduit ici par phases désigne toutes les phases de la Lune hormis celle de pleine Lune dénommée « badr »

« Fendeur de l’aube, Il a fait de la nuit une quiétude, soumis le soleil et la lune à un calcul minutieux. Tel est le réglage établi par le Tout-Puissant, le Tout-Sage » (Coran 6 : 96)

Le terme « taqdîr » traduit ici par réglage renvoie aux notions de mesure, proportion, réglage, etc. Le sens est que le Soleil et la Lune ne sont pas soumis au hasard mais aux lois fixées par Dieu, le créateur du Cosmos.

« Le nombre de mois est de douze selon la prescription d’Allah, le jour où Il créa les cieux et la terre dont quatre sacrés » (Coran 9 : 36)

Il s’agit bien sûr de 12 mois lunaires et les commentateurs du Coran expliquent que cette précision vient du fait que les arabes manipulaient le nombre de mois auparavant et ce verset y met fin.

« C’est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une brillance, et pour celle-ci a déterminé des phases afin que vous sachiez compter le nombre des années et le calcul du temps. Dieu n’a créé cela qu’en toute vérité. Il expose en détail les signes pour les gens qui savent » (Coran 10 : 5)

Le terme traduit par clarté est « dziyâ » qui renvoie à la source de la lumière. Les astrophysiciens modernes nous disent que le Soleil est effectivement la source de lumière et que la Lune ne fait que refléter celle-ci, d’où la traduction de brillance que nous proposons à la place de lumière « nûr » pour la Lune. C’est là de notre point de vue, une illustration de la façon dont les savoirs de chaque génération doivent informer le commentaire du Coran et par conséquent ses traducteurs compétents. Le terme coranique traduit par phases est « manâzil » qui renvoie aux différentes positions de la Lune durant un cycle complet. Il se trouve que l’astronomie moderne montre que c’est la portion de la face de la Lune éclairée par le Soleil qui apparait à un observateur sur Terre. D’où on comprend mieux ce lien que le verset établit entre le Soleil comme source de lumière « dziyâ » et le reflet de cette lumière « nûr » par la Lune sans laquelle la face qu’elle présente toujours à nous autres terriens ne nous serait pas visible. Il faut savoir « toucher » aux commentaires anciens du Coran en les fécondant par les nouveaux savoirs et ce faisant, ne pas mentir aux soifs légitimes et irrépressibles de connaissance des nouvelles générations de musulmans et de quiconque essaye de comprendre en quoi le Coran est le « miracle » que le prophète Muhammad (saws) a laissé à toute l’humanité.

Il ne s’agit pas de verser dans un concordisme naïf ni de pratiquer l’obscurantisme par le truchement de l’antiscience au prétexte de rester fidèle au texte. D’ailleurs, on peut remarquer que le verset se termine par une adresse aux « gens qui savent » Le Coran nous enseigne donc que Dieu a fait de telle sorte que les gens qui savent, c’est-à-dire, qui sont compétents pour décrypter les signes « âyât » du Soleil et de la Lune sauront en tirer des procédés de calcul du temps. Il est clair que ce sont les oulémas de l’astronomie et des sciences connexes qui sont visés ici et non ceux d’un autre domaine du savoir fut-il appelé « sciences de la Charia » A noter au passage que le terme utilisé dans ce verset est « hisâb » traduit fidèlement par calcul. A ce propos, il est utile de faire la différence entre la science du calcul « ‘imul hisâb » et la pratique du dénombrement ou du comptage « ‘adad » En effet, tout le monde peut compter ses doigts mais pour envoyer une navette dans l’espace, ou prédire une éclipse, ou construite une lunette pour un ouléma myope ou presbyte, ou déterminer les parts d’héritage, ou de Zakat, pour ne citer que ces exemples, il faudra savoir calculer. Et les savants musulmans arabes ou non ont apporté des contributions incontournables au développement des algorithmes et autres procédés de calcul qui sont utilisés jusqu’à présent par les astronomes du monde entier.

« Et pour vous, Il a assujetti la nuit et le jour, le soleil et la lune à une perpétuelle révolution. Et Il vous assujetti la nuit et le jour » (Coran, 14: 33)

Le terme utilisé dans ce verset est « dâ-ibayn » qui renvoie à la course continue de ces deux astres, ce qui nous ramène encore à la régularité et la répétition de phénomènes cosmiques si important pour la méthode scientifique de prédiction.

« Nous avons fait de la nuit et du jour deux signes, et Nous avons effacé le signe de la nuit, tandis que Nous avons rendu visible le signe du jour, pour que vous recherchiez des grâces de votre Seigneur, et que vous sachiez le nombre des années et le calcul du temps. Et Nous avons expliqué toute chose d’une manière détaillée » (Coran 17 : 12)

« Et la lune, Nous lui avons déterminé des phases de telle sorte qu’elle (re)devienne comme la palme vieillie. Le soleil ne peut rattraper la lune, ni la nuit devancer le jour ; chacun vogue dans une orbite » (Coran 36 : 39-40)

A sa dernière phase, « dernier croissant » avant la conjonction (Iqtirân, position dans laquelle Soleil-Lune-Terre sont placés dans un même plan pour un observateur sur Terre), la Lune ressemble à la palme desséchée, une image à connotation végétale à laquelle les arabes du temps de la révélation du Coran étaient familiers. Le verbe « ‘âda » (retourner à l’origine, revenir au point de départ) utilisé dans ce verset indique qu’il s’agit d’un cycle. Et qui dit cycle dit possibilité de calculer sa fréquence vu que c’est un phénomène régulier et répétitif. Sans cette régularité du cycle lunaire, il serait impossible aux spécialistes de la mécanique céleste de procéder au calcul des éphémérides sur la base d’équations que les spécialistes maitrisent. Le terme coranique traduit ici par orbite est « Falak ». Tabari, le célèbre et pionnier en matière de commentaire du Coran, dit qu’il faut avoir l’humilité de reconnaitre que les seules ressources de la langue arabe, langue du Coran, ne suffisent pas à faire comprendre ce à quoi revoie le terme de « falak » dans le ciel. On peut en comprendre « comme quelque chose qui vogue dans une voie qui lui est propre ». De nos jours, le mot « orbite » semble être le plus proche de ce que les versets « cosmiques » laissent comprendre. L’idée est que les astres sont soumis à des lois (sunan) qu’il appartient aux astronomes de découvrir progressivement. Tout est là dans ces versets pour dire que Dieu a établi des lois telles que le cycle de la Lune se prête au calcul « afin que vous sachiez compter le nombre des années et le calcul du temps » 

« Le Soleil et la Lune sont soumis à un calcul minutieux » (Coran 55 : 5)

Le terme coranique traduit par calcul est « husbân ». Il a la même racine que le terme « hisâb » déjà vu. Il faudra bien un jour expliquer comment se fait-il que le Coran regorge d’un aussi grand potentiel pour inciter à la science des astres et que la Oumma qui s’en prévaut se trouve dans l’emprise carcérale d’une posture « anti-calcul » au nom de ce même Coran ou des hadiths que nous allons examiner plus-bas. Si l’on sait par ce que nous enseignent les sciences de la Charia « al ‘ulûmuch-char ‘iyah) qu’un hadith authentique ne saurait contredire le Coran, il n’est pas possible d’opposer ce qu’on trouve dans la Sounna du prophète Muhammad (saws) sur le cycle lunaire à la Sounna de Dieu y afférente, c’est-à-dire, des lois qu’Il a fait de telle sorte que le calcul du mois lunaire soit possible.

Ahmadou Kanté

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