26 octobre 2013-26 avril 2017. Voilà 3 ans et 6 mois jour pour jour que le marché Sandaga de Dakar prenait feu. Un violent incendie déclaré un vendredi, vers 21 heures, au lendemain de la fête de Tabaski de cette année, avait dévasté ce haut-lieu de commerce de la capitale sénégalaise.
Fermé par Arrêté du préfet de Dakar pour vétusté des locaux, le marché était destiné à la «réhabilitation». Aussi, les commerçants ont-ils été déplacés au «Centre commercial 4C» pour une durée de 6 mois. En attendant…
Mais hélas, près de 4 ans plus tard, ces recasés du «Champ des Courses», tels qu’on les appelle, sont toujours plongés dans la misère et le dénuement.
Au site de «recasement» de Dakar, ils sont, depuis, des centaines à chercher à tirer le diable par la queue. Du matin au soir. Mais en vain !
L’enquête ouverte pour déterminer l’origine du feu n’a pas encore connu son épilogue.
Familles disloquées, enfants déscolarisés, Actusen.com est allé à la rencontre de ces pères et mères de famille «opérateurs économiques» qui ont la mémoire balafrée par des activités en cale sèche.
Au moment où leurs derniers espoirs de se faire indemniser par l’Etat ont fini de fondre comme beurre au soleil. Aussi, pour avoir assez bu le calice jusqu’à la lie, sollicitent-ils la réhabilitation du marché Sandaga.
Enquête !
Jadis ! Comme à Rio où la statue du Christ attend à bras ouverts ses visiteurs, Sandaga était jusque, dans un passé récent, ce haut lieu de commerce de la capitale sénégalaise. «Le Sénégal en miniature», dit Vieux Touré, vice-président de l’Association des commerçants du marché éponyme. Où des quatre coins cardinaux, de l’intérieur comme de l’extérieur et à «rouxou diskett», les activités rythmaient la vie des commerçants. Et des populations de la capitale.
On s’y faufilait pour se frayer un passage pour trouver un article recherché. Mais depuis l’arrivée de Macky Sall au Pouvoir ponctuée par un feu venu de nulle part, Sandaga est devenu comme un fantôme que tout le monde fuit. Les commerces, jadis florissants, sont plombés.
Le violent incendie, qui a ravagé les lieux, un soir du 26 octobre 2013, est passé par-là. Plus de 900 cantines, selon les estimations, ont été consumées. Commerçants, couturiers…tous avaient perdu leurs biens.
Feu à Sandaga…
C’était au lendemain de la fête de Tabaski. Dakar, comme à chaque fête de Tabaski, était presque vide. Beaucoup, y compris les commerçants, avaient quitté la capitale pour passer la fête en famille. Pour la plupart, à l’intérieur du pays, dans les régions.
Le marché était déjà «fermé» pour des mesures de sécurité. Une semaine plutôt par le préfet de Dakar, Aioune Badara Diop (au moment des faits). Les marchandises stockées pendant ce temps, dans les cantines, partirent en fumée.
C’est connu ! Au même titre que le «Building administratif» et l’immeuble «Air France», le célèbre immeuble Ndiouga Kébé, est construit en 1954. Bien avant l’accession du Sénégal à la souveraineté nationale.
«Le bâtiment présentait, certes, des fissures. Mais il était encore plus résistant que certains immeubles qui pullulent dans les coins et recoins de la capitale. La preuve, jusqu’à présent, il n’est pas tombé», affirme Vieux Cissé, un des délégués des commerçants.
…l’enquête toujours au point mort
La mesure de fermeture des lieux avait provoqué beaucoup de grincements de dents chez les anciens pensionnaires du marché. Les acteurs n’eurent pas compris, qu’au moment où les discussions étaient encore en cours, le marché prît feu. Comme par enchantement !
La mort dans l’âme, ils avaient accepté le sort à eux réservé. Restait à trouver un site de «recasement» pour les victimes. Les nombreuses démarches pour tirer cette affaire au clair, n’aboutiront pas.
D’abord, en accord avec la Mairie de Dakar et le Ministère de la justice, c’est le site sis en face du Palais de justice de Dakar, non loin de la gare Lat Dior qui fut trouvé. Des cantines préfabriquées et couvertes par des bâches avaient permis d’accueillir les plus chanceux.
Mais ce fut d’une courte durée. Les magistrats et autres avocats ont dit niet. «On ne peut pas cohabiter avec un lieu de commerce», disaient-t-ils. A l’époque. Le combat porté, l’Etat décidera, finalement, de recaser les victimes de Sandaga au «Champ de course» sise Malick Sy pour une durée maximale de 6 mois.
Depuis lors, des années sont passées. Et, le mal toujours profond. L’enquête ouverte par la Police n’a pas révélé ses secrets. Près de 4 ans après. Les victimes courent derrière leurs indemnisations. On scrute encore le ciel. Mais le dossier n’avance pas. Et le temps passe.
L’énigme de l’origine du feu
«Nous voulons savoir les causes de l’incendie, après de 4 ans d’attente. Parce que le marché était sous tutelle du Préfet de Dakar. Qui avait déclaré mordicus que c’est lui qui a ordonné sa fermeture (Alioune Badara Diop, actuellement, à Louga).
Depuis, motus et bouche cousue. Personne n’en parle et même les autorités étatiques ne collent aucune importance à ce marché qui, pourtant, est le deuxième contributeur économique après la diaspora», note Vieux Touré.
Si l’origine du feu n’est toujours pas connue, les commerçants, quant à eux, mettent en garde. «Qu’on ne dise surtout pas que ce sont les branchements anarchiques qui sont à l’origine du feu.
Parce que nous cohabitons avec ceux-ci, depuis plus de 50 ans et jamais, un incendie de cette ampleur ne s’est déclaré à Sandaga», fulmine Bamba Fall, le Secrétaire général de l’Association des commerçants.
Astou Ndiaye, Présidente des femmes de Sandaga, fait partie des victimes de ce sinistre. Au même titre que les dizaines de victimes, elle est recasée au «Champ de course». Native de Diamaguène, la cinquantaine sonnée, Astou a connu les périodes fastes de Sandaga. Vendeuse de légumes, elle se rappelle, comme si c’était hier, ses premières années de commerce.
«Continuer à vendre devient difficile»
«Avant, se souvient-elle, tout marchait bien. Je me réveillais, tôt le matin, tous les deux jours, pour aller à Djender, à Bayakh, Sangalkam ou dans la zone des Niayes pour me ravitailler en légumes que j’écoulais facilement à Sandaga.
Mais depuis l’incendie et notre recasement ici (Champ de courses), tout a basculé. Je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Et ombre égarée. J’ai perdu tous mes clients et les affaires ne marchent pas bien», regrette-t-elle, la mort dans l’âme.
«On souffre», ajoute-t-elle. «La moitié de celles avec qui nous étions à Sandaga, ont cessé de vendre, car, dit-elle, ça ne sert à rien de se réveiller de très bonne heure et ne rien gagner à la fin de la journée. Continuer à vendre, va devenir très difficile», bouillonne Astou Ndiaye.
Comme Astou, le mal-vivre des recasés du «Champ des courses» est profond. Touchés de plein fouet, certains ne parviennent plus à joindre les deux bouts. S’ajoutent les problèmes familiaux. «Beaucoup d’entre nous sont confrontés à d’énormes difficultés», renseigne Moussa Fall.
Rencontré (26 avril) vers 19 heures après la prière du soir, debout sur son 1,80m, le délégué du secteur boucherie affiche une piètre mine. Et quand on lui pose la question de savoir comment marchent les affaires dans ce lieu, c’est l’occasion pour lui de sortir tout ce qu’il a dans le ventre. Et déverser sa bile sur les autorités.
Familles disloquées, enfants déscolarisés
«Jetez un coup d’œil dans l’enceinte du marché», recommande Moussa Fall, en faisant un geste de la main. Avant d’ajouter : «que remarquez-vous ?». En effet, sur une superficie de quelques m², certains ont abandonné leurs étales, depuis belle lurette.
«C’est dur pour tous. Depuis près de quatre ans, on vit un mal profond. Certains ont abandonné leurs commerces, faute de moyens. Des familles disloquées ou délogées de leurs maisons de location, faute de moyens financiers pour s’acquitter du paiement du loyer», explique Moussa Fall.
Déplacés au site du «Champ de courses», beaucoup de commerçants sont, aujourd’hui, en faillite. Certains, parmi eux, ont des enfants renvoyés de l’école pour cause de moyens. «Trop, c’est trop», fulmine Vieux Touré.
«Trop, c’est trop» !
Pour sa part, Bamba Ball, secrétaire de l’Association des marchands de Sandaga, n’était pas, au début, décidé que les victimes allaient rester aussi longtemps sur ce site, après l’incendie qui a ravagé le marché Sandaga.
«Leur recasement au «Centre commercial 4C» était une solution provisoire. Et ne devait durer que 6 mois au maximum, selon les prévisions des autorités. Quatre ans après, ils y sont toujours. Que veut l’Etat ?», s’interroge-t-il.
Au-delà des pertes matérielles dont la valeur est, jusqu’à présent, inconnue, faute d’évaluation et la situation précaire des «déplacés», l’incendie de Sandaga et la fermeture du marché ont causé d’énormes victimes.
Si certains songent encore à reprendre leurs cantines, force est de reconnaître que beaucoup ont quitté ce bas-monde. Toutefois, le combat semble prendre, dernièrement, une autre ampleur.
Les riverains de Sandaga se joignent à eux. Et appellent le Gouvernement de Macky Sall à une réhabilitation rapide du marché. La raison est somme toute simple : ces commerçants louent des magasins de stockage qui profitent aux bailleurs du centre-ville. Et s’indignent de voir que la gestion du marché soit dévolue à la ville de Dakar.
Dévolution du marché Sandaga à Dakar-Plateau : une marche en vue et « coachée » par l’équipe du maire Alioune Ndoye
Aujourd’hui plus qu’hier, les Collectifs «Manko Defar Plateau, And Taxaw Sandaga, Ambulants du Plateau» réclament la dévolution du marché Sandaga à la Commune de Plateau, suite à l’Acte III de la décentralisation qui renforce les prérogatives des Communes du Sénégal.
«Comme la plupart des communes du pays, celle de Dakar-Plateau, au cœur de laquelle se trouve le marché Sandaga, doit être la première bénéficiaire des retombées de ce lieu de commerce. C’est une vielle doléance que nous adressons à Macky Sall, comme ce fut le cas avec ses prédécesseurs», a insisté Mousa Wane, porte-parole du Collectif des riverains du marché Sandaga.
Ce combat semble être accepté par la Commune de Plateau et le maire Alioune Ndoye. Puisque, ce 1er mai, le collectif des riverains de Sandaa compte marcher pour cette doléance et sera soutenu par la Mairie de Dakar-Plateau, nous souffle-t-on.
Dangers permanents…
«On ne peut pas déloger des commerçants et laisser des bandits, des malfrats, des voyous qui squattent les lieux, jour et nuit», martèle Moussa Wane, ruminant, par ailleurs, sa colère noire.
«Le danger est permanent. On ne sait ni l’heure ni le jour, mais tout peut basculer, à tout moment, si le bâtiment succombait», s’empresse-t-il d’avancer. Non sans mettre en garde : «l’irréparable peut se produise, à tout moment parce qu’il y a des gens qui y passent la nuit. On n’en connaît pas le nombre…».
Ses inquiétudes ne sont pas partagées par les commerçants. Car, contrairement à ce qui se passe dans le reste du pays, notamment en banlieue de Dakar, aucun meurtre n’a encore été signalé en centre-ville.
«Nous avons toujours cohabité avec les sans-abris. Ce n’est pas aujourd’hui que cela doit poser problème. Ce sont des «boudjman» ou recycleurs qui profitent de la poubelle. Tout ce que nous voulons, c’est la réhabilitation du marché. Pour que no «amis » recasés au 4C puissent revenir et exercer leur métier ici», clame Vieux Touré.
Audience avec le Chef de l’Etat
Commerçants et opérateurs économiques à la fois, disent-elles, les victimes de l’incendie de Sandaga trouvent «anormale» leur mise à l’écart dans le Plan Sénégal émergent (Pse), référentiel du programme économique du Président Macky Sall.
«C’est quand même bizarre qu’on parle de Pse, sans inclure les commerçants qui sont des opérateurs économiques», fustige Vieux Touré, le vice-président de l’Association des marchands de Sandaga. «Nous avons notre contribution dans le Pse, parce que nous sommes des opérateurs économiques. Nous nous voyons dans ce plan économique», ajoute-t-il.
En un mot comme en mille, les commerçants de Sandaga, après avoir usé de toutes les voies de résolution de la crise en vain, sollicitent une audience auprès du Chef de l’Etat, Macky Sall. Mais avant cela, ils comptent marcher, le 1er Mai prochain, à l’occasion de la fête du travail pour porter leurs doléances au Président de la République.
Gaston MANSALY (Actusen.com)