En marquant dès son premier match à Goodison Park le week-end dernier, Wayne Rooney n’a pas manqué son retour à Everton, le club de son cœur et de ses débuts, où il fut un jour adulé puis détesté.
Finalement, dans un monde du football emporté par la folie dépensière, il y a encore un peu de place pour l’amour du maillot et les belles histoires. Celle d’un gamin qui réalisa son rêve de porter un jour le maillot d’Everton et d’un adulte d’y finir sa carrière. La première image que l’on garde de Wayne Rooney sous ce maillot bleu est un but, et la dernière aussi.
Le premier l’annonça au monde du ballon rond, à seulement 16 ans et 360 jours, d’une frappe sous la transversale de David Seaman qui mit fin à la série de 30 matches sans défaite en championnat d’Arsenal. Accord parfait de ses deux principales qualités qui ont toujours eu le mérite de cohabiter : soudaine, comme cette hargne qui l’anime depuis tout petit, et enroulée, comme cette justesse technique qui n’a rien à envier à Beckham et Gerrard. Le dernier est aussi son premier de la saison pour son retour à Goodison Park : une tête en extension, parfaitement exécutée, qui rappelle que Rooney est un buteur formidable capable de marquer dans toutes les positions.
Premier match à Goodison en couche-culotte
Entre ces deux moments, il y a un peu moins de quinze ans et un peu plus de cinquante kilomètres, la distance qui sépare Croxteth, le quartier de Liverpool où il a grandi, de Manchester, où sa carrière avait élu domicile depuis 2004. Malgré des offres pharaoniques émanant de Chine depuis plusieurs mois, Rooney n’avait qu’une envie : effectuer le trajet inverse et retrouver le club de son cœur, celui de son enfance, où il est arrivé très tôt, à l’âge de 9 ans, et d’où il est parti très tôt, à l’âge de 18 ans.
Quelque part, ce come-back ressemble donc aux retrouvailles d’un amour enfoui. La réalité est un peu plus compliquée et heurtée. Car celui qui a assisté à son premier match à Goodison en couche-culotte, tapissait les murs de sa chambre de posters d’Anders Limpar, attendait à la sortie du centre d’entraînement d’Everton pour obtenir l’autographe de Duncan Ferguson, est passé de fierté locale à paria. L’un des pires moments de la carrière du joueur reste le jour où, peu de temps avant son transfert à MU (25,6 millions de livres, un record pour un gamin de 18 ans), deux ans seulement après ses débuts professionnels, la tribune de Gwladys Street, qui le considérait comme l’un des siens, a scandé son nom et un terrible… « There’s only one greedy bastard » (« Il n’y a qu’un seul bâtard gourmand »).
Des insultes taguées sur les murs de sa maison
Quelques jours plus tôt, Paul Stretford, le très influent agent, avait commis le crime de lèse-majesté en monnayant (250 000 livres) une série d’interviews exclusives de son poulain avec… The Sun, journal haï et banni à Liverpool depuis les allégations mensongères du tabloïd sur le drame de Hillsborough (The Sun avait porté la responsabilité du mouvement de foule sur les supporters, allant jusqu’à les qualifier d’ »animaux »). Des insultes furent taguées sur les murs de la maison familiale qui, plus tard, lui causa d’autres soucis.
Après son transfert à Manchester, Rooney avait dû racheter celle-ci, incluse dans son premier contrat professionnel à Everton et où ses parents avaient emménagé, et rembourser les intérêts payés par le club. Une somme que les dirigeants des Toffees mirent deux années à obtenir tandis que le joueur accusa le club d’avoir menacé d’expulser père et mère !
Rooney n’oubliera jamais non plus le jour où, assis devant sa télévision, il avait vu défiler les messages envoyés par les fans d’Everton disant qu’il n’avait jamais été un « vrai blue » ou le qualifiant de « Judas ». Le joueur avait pris son téléphone et tenté de se défendre en envoyant à son tour un message à Sky : « Je suis parti parce que le club me prenait la tête, Wayne Rooney ». Quelques minutes plus tard, le présentateur de la chaîne lança : « Est-ce que les gens prétendant être Wayne Rooney pourraient, s’il vous plaît, arrêter d’envoyer des messages ? »
Ses trois enfants sont nés dans des hôpitaux de… Liverpool
Malgré tout ça, malgré ses titres et ses records sous le maillot des Red Devils, malgré les approches du Real Madrid et du PSG, malgré les ponts d’or chinois, Rooney a toujours eu Everton dans la peau. Il a ainsi tout fait pour que sa femme accouche de « scousers » dans des hôpitaux de Liverpool et échappent au tampon « Born in Manchester » sur leurs passeports où le clan Rooney résidait pourtant. A la maison, le joueur et ses trois enfants portent des pyjamas aux couleurs des… Toffees.
Enfin, en 2015, alors qu’il était capitaine de Manchester United, Rooney n’avait pu refuser de revêtir le maillot d’Everton à l’occasion du Testimonial (jubilé) de Duncan Ferguson, son idole absolue, à qui il avait envoyé une lettre de réconfort quand celui-ci avait été emprisonné pour un coup de tête sur un adversaire en 1994. Aujourd’hui, ce Ferguson-là a joué un grand rôle dans le retour du local boy en réussissant à convaincre Ronald Koeman, dont il fait partie du staff.
Comme l’a dit le manager des Blues, Wayne Rooney n’est pas venu à Everton pour planter vingt-cinq buts mais pour apporter son expérience aux jeunes (Davies, Holdgate, Calvert-Lewin, Lookman…) et être un leader dans le vestiaire. C’est malin, autant que le recrutement réalisé par le club depuis un an : le capitaine gallois Williams, le feu follet Bolasie, les milieux Gueye et Schneiderlin la saison passée, le futur gardien de l’Angleterre Pickford (Sunderland), le tout récent défenseur international anglais Keane (Burnley), l’ancien capitaine de l’Ajax Klaassen et l’excellent Sigürdsson (Swansea) cet été qui devrait accélérer le départ de Barkley (Tottenham ou Chelsea). La seule énigme réside dans l’acquisition de l’international espoirs espagnol Sandro Ramirez pour remplacer Lukaku et ses vingt-cinq buts par saison. Car ils savent qu’ils ne pourront pas toujours se reposer sur Rooney.
Comme Henry à Arsenal
L’Anglais sait l’exercice d’un retour périlleux. Celui de Robbie Fowler à Liverpool en 2006, cinq ans après être parti, n’avait pas été une franche réussite. Il tentera plutôt de s’inspirer de ceux de Didier Drogba à Chelsea, sacré champion d’Angleterre trois ans après avoir quitté le club londonien au sommet de l’Europe (2012), ou de Jürgen Klinsmann à Tottenham en 1997 où il inscrit 9 buts en 15 matches.
En attendant, Rooney n’aurait pu rêver meilleures retrouvailles : marquer pour son retour. La communion entre le joueur et les supporters d’Everton m’a rappelé le retour de Thierry Henry à Arsenal un soir de Cup contre Leeds (1-0) en janvier 2012. J’étais à l’Emirates Stadium ce jour-là. On en avait parlé entre journalistes, avant la rencontre, sans trop y croire mais en se disant que cela ferait une belle histoire à écrire. Et ce qui devait arriver arriva, comme dans un rêve. Sur une ouverture de Song, Titi avait fait sa spéciale, intérieur du pied droit dans le petit filet opposé, et fait chavirer le stade de bonheur. Ce jour-là, joueurs, spectateurs, journalistes, tous présents au stade, avaient assisté à un rêve de gosse : marquer le but de la victoire en faveur de l’équipe dont il était devenu supporter.
Avec Eurosport.fr