Les 4 et 5 octobre 2016, Matthew, un ouragan de catégorie 5 a traversé la péninsule sud d’Haïti, faisant plus de 500 morts et dévastant quatre départements. Un an après, retour sur les lieux de la catastrophe.
Le 3 octobre 2016, la protection civile accompagnée d’élus locaux arrive en trombe aux Chardonnières, un petit village de pêcheurs situé entre les villes de Port Salut et Les Anglais dans le département du Sud. Elle intime aux habitants l’ordre de quitter immédiatement leurs habitations et de se réfugier dans la montagne. Un ouragan majeur est à l’approche. Il s’appelle Matthew.
Jean Dominique Chéry rassemble immédiatement les membres de l’association de pêcheurs, dont il est le président. Il s’agit d’éloigner les embarcations, les moteurs et les filets du front de mer, de les tirer le plus possible à l’intérieur des terres.
« Nous avions l’impression d’arriver sur une autre planète »
Dans la nuit du 4 au 5 octobre, Matthew s’abat sur la côte Sud d’Haïti avec des vents soufflant à 230 km/h. Réfugié sur la montagne avec les siens, Jean Dominique Chéry fait face aux éléments déchaînés. « De là où nous étions, nous voyions les vagues. Elles étaient impressionnantes. Nous avions l’impression qu’elles allaient arriver jusqu’à la montagne. Et il y avait tellement de vent et de pluie », se souvient-il. « Les premiers d’entre nous ont osé revenir aux Chardonnières vers huit heures et demie le lendemain matin. Il n’y avait plus rien. Tout a été dévasté : les champs, les maisons… Nous avions l’impression d’arriver sur une autre planète. Alors les gens ont commencé à pleurer, à crier. Dieu leur avait laissé la vie sauve, mais ils avaient tout, absolument tout perdu. C’était effrayant ».
Auprès des bailleurs de fonds, Haïti ne fait plus recette
Les précautions prises par l’association de pêcheurs se sont révélées vaines. L’ouragan a emporté une large partie du matériel laissant derrière lui une population démunie, la pêche étant l’une des principales sources de revenus aux Chardonnières. Pour relancer la filière pêche aux Chardonnières comme dans d’autres communes, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a fourni après le passage de Matthew des moteurs et d’autres outils aux organisations de pêcheurs. 1 200 pêcheurs ont pu bénéficier de ce soutien, détaille Samuel Dol. Toutefois, constate ce consultant national pour la FAO dans le département du Sud, « la situation des pêcheurs, un an après la catastrophe, n’est pas encore revenue à la normale. Les matériels que nous avons pu leur fournir sont insuffisants par rapport à leurs besoins ». En cause : un manque de moyens financiers. Auprès des bailleurs de fonds, Haïti ne fait plus recette.
Faute de bateaux et de matériel suffisants, les pêcheurs des Chardonnières organisent des roulements. « Trois pêcheurs, dont un capitaine, partent sur une embarcation et restent deux jours en mer. A leur retour, une autre équipe prend leur place », détaille Jean Dominique Chéry.
Une agitation soudaine autour du bâtiment de l’association de pêcheurs annonce l’arrivée imminente d’un bateau. Femmes et enfants courent vers la plage où les hommes tirent au rythme des vagues l’embarcation sur le sable. A son bord, un thon d’une quarantaine de kilos, deux dorades et plusieurs dizaines de poissons de petite taille. Si le capitaine n’est pas insatisfait de la pêche du jour, pour lui, les vrais soucis commencent maintenant : « Notre problème c’est que depuis le passage de Mathhew il n’y a plus de marché pour pouvoir écouler nos poissons ». Débute alors la rude négociation avec les poissonnières. « Les pêcheurs recommencent à rapporter du poisson au village », explique la marchande Inéquite Beaulieu, le visage couvert de sueur. « Mais comme nous n’avons pas d’argent, nous ne pouvons pas leur en acheter. Et eux ne veulent plus rien nous vendre à crédit, car si nous n’arrivons pas à les rembourser, faute de clients, ils n’auront pas d’argent pour payer l’essence pour retourner en mer ».
« Je n’ai pas encore remboursé les tôles qui couvrent ma maison »
Quelques kilomètres à l’est des Chardonnières se situe le hameau de Table au Diable, une section communale de Roche à Bateau. Il y a un an, des vagues de 10 mètres ont emporté les cabanes en tôles des plus démunis, installés depuis toujours sur un plateau rocheux au bord de la mer. Les survivants ont rebâti des abris de fortune… au même endroit.
Les quatre murs de l’habitation de Dieuquila Blanc sont constitués de bois flottés et de morceaux de tôle rouillés récupérés après le passage du cyclone. A l’intérieur, la chaleur est insoutenable. « Quand le vent souffle, toute la maisonnette tangue. Elle n’est pas solide. Elle est juste posée sur la roche », raconte cette mère de famille qui n’a pas pu enterrer son mari disparu lors du passage de Matthew et dont le corps n’a jamais été retrouvé. « Quand il pleut, c’est pire. L’eau rentre de partout parce que je n’ai pas encore pu recouvrir toute ma maison de tôles. Et celles que vous voyez-là ne sont même pas vraiment à moi. Je n’ai pas encore pu les rembourser ».
Des quatre départements sinistrés par Matthew, celui de la Grand’Anse a été particulièrement durement touché. Considérée comme l’un des traditionnels greniers d’Haïti, la population y vit principalement de l’agriculture. Mais en empruntant la Route nationale 7 qui nous mène à travers les montagnes du Sud à la Grand’Anse nous ne croisons en tout et pour tout que deux marchandes de fruits et légumes. L’une vend quatre avocats, l’autre un panier d’ignames.
Lors d’une halte, nous faisons la connaissance de Félicia Joseph. D’un geste de la main elle nous désigne cinq jeunes hommes. La radio de l’un de leurs motos-taxis crache une musique assourdissante. « Regardez ces chauffeurs de motos-taxis », se désole la jeune femme. « Ils passent toute la journée à ne rien faire. Ils n’arrivent pas à trouver des passagers. C’est dû au passage de l’ouragan. Avant Matthew, nous pouvions facilement aller cueillir dans nos champs deux douzaines de noix de coco et les vendre sur le marché. Avec cet argent, nous pouvions nous procurer tous les produits dont nous avions besoin, soit ici, soit dans la prochaine ville en nous y rendant justement en moto-taxi. Mais comme nos champs ont été dévastés, nous n’avons plus rien à vendre. Et bien sûr que cela affecte aussi les chauffeurs. C’est un cercle vicieux ».
Pourtant Félicia Joseph ne baisse pas les bras. Depuis six heures du matin, elle tente de vendre des petits pains sur le bord de la route nationale. « Il est midi maintenant. Et croyez moi ou pas : je n’ai pas réussi à en vendre un seul pour l’instant », soupire-t-elle. « Ce n’est pas parce que les gens ne veulent pas de mes pains. C’est parce que personne ici n’a de l’argent pour en acheter. Ce soir je ne pourrai pas rembourser la farine que j’ai achetée à crédit pour fabriquer ces pains. Donc demain, vous ne me verrez plus ici ».
La gestion de la distribution de l’aide humanitaire pointée par les agriculteurs
A vive allure, André Oreste se fraye un chemin à travers son champ à Beaumont, une commune de la Grand’Anse. L’inquiétude se lit sur son visage. « Vous voyez ces tiges, dit-il en arrachant plusieurs plantes de la terre. Elles ne portent aucun haricot ». La première récolte post-Matthew a été mauvaise, raconte cet agriculteur et ancien maire de la ville. « Le climat nous a pas été favorable. Il y a eu beaucoup trop de pluies et même des journées entières de grêle. Presque toute la récolte de février a été perdue. Et celle qui arrive ne s’annonce guère meilleure ».
André Oreste se dit « grand cultivateur ». Il a la chance de posséder plusieurs champs ainsi qu’un petit magasin au centre-ville. Mais il est alarmé du sort des paysans qui vivent dans des zones isolées dans les montagnes alentour.
« Après le passage du cyclone, ils étaient tous venus se réfugier dans la ville », raconte-t-il. « A Beaumont, ils avaient reçu de l’aide alimentaire de la part des organisations humanitaires. Or cela doit faire quatre ou cinq mois qu’ils ne reçoivent plus rien. Pourtant ils ont toujours faim. Et comme ce sont des cultivateurs, ils sont donc retournés chez eux, cultiver la terre. Ils ont planté du manioc et des patates. Mais ces légumes ne seront consommables que d’ici trois mois. Seulement voilà : ces paysans n’ont aucune réserve ! Tout ce qu’ils produisent, ils le mangent le jour même. Et le lendemain ils doivent de nouveau trouver quelque chose à manger. Ils sont aux abois ! Si vous leur rendiez visite dans la montagne, vous seriez choquée de voir comment ils vivent. Ces paysans survivent dans des conditions inhumaines ! Ils sont toujours sous des bâches et ils sont affamés ».
Comme de nombreux autres agriculteurs, Oreste André dénonce la mauvaise gestion de l’aide humanitaire Post-Matthew. « Notre Etat est irresponsable. La mairie réclame toujours une partie de l’aide humanitaire. Mais au lieu de la distribuer ensuite de manière équitable, elle en fait une affaire politique et distribue par exemple des semences parmi ses partisans. Et les paysans dans la montagne n’ont jusqu’à aujourd’hui rien reçu. Alors qu’ils crèvent de faim ».
Pour les sinistrés de l’ouragan Matthew en Haïti, l’urgence perdure. Alors que l’assistance humanitaire, elle, est déjà passée de la réponse d’urgence à la phase de relèvement.