Jour historique en Espagne, ce vendredi 27 octobre : la Catalogne, région du nord-est de l’Espagne, a proclamé son indépendance ; au même moment, le Sénat espagnol validait la mise sous tutelle de la région rebelle, destituant son exécutif et convoquant des élections régionales pour le 21 décembre. Quarante ans après le retour de la démocratie, l’Espagne est plongée dans une crise politique sans précédent.
Mariano Rajoy ne pouvait accepter la déclaration unilatérale d’indépendance et l’application de l’article 155 était, à ses yeux, une obligation très ferme en disant que c’était là la seule manière de « restaurer la légalité constitutionnelle ». Légalité, qui aux yeux de Mariano Rajoy, a été gravement violée par les séparatistes catalans.
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La mise sous tutelle par Madrid, qui n’a encore jamais été appliquée par l’Etat à une région, est donc l’issue fatale. Et même si pour le gouvernement, cela sera très compliqué et que cela constitue une mesure d’exception, il se sait appuyé et soutenu par les principaux Etats européens, ainsi que par le Parti socialiste et par les centristes libéraux de Ciudadanos.
Des paroles aux actes
Même si le temps semble jouer en sa faveur, Mariano Rajoy a déjà officiellement destitué El Govern, l’exécutif de Catalogne : Carles Puigdemont, son vice-président Oriol Junqueras et près de 254 cadres catalans. Parmi eux, toutes les personnes de confiance qui travaillaient avec le gouvernement catalan, des conseillers, des consultants, mais également des chefs de cabinet. Les représentants de la Généralité à Madrid et à l’étranger ne pourront également plus exercer leur fonction.
Une autre tâche délicate a été mise en oeuvre dès ce début de semaine : la décapitation de la police catalane et de ses 17 000 Mossos d’Esquadra, eux-mêmes divisés. La direction de la police catalane a été démise de ses fonctions ce samedi matin, l’acte a été inscrit au journal officiel. Le gouvernement de Madrid devrait laisser les fonctionnaires accéder à leur bureau aujourd’hui, mais tous ne s’y risqueront pas de peur d’être accusés d’usurpation de pouvoir, et ce même si la police catalane a ordonné à ses agents de respecter la neutralité.
Une autre difficulté s’annonce : il s’agira de sortir physiquement Carles Puigdemont et les siens du palais de la Généralité à Barcelone. Le leader séparatiste, qui tient tête à Madrid depuis plus d’un mois, a déclaré hier qu’il ne se rendrait pas. Il peut pour cela compter sur la solidarité d’un certain nombre de ses alliés politiques, déterminés à poursuivre jusqu’au bout le processus d’indépendance dont ils ont tant rêvé.
Les indépendantistes appellent à la résistance et au dialogue
C’est le cas du député Ferran Civit, du parti ERC membre de la coalition indépendantiste Junts por el Si, qui se dit serein, malgré les menaces d’arrestation pour sédition. « Personne n’est courageux de naissance, mais on doit tous être cohérents et en accord avec nos idéaux. Nous sommes venus ici proclamer la République de Catalogne, et si nous devons assumer des peines de prison, de privation de liberté, ou qu’ils nous privent de toutes nos richesses, et bien nous l’assumerons. Car je veux dormir tranquille toutes les nuits, et ça signifie être cohérent avec mon idéal », explique-t-il à RFI.
« On devra résister avec la volonté de tous », enfonce Jordi Ignasi Vidal, maire indépendantiste de Balaguer en Catalogne. Ce membre d’Esquerra Republicana (ERC) était présent au Parlement pour représenter sa commune de 70 000 habitants qui ont massivement voté pour le processus d’indépendance, le 1er octobre dernier. Il se dit heureux de la proclamation de la République de Catalogne, et s’attendait à la réaction du Sénat et à la mise sous tutelle. Mais « on n’avait pas d’autre choix. Dans d’autres régions, les gens ont été autorisés à voter, on leur a promis d’essayer de trouver des solutions, de respecter leur langue, etcétéra… Ici, ça a toujours été des menaces, les réponses, c’était toujours non, non, non. A partir d’un moment, quand tout le monde dit non, et bien on se dit qu’il faut y aller ».
Désormais, conclut-il, « ce sont deux pays qui vont devoir collaborer dans le sud de l’Europe; je pense que le pragmatisme devra l’emporter. Le gouvernement espagnol n’aura pas d’alternative que de s’asseoir et dialoguer parce que cette situation ne peut pas durer éternellement, et j’espère que ça se fera à court terme pour éviter le pire ».
D’autres leaders indépendantistes interrogés par notre correspondante à Barcelone, Laetitia Farine, ne cachent pas leur inquiétude. Ils disent d’être un peu nerveux à l’idée des conséquences de l’article 155, des inquiétudes partagées par les opposants à l’indépendance qui craignent surtout des répercussions sur l’économie de la région après le départ de plus de 1 500 entreprises depuis le référendum du 1er octobre.
L’économie espagnole menacée si la crise se prolonge
« Une Espagne sans Catalogne, ce n’est pas une Espagne, elle sera terriblement affaiblie, c’est certain, estime de son côté Paul Dembinski, directeur de l’Observatoire de la Finance à Genève, professeur à l’université de Fribourg. De la déclaration d’indépendance à une sortie de la Catalogne de l’Espagne, il y a quand même un long chemin. On reste quand même dans la gesticulation. Mais si cette gesticulation dure, il y a des entreprises qui vont poser des actes et ces actes seront en dehors de la Catalogne. »
Pour beaucoup d’observateurs en effet, la première menace concerne l’économie régionale et, par ricochet, nationale. « Le fait d’être dans cette gesticulation agressive, prétérite à moyen terme l’avenir économique de la Catalogne, et probablement aussi de l’Espagne. Parce que si les Espagnols ne sont pas capables de résoudre la crise catalane, peut-être mieux vaut investir au Portugal ou en France plutôt qu’en Espagne puisque justement les institutions sont incapables de répondre aux défis », analyse Paul Dembinski.
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Cette rupture sans précédent avec l’Espagne suscite la consternation dans les milieux économiques et financiers. Les réactions boursières et la fuite des entreprises et des banques de la Catalogne l’ont déjà montré. Toutefois, « entre déménager le siège social et déménager les instruments de production, il y a un pas », tempère le spécialiste pour qui « l’emploi à court terme » n’est pas en danger. Le risque pèse si la confrontation dure. « Les gens vont investir ailleurs parce qu’ils vont avoir peur du risque politique. C’est un territoire qui sera traversé par des tensions. Cela peut signifier des ruptures d’approvisionnement, des embêtements aux frontières, etc. Les entreprises n’aiment pas ce type de risque. »
Enfin, le risque d’une « contamination » en Europe de cette fièvre indépendantiste, est à considérer sérieusement, prévient Paul Dembiski. L’Ecosse et les régions italiennes de Lombardie et Vénétie, qui viennent de tester le poids de leurs convictions par référendum, sont là pour le rappeler.
Rfi