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Qui disait qu’on était libre ? Ici ou ailleurs ? (Chronique de Alioune FALL)

C’est sûrement celui qui porte une longue chaîne autour de son cou. Une chaîne assez longue pour lui permettre des mouvements que les pensionnaires de Gorée n’avaient pas, lorsqu’ils étaient entassés dans des chambres étroites. Si la comparaison ne tient qu’à une dimension spatiale, peut-être, qu’une certaine liberté peut nous être reconnue.

Et si on relativise. On bouge un peu de ce paradigme. On essaie d’entreprendre un long voyage. Ce périple, dont la distance se trouve supérieure à la longueur de la chaîne que l’esclave moderne porte à son cou, d’un moment à l’autre, on rompt brusquement avec les rêveries. Comme pris par des barbelés en pleine course de nuit, on se rend à l’évidence d’une servitude moins brute certes, mais plus sournoise.

En 2017, la distance entre nos pays et la Libye semble plus longue que cette chaîne. Ceux qui sont allés à l’aventure viennent d’être marqués par un réveil brutal. Ils ne risquent pas de se rendormir si tôt ; et pour cause : le traumatisme sonnera encore longtemps dans leurs têtes. Ils devront se battre contre une douleur enfoncée telle une dague dans leur cœur et une déception face au mensonge historique bu tout au long d’un cursus scolaire, durant lequel, on leur a appris que l’esclavage était aboli – déjà-  en 1848.

La narration est tellement dure que je me passerai des détails sur les prix qui ne sont pas aussi élevés que celui d’un mouton digne du sacrifice de la fête de « tabaski ». Je vous épargnerai aussi des détails des conditions de détention qui sont pires que le traitement réservé aux animaux.

Après tout, les manuels d’Histoire nous apprennent que la traite arabe était, de loin, plus horrible que la traite négrière. J’aurai honte de m’aligner sur des slogans victimaires du genre : Je ne suis pas à vendre. Certaines pratiques ne relèvent que de la bêtise humaine et elles ne me feront pas adopter des mots sémantiquement impropres à la nature humaine.

Et ceux qui, au fond d’un canapé douillet, pianotent des mots de compassion et d’indignation, envoient une grande quantité de pitié et cherchant des responsables à ce drame, auraient mieux fait de comprendre que s’ils se sentent encore libres, c’est qu’ils n’ont pas daigné faire la même distance que ces aventuriers de l’Atlas. Qui disait qu’on était libre, nous a menti. Et si on aime encore croire en la gentillesse de tout le monde, c’est qu’on ne vaut pas mieux qu’un petit enfant.

Il faut aussi être candide pour penser qu’il suffit de lever une armée, pour aller récupérer les compatriotes des camps de concentrations. La réaction serait aussi inintelligente qu’empreinte de passion. N’oublions pas qu’on a tous une chaîne, aussi longue soit-elle, qui nous maintient esclave. On serait alors surpris, si nos armées marchaient une telle distance sans les moyens des opérations extérieures de maintien de la paix. Des pauvres ne font pas la guerre.

On le sait, maintenant, depuis l’affrontement entre le Mali et le Burkina qui n’aura créé que l’histoire d’une journée. Il n’est même pas besoin de raconter aux enfants que ces deux pays n’ont pas pu aller au-delà de 18h de guerre. La journée était assez longue, pour que les chars ressentirent une terrible soif de carburant et finirent par s’embourber dans les champs du sahel.

Tout cela demande des préalables jamais posés jusque-là. Si en 2017, des êtres humains se laissent prendre à l’esclavage, c’est probablement parce que la pénibilité de l’aventure les a vidés de toutes leurs forces. Aucune résistance possible devant des voyous forts et armés. Et quand on a faim, on ne se bat pas. Alors, la première guerre à entamer est celle du bol de famille.

La note d’information et d’alerte du 10 octobre lancée par l’ONG Action Contre la Faim est assez édifiante, sinon confirme ce que l’on savait déjà, au vu de la pluviométrie de cette année. La vulnérabilité de ce pays est inquiétante, son incapacité à développer des résiliences face à certains chocs expose à des phénomènes similaires. Alors, si on s’étonne que des jeunes veuillent partir à l’aventure, on n’est juste pas raisonnable. Le pactole réuni pour tenter sa chance dans le Sahara ou la Méditerranée peut, certes, être suffisant, pour financer une activité génératrice de revenus.

Pendant ce temps, ceux, à qui le système profite, naviguent sur les efforts quotidiens des braves ; les gouvernants ne font rien et pire…

Mais n’oublions pas que les actions politiques et les pesanteurs sociales ne favorisent que très peu les success-story. Face à un référentiel de réussite très élevé, les braves gens qui prennent d’assaut les bus et autres moyens de transports, dès l’aube ,ne s’agitent que pour survivre. Pas plus.

Ils sont braves et trop optimistes, mais ils ne réussiront pas à se hisser à ce référentiel trompeur. Ceux, à qui le système profite, naviguent sur les efforts quotidiens des braves. Ils sont nombreux à être des parasites, qui étanchent leur soif, grâce à la sueur versée par des hommes et des femmes, qui ignorent des concepts de SMIG et de travail décent.

Pendant ce temps, les gouvernants ne font rien pour stopper les tentatives désespérantes des jeunes compatriotes. Ils sont occupés à chercher une trêve à leurs querelles politiques, à l’aide d’un semblant de dialogue politique. Et au bout du compte, quand on se partagera la réserve foncière, les favorisés feront semblants de ne pas voir la misère, qui se creuse. Ils ne voudront pas se réveiller devant leurs échecs et lâchetés. Ils érigeront un quartier résidentiel entre riches pour mieux faire l’autruche.

Et quand arrivera le moment d’aller à la rencontre de ceux qui «survivent», ils essaieront la chaise du tailleur, mimeront la station debout du vigile, dont le solde mensuel ne peut même prendre un studio en location. Ils marcheront quelques minutes dans les quartiers inondés. Ils clameront une similitude de quotidien, voleront la vie des pauvres. De toute manière, il n’est pas difficile de faire le pauvre, le temps d’une campagne.

Ces indigents, au moins, ne se feront pas d’illusions ; ils savent qu’avec leurs revenus, ils ne pourront jamais s’offrir un toit. Ce sont les impétueux, qui se risquent à avoir les mêmes aspirations que les gens d’en haut, qui risqueront leurs vies et leur liberté pour se rendre compte que quelle que soit la longueur de sa chaine, une sorte d’esclavage l’attache au cou.

…ils sont occupés à chercher une trêve à leurs querelles politiques, à l’aide d’un semblant de dialogue politique

Alors, ici ou ailleurs, nous sommes des esclaves. Qui disait qu’on était libre n’est certainement pas conscient que l’eau nous est fournie par des étrangers ; assez gentils pour nous aider à éteindre un feu, mais très voraces quand il faut puiser du pétrole. Et comme pour diminuer les bouches qu’ils devront nourrir, ils recommandent que l’on fasse moins d’enfants. Cruel !

Cupides, nos leaders cèdent le contrôle des  chaines contre des perles et autre pacotille d’un côté. Enfermons-nous et mourrons ici, car, de l’autre côté, d’autres Africains à  la peau moins foncée, nous tiendront pour esclave. Mais dans un monde de brute, l’esclave c’est celui qui ne sait pas se défendre.

Chronique de Alioune FALL

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