Deux personnes sont mortes en RDC ce dimanche 25 février dans la répression des marches organisées ce dimanche à la sortie des messes à l’appel du Comité laïc de coordination. Une personne a été tuée par balles à Kinshasa et une autre a succombé à ses blessures à Mbadanka, selon un bilan des Nations unies, qui font aussi état de 47 blessés et de plus de 100 arrestations à travers le pays. Dans une allocution diffusée par la RTNC, le porte-parole de la police a assuré qu’il n’y avait aucun mort, seulement deux blessés qui étaient des délinquants et quelques interpellations dans la ville de Goma. La Monusco demande une enquête.
La tension a baissé à Kinshasa en cette fin de journée, mais la capitale reste marquée par les violences du matin. Les barrages de police ont beau avoir été levés dès le début d’après-midi, il n’y a presque aucune circulation dans le centre-ville.
D’après plusieurs sources, deux personnes ont perdu la vie lors de la répression de ces marches organisées à l’appel du CLC. A Kinshasa, dans certains quartiers, les manifestants ont été dispersés à coup de gaz lacrymogènes et tirs de balles, selon des témoins, notamment à Saint-Benoît de Lemba où le premier mort a été signalé.
Rossil, mort à Kinshasa, « tué à bout portant »
Le portail de l’hôpital Saint-Joseph de Limete s’ouvre en catastrophe. Une petite voiture entre. Visiblement, c’est un taxi. Tout se fait rapidement. A l’intérieur de la voiture, deux jeunes transportant un autre, qui lui est torse nu. Les impacts de balle sont visibles sur sa poitrine. Il s’appelle Rossil.
Pendant que les infirmiers l’emmènent aux urgences. Un de deux jeunes hommes explique ce qui s’est passé. « Il est sorti pour fermer le grand portail de l’Eglise (Saint-Benoît, ndlr). Un policier a ouvert la porte, il a tiré à bout portant sur notre ami. »
Aux urgences, les médecins n’ont fait que constater le décès. Dans la cour de l’hôpital, la famille et les amis sont déjà là. Ils ne se doutent de rien. Quelques minutes plus tard, l’ambulance se positionne devant la salle d’urgence. Le corps de Rossil va être conduit à la morgue. «
Emotion, tristesse, incompréhension et colère. « Raaah, Rossil, Raaahh!! », « il vient marcher pour son pays ! Qu’a-t-il fait ? Qu’a-t-il fait de mal ? Nous n’allons pas cesser de combattre, nous irons jusqu’au bout ! »
D’après ses proches, Rossil était également membre du mouvement citoyen Collectif 2016. L’homme était connu au Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme à Kinshasa, pour notamment avoir assuré le suivi des cas de ses camarades arrêtés précédemment.
Un second mort à Mbadanka
A Mbadanka, chef-lieu de la province de l’Equateur, le mot d’ordre à manifester du comité laïc de coordination a bien été suivi. Mais là encore, des échauffourées ont éclaté entre les forces de l’ordre et les manifestants.
Dès les premières heures du matin, des coups de feu se font entendre. « Des tirs de sommation pour dissuader la population à ne pas descendre dans la rue », expliquera plus tard un enseignant joint au téléphone.
Mbandaka, c’est le fief de Fridolin Ambongo, le nouvel évêque coadjuteur de Kinshasa qui est aussi vice-président de la CENCO, donc un des artisans de l’accord du 31 décembre 2016. Et les candidats à la marche des chrétiens se révèlent plus nombreux après les premières messes. La police tente alors de disperser la foule. Des heurts éclatent entre les deux groupes. Jets de pierres contre armes à feu. Pour se protéger, les hommes en uniforme font usage de balles réelles, de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes. Deux personnes tombent, grièvement blessées. L’une est touchée à la tête. Et elle va succomber à l’hôpital en fin d’après-midi. C’est la deuxième victime de la répression de ce dimanche 25 février sur l’ensemble du pays.
Avant cette nouvelle, des maisons supposées appartenir aux policiers ont été déjà incendiées dans la ville. Et des interpellations ou arrestations s’en étaient suivies.
Dans les autres villes
Deux blessés graves ont été signalés à Kisangani où l’armée et la police ont fait usage de balles réelles, de gaz lacrymogènes et de bâtons. Selon l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj), une dizaine de personnes dont trois prêtres, qui conduisaient une marche avec les fidèles de la paroisse Saint-Pierre-de-Wagenia, dans l’est de la ville, ont été interpellés.
Paul Yenga Likanda appartient à une Eglise de Réveil (protestante). Il n’avait donc pas prévu d’aller marcher dimanche. Mais il habite en face de la cathédrale de Kisangani, et il est choqué de la façon dont la marche a été empêchée. « Ils ont tiré à balles réelles. Il y a eu même des blessés que j’ai pu voir. L’armée et les gardes républicains sont intervenus. C’était la panique, les gens se sont dispersés. Il y a eu des blessés, ça a fait peur aux gens qui ne pouvaient plus continuer à marcher. Nous ne sommes pas en sécurité. La police, dont on pense qu’elle est là pour nous sécuriser, est là pour le pouvoir en place. Ils reçoivent des ordres, ils agissent sans réfléchir, pas à l’intérêt de la population. Pourquoi retourner ces armes contre nous ? Nous ne sommes pas de bêtes. Autant écouter ce que nous voulons dire, plutôt que de nous réprimer. »
Par ailleurs, à Mbuji-Mayi, l’abbé Théodore Kanyiki de la paroisse Saint-Achille et ses paroissiens ont été molestés par des policiers. A Lubumbashi, la marche a tout simplement été étouffée, mais des manifestants en colère ont mis le feu à un camion-remorque.
Dans cette ville, tout comme à Goma, Bukavu, Kananga et Kikwit, les forces de l’ordre étaient massivement déployées pour empêcher les manifestations.
A Béni, des militants des mouvements citoyens ont été interpellés dans la matinée avant d’être relâchés l’après-midi.
Le bilan onusien, le démenti de la police
Au total, l’Acaj a recensé une centaine d’interpellations dans le pays.
Leila Zerrougui, qui dirige la mission des Nations unies en RDC, a fait état de deux morts, 47 blessés et plus de 100 arrestations à travers le pays. La Monusco demande aux autorités de mener des enquêtes crédibles sur ces « incidents ». « La Monsuco a pu observer dans certains endroits des tirs à balles réelles, en dépit encore une fois des consignes qui avaient été données aux forces de sécurité pour faire preuve de retenue », déplore auprès de RFI Florence Marshall, la porte-parole de la Monusco.
« Une fois encore, poursuit Mme Marshall, il y a cette commission d’enquête qui a été mise en place pour les marches du 21 janvier. Toutes les initiatives qui permettent de lutter contre l’impunité sont saluées. Le travail de cette commission a été prolongé. Nous, nous apportons un soutien logistique et technique à la bonne marche de cette commission. Nous espérons que les recommandations de cette commission iront dans le sens de la lutte contre l’impunité. »
Quant à la police, elle ne reconnaît pas de victimes dans ces événèments. Le colonel Ezéchiel Mwanamputu, porte-parole de la police, a dressé un bilan de la journée à la télévision nationale. À propos de Kinshasa, le colonel Mwanamputu affirmait en début de soirée qu’il n’y avait eu aucun décès. Il précise par ailleurs que des policiers ont été caillassés alors qu’ils venaient pour déloger des jeunes qui avaient érigé une barricade enflammée. « Dans ces échauffourées, deux délinquants ont été blessés par balles en caoutchouc, et acheminés vers l’hôpital. On note aussi un policier blessé. Joint au téléphone, le père Saturné, responsable de la congrégation de prêtre à Saint-Benoît, nous confirme les faits. Il est descendu sur les lieux de l’incident, accompagné du commissaire provincial de Kinshasa, Sylvano Kasongo, pour s’assurer que ces blessés ont été évacués vers une formation hospitalière outillée pour une prise en charge », a déclaré le responsable policier.
Aucune autorité gouvernementale ou policière n’a répondu aux appels répétés de RFI dans la soirée pour commenter plus avant les événements de ce dimanche en RDC.
Internet et les SMS, qui avaient été coupé depuis 9 heures du matin, ont été rétablis dans la soirée, et les barrages policiers ont été levés.
Rfi.fr