La mort a encore frappé dans nos rangs, et cette fois-ci c’est un de nos meilleurs représentants qui a été emporté : Abdou Aziz Samba s’en est allé. Il est des créatures dont la présence sur terre suscite fortement la jalousie du « sous-la-terre » : l’intérieur est envieux de la surface. La vie n’est que le miroir de la mort ; le véritable ADN de la vie est la mort. La terre de Ngor était donc si pressée d’accueillir dans ses entrailles un hôte si admirable ! La nature nous parle sans cesse, mais sommes-nous assez circonspects pour décoder ses messages ?
La plastique d’un homme traduit toujours une ou plusieurs des qualités de son âme. Ceux qui savent reconnaître les belles âmes par la grâce (au sens bergsonien du terme) peuvent facilement comprendre que la silhouette de M Samba n’était pas fortuite. Chaque pas de M. Samba sur terre exprimait une cadence : celle de la simplicité échangeant des charités avec la miséricorde. Il portait vraiment son Nom ! Mais le « sous-la-terre » a pris l’inessentiel car le souvenir des actions nobles et généreuses de M. Samba est éternellement gravé dans le marbre vivant de la mémoire collective de la communauté scolaire de Thiès.
Le cimetière de Ngor a donc le privilège d’être la dernière demeure de ce merveilleux être humain que fut M. Samba. Cimetière, quel horrible mot ! Dès qu’on entre dans cette grande demeure de l’éternité on est envahi par un sentiment d’impuissance face à l’énorme cruauté de l’existence humaine. Et pourtant la mort échoue toujours à nous faire courber l’échine. La sépulture est déjà la première victoire que l’homme a sur la mort. Observez bien, mes frères, les tombes chaque fois que vous entrez dans un cimetière. La nature est trop puissante, mais l’homme est vraiment grand !
La terre qui recouvre le corps de votre défunt ami, parent ou défunt collègue forme, par endroit, de petites mottes qui perlent la tombe, lui donnant ainsi une apparence moins sinistre. Comme le défunt, chaque motte de terre a une histoire et renferme certainement des vies, si minimes et si insignifiantes soient-elles. En manipulant cette terre pour recouvrir le corps du défunt les proches ne se doutent pas que chaque partie de cette terre était en quelque sorte une tombe. Mais parce que c’est un homme qui gît désormais là, les tombes insignifiantes des autres créatures devraient êtres « profanées » pour ensevelir le grand « l’Homme ». L’intérieur devient le dehors parce que celui que le « sous-la-terre » doit accueillir est le maître de la place.
C’est vrai que chaque tombe est un mausolée de projets et de désirs inachevés et que le monde lui-même est un éternel et immense cimetière des bonnes intentions, mais il est des œuvres inachevées dont l’inachèvement est sans nul doute lui-même une forme d’achèvement. Les services bénévoles que Abdou Aziz Samba rendait aux élèves et à ses collègues étaient l’expression chez lui d’une vision sacerdotale de l’enseignement. Il préférait l’école et les élèves à sa propre santé : sa philanthropie était au-dessus de ses capacités physiques. Et il a soumis son corps à la volonté infinie de son âme. D’outre-tombe, Abdou Aziz Samba nous rappelle ce que doit être la vocation de tout homme : forcer la terre à révéler la grandeur de l’homme, et, par ricochet, celle de Dieu.
Nous avons été chassés du paradis, pas forcément pour nous punir, mais c’est certainement pour que, de la terre, nous fassions un nouveau « paradis ». Travailler pour sa communauté, servir l’humanité en élevant chaque conscience à l’universalité : telle est la plus haute vocation de l’homme sur terre. Et Samba était un apôtre du travail bien fait et affranchi de tout calcul de profits et de pertes. Vous n’avez jamais voulu faire partie des pseudos enseignants qui soutirent indûment de l’argent aux élèves. Vous avez au contraire nourri et assisté socialement des élèves dans le besoin. Vous vous êtes merveilleusement acquitté de votre mission ! Que le voisinage du prophète (psl) soit la demeure de votre vraie vie !
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès