ACTUSEN
Contribution

Abraham (paix sur lui) comme nous le présentent le Coran et les hadiths (Partie 1)

Introduction

A l’approche du pèlerinage, il est tout à fait opportun de redécouvrir la figure d’Abraham (Ibrâhîm dans le Coran – paix sur lui), cet illustre prophète, ami de Dieu (Khalîlullah) comme l’appelle le Coran. Après Noé (paix sur lui), occupe une place centrale dans l’histoire du Salut. Juifs, chrétiens et musulmans se réclament voire se disputent le statut de véritables héritiers de ce patriarche connu dans ces trois familles comme le dépositaire de l’Alliance qui va par la suite « circuler » dans sa postérité. Dans les lignes qui suivent, le but est de peindre un portrait simple d’Abraham (paix sur lui) à partir d’une recension exhaustive des versets qui mentionnent son nom. Notre démarche ne consiste donc nullement à faire une sorte de biographie qui essaierait de décrire la vie d’Abraham (paix sur lui) de sa naissance à son rappel à Dieu. D’ailleurs une telle option serait vaine étant donné que certaines étapes de sa vie resteront à jamais inconnues ! C’est dire que l’essentiel est de méditer et de tirer des leçons de foi du parcours hors du commun d’Abraham (paix sur lui). A cette fin, nous avons tiré de ladite recension les thématiques ou centres d’intérêt suivants : 1) la recherche du vrai Dieu ; 2) la discussion avec l’entourage ; 3) la naissance d’Ismaël et d’Isaac ; 4) la rencontre avec les anges ; 5) l’Alliance et la postérité ; 6) le serviteur qui invoque son seigneur ; 7) le modèle de foi et de soumission à Dieu.

Abraham à la recherche du vrai Dieu et de Ses attributs

Il existe une phase de la vie d’Abraham (paix sur lui) complétement absente de ce que la Bible dit de lui. Les commentateurs du Coran nous expliquent que c’est encore tout jeune qu’Abraham se met à méditer et à chercher Celui qu’il appelait « Rabbî » (Maitre, Souverain, Seigneur). Le terme « ghulâm » utilisé par son peuple pour le désigner corrobore ce point de vue. Dans le récit coranique qui rapporte la méditation d’Abraham (paix sur lui), il ressort que la quête de sens et l’intuition de la transcendance est innée en l’homme[1]. A ce sujet, les versets qui décrivent Abraham à la recherche du Maître du monde est très instructif : « Lorsque l’obscurité de la nuit l’enveloppa, il vit un astre et s’écria : « Voici mon Seigneur !  » Cependant quand l’astre se coucha, il déclara : « Je ne saurais aimer ceux qui disparaissent ».  Lorsqu’ensuite il vit la lune se lever, il dit : « Voici mon Seigneur !  » Mais, lorsqu’elle disparut, il dit : « Si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des égarés ». Lorsqu’il vit le soleil se lever, il dit : « Voilà mon Seigneur ! Celui-ci est plus grand » Mais lorsque le soleil se coucha, il dit : « Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah.  Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé (à partir du néant) les cieux et la terre ; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés. » (Coran, 6 : 76-79) 

 On peut d’abord se demander pourquoi Abraham (paix sur lui), cherche le Maitre du monde dans les corps célestes et phénomènes cosmiques grandioses. Une réponse est de dire qu’il sentait un besoin profond d’un Maitre du monde qui ne doit être ni « en bas », ni « à côté ». Il y a là une idée de transcendance qui hésite à naître. D’autre part, Abraham (paix sur lui) refuse le statut de Maitre aux « petits » corps célestes, ce qui indique une idée d’un Maitre du monde qui doit être le plus grand, et enfin, il rejette l’idée d’un Maitre du monde qui disparait (de ses yeux).

 A ce moment où la Raison ne trouve pas encore les arguments pour devenir Foi, Abraham (paix sur lui) ne semble pas avoir connaissance des noms divins et des attributs y associés de « az-zâhir » (Celui qui est apparent) et « al bâtin » (celui qui est caché) : Celui qui est caché à nos sens mais apparent à travers les signes de sa Création et du Livre. En revanche, il a une idée d’un Dieu transcendant « al a‘lâ », (le Très-Haut), « al Akbar » (le plus grand) et « al qayyûm » (le Subsistant par Lui-même). Les versets susmentionnés révèlent la démarche d’Abraham (paix sur lui) : il procède par exclusion ou négation de ce qui ne peut être ou ne réunit pas en son Etre les qualités ou attributs nécessaires au vrai Maitre du monde. Abraham (paix sur lui) fait sienne l’expression du dogme musulman « Il n’y a de dieu que Dieu »

A l’épuisement de son effort cognitif, Abraham appelle le vrai Dieu à le guider, Lui reconnaissant ainsi l’attribut de guidance associé au nom divin « Al Hâdy » (Celui qui guide) et aussi de « as-samî ‘ » (Celui qui entend). Le passage par l’invocation est la reconnaissance par la Raison cherchante et inquiète, d’un besoin de supplément qui passe par le refus de la suffisance et l’ouverture à la transcendance « Si mon Seigneur ne me guide pas… » Il nous apprend que la reconnaissance des limites de la raison humaine n’est pas un obstacle à la connaissance de la vérité. L’ignorance reconnue humblement est une source de connaissance. Le véritable obstacle est de ne pas savoir qu’on ne sait pas.

Enfin, Abraham (paix sur lui) qui passe de l’état de chercheur inquiet à celui de guidé déclare ne plus pouvoir supporter que son peuple serve au titre de divinités, des idoles dépourvues de cet autre attribut associé au nom divin de « al Fâtir » (Celui qui crée sans modèle préalable) expliquent les commentateurs du Coran. Dans son cheminement, Abraham (paix sur lui) établit par la raison et par une sorte d’intuition que le Maitre du monde qu’il cherche ne peut être dépourvu des attributs susmentionnés d’existence, de grandeur, de transcendance, d’éternité, d’audition, de création et de guidance.

Toutes ces notions trouvent leur place au cœur de la théologie islamique au sens où il s’agit de rejeter ce qui ne sied pas au vrai Dieu et tout ce qui relève de ce que les oulémas appellent « Chirk » que le Coran désigne comme étant la plus grande des injustices : attribuer un statut ou un acte qui revient au seul et vrai Dieu, à autre que Lui. De tout cela découle que le Coran agit comme catalyseur de cette disposition innée de l’humain à la quête de sens, et l’aide à organiser méthodiquement sa recherche. Dit autrement, le Coran doit servir de guidance et de discernement pour que la Raison ne s’infantilise pas par défaut de réflexion, ce qui mène à plus bas que l’animal, ni ne s’égare par suffisance, ce qui mène à la ruine.

Dans ce cadre, il est juste de dire que la Raison mature et authentique est celle qui sait se rendre compte, par une démarche méthodique et marquée du sceau de l’humilité, de deux vérités fondatrices de la foi islamique: le Livre est le fruit d’un acte divin de révélation et le Cosmos celui de création. Au sujet de Dieu, le rôle déterminant de la révélation comme aide ou supplément à la raison est nettement affirmé à travers ce verset : « Ne voyez-vous pas qu’Allah vous a assujetti ce qui est dans les cieux et sur la terre, et Il vous a comblés de Ses bienfaits apparents et cachés ? Et parmi les gens, il y en a qui disputent à propos d’Allah, sans science, ni guidance, ni Livre éclairant. » (Coran, 31 : 20) 

Un autre récit du Coran indique comment Abraham (paix sur lui) découvre d’autres attributs de Dieu à travers la question du comment Dieu redonne-t-il vie aux morts : « Et quand Abraham dit : “Mon Seigneur ! Montre-moi comment Tu ressuscites les morts”, Allah dit : “Ne crois-tu pas encore ? ” “Si ! dit Abraham ; mais je voudrais rassurer mon cœur ”. “Prends donc, dit Allah, quatre oiseaux, découpe-les puis, sur des monts séparés, mets-en un fragment ensuite appelle-les : ils viendront à toi en toute hâte. Et sache qu’Allah est Puissant et sage.” » (Coran 2 : 260)  

C’est la fin du verset qui indique qu’Abraham (paix sur lui) a observé de visu comment se sont déployés les attributs de puissance (‘izzah) et de sagesse (hikmah) de Dieu. Dit autrement, Dieu peut faire tout ce qu’Il veut faire et de la façon qui convient le mieux.

Ahmadou Makhtar Kanté

Imam, écrivain et conférencier

Email : amakante@gmail.com

Fait à Dakar, le 18/07/2018 – zul qa’dah 1439 H

[1] « Tiens-toi le visage tourné vers la religion, en monothéiste sincère, conformément à la nature (Fitra) que Dieu a originellement donnée aux hommes. Pas de changement dans la création de Dieu… » (Coran, 30

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