« Dans l’arène politique, il est impossible de ne pas mentir, au moins par omission. Pour réduire les risques, les acteurs disposent de stratégies discursives bien rodées : celles de l’oubli, du flou, de la dénégation et de la raison d’État ». Patrick Charaudeau, <<L’art de mentir en politique>>
L’oubli, le flou, la dénégation et la raison d’État : voilà les quatre éléments qui fondent et maintiennent l’univers politique du régime de Macky Sall. La quintessence (cinquième élément) de cet univers cauchemardesque pour la démocratie, est le travail de ce qui est convenu d’appeler la presse des cents.
L’oubli : en évoquant, de façon sempiternelle, les dérives de l’ancien régime, le régime de Macky Sall travaille à faire oublier ses crimes actuels. Faisant sienne la réflexion d’Alexis de Tocqueville selon laquelle le peuple sent plus qu’il ne raisonne, le régime de Macky Sall croit plus aux émotions qu’à la raison. Ainsi, susciter des sentiments négatifs à l’égard de ses adversaires est le jeu favori de ce régime.
Le flou : selon Patrick Charaudeau, la stratégie du flou « consiste à faire des déclarations suffisamment générales, alambiquées et parfois ambiguës pour qu’il soit difficile de le prendre en défaut, de lui reprocher d’avoir menti sciemment ». Ceux qui ont lu les réponses (synchronisées du reste) d’Aliou Sall et de Baba Diao servies à M. Abdoul Mbaye peuvent trouver dans leur texte la parfaite illustration de la stratégie du flou. Quand l’un affirme que jusqu’à l’extinction de l’univers personne ne pourra prouver qu’il est impliqué de manière illégale dans les transactions pétrolières, l’autre va insinuer que Abdoul Mbaye, le premier ministre d’alors, a voulu vendre la SAR : dans les deux cas il s’agit de diversion et de brouillage de la problématique.
Or pour le cas de Baba Diao, ce qui est suspecté c’est le syndrome Donald Rumsfeld dans l’administration Bush : sous l’ère Bush, les affaires privées ont amplement pesé sur la politique internationale des États-Unis. Il faut rappeler que Donald Rumsfeld, ancien secrétaire à la Défense, a durant de longues années été associé au Center for Security Policy et membre de deux commissions ayant en charge l’étude sur le bouclier antimissile et la militarisation de l’espace. Et si on vous dit qu’il était un des plus acharnés dans la légitimation de la guerre en Irak… !
Il en est de même pour Dick Cheney dont l’attribution d’un contrat de 7 milliards de dollars à une filiale d’Halliburton, sans appel d’offres, en mars 2003, a été approuvée à tous les niveaux, y compris le cabinet de M. Cheney. W.H. Hartung, spécialiste des questions d’armement, dans un article de <<The Nation>> du 13 juin 2002 résumait de fort belle cette collusion dangereuse entre le privé et le public : « l’industrie de l’armement nucléaire n’a pas besoin de groupes de pression dans l’administration Bush — à un fort degré ils sont l’administration Bush ».
La dénégation : les menteurs sont en général les plus habiles en matière de dénégation. La stratégie de l’homme politique affairiste est le « mentir vrai » : à la manière du mythomane qui finit par croire à ses propres mensonges, le stratège du mensonge politique s’accroche à ses mensonges comme un fidèle à sa conviction religieuse. Le cas de Jérôme Cahuzac qui a longtemps nié avoir des comptes en Suisse et en Asie avant de le reconnaître est, à ce titre, très illustratif de la valeur des allégations et autres dénégations d’Aliou Sall.
La raison d’État : la raison d’État n’est rien d’autre que l’ultime carapace des dictateurs. Lorsqu’ils sont pris en flagrant délit de mensonge ou de détournement de deniers publics, ils évoquent ce sinistre argument de raison d’État. Aujourd’hui, c’est ce même principe de raison d’État qui est en train de sacrifier une belle promesse de la démocratie sénégalaise. Ousmane Sonko ne sera pas l’agneau du sacrifice, car sa radiation, au lieu de décourager les patriotes de ce pays, sera leur motivation.
Que se passe-t-il réellement dans notre pays ? Ya-t-il maintenant des sujets tabous dans notre démocratie ? Avoir un regard technique critique sur les transactions financières et la politique fiscale du régime est-il devenu un crime ? Pourquoi donc s’acharne-t-on avec autant d’hystérie sur Ousmane Sonko ?
La politique c’est avant tout la gestion de la cité et comme tout le monde ne peut pas participer directement aux affaires de la cité, ce n’est que par la vigilance et la responsabilité citoyennes de chacun dans la sphère de son activité que l’on peut veiller sur notre destin commun. Car le temps du messianisme politique est révolu : partout ce sont des mouvements spontanés et des lanceurs d’alerte qui rythment la démocratie.
Un citoyen qui, par lâcheté ou par compromission, laisse faire certaines pratiques dans la sphère de son activité se déchoit lui-même de sa qualité de citoyen. Sonko a préféré être déchu de son poste que d’être déchu de sa qualité de citoyen et de sa dignité d’homme. Il n’a pas accédé à ce poste à la faveur d’un jeu démocratique susceptible d’être faussé d’avance ni par compromission avec les forces obscures du diable. Il n’a fait valoir que ses qualités intellectuelles et morales pour accéder à ce poste qu’on est en train de lui ravir si cyniquement. Mais Dieu est juste ! Et Sonko peut faire sienne cette maxime de J. S. Mill : « une personne avec la foi est plus forte que plusieurs personnes qui n’ont que des intérêts ».
Nous ne sommes pas en train défendre un individu, nous défendons plutôt des principes et des valeurs : nous défendons un rêve. Oui Sonko représente le rêve d’une nouvelle impulsion démocratique : une démocratie où les idées, les principes et les arguments l’emportent sur des considérations personnelles. Personne n’a jamais entendu Sonko s’en prendre à des personnes, personne ne l’a entendu verser dans l’invective et l’injure. Nous avons le droit d’avoir une démocratie où les insulteurs publics ne jouent plus les premiers rôles : nous savons que l’APR compte à lui seul plus d’insulteurs que tous les autres partis politiques réunis. Et c’est précisément cela qui gène ce régime : un débat serein avec des idées probantes et des faits constatés n’arrange pas un régime comme celui de Macky Sall.
Au nom de quelle logique devrait-on laisser impunément des journalistes reproduire textuellement des procès verbaux d’audition de citoyens et s’empresser à radier un inspecteur des impôts et des domaines pour divulgation de secrets d’État ? Le fait même que des PV d’audition soient reproduits dans la presse est révélateur d’une réalité plus triste : il y a des lobbies médiatiques en connivence avec le pouvoir. Il n’y a jamais eu de sanction pour ces fautes et il n’y a aura jamais parce que lorsqu’on des amis lugubres, la lumière devient un problème pour soi.
Les Sénégalais retiendront de Sonko, du moins jusqu’à preuve du contraire, un homme engagé pour la transparence et la sacralisation du bien public et ce, quelle que puisse être la stratégie de diabolisation entretenue par Macky Sall. Gandhi a dit : « If you want to find yourself, loose yourself in people’s service » (si vous voulez vous trouver, il faut accepter de vous déposséder dans le service rendu aux gens)
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
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