«Le droit est un ordre. Et ce qu’il ordonne, c’est la vie». Et, demandez à Me Khassimou Touré, pourquoi il est devenu avocat ? Certainement, vous aurez droit à ce type de réponse. Mais aujourd’hui, c’est la justice, qui nécessite d’être ordonnée. Selon l’Avocat, qui fait allusion au procès de Khalifa Sall, maire de Dakar, l’image de celle-ci est craquelée par la politique. A l’exception des deux Percepteurs, la robe noire est l’un des Avocats des six prévenus, dont son frère Mbaye Touré.
Mais fait saisissant : autant, l’Avocat fait tout pour tirer ses clients des griffes du Parquet de l’Etat-judiciaire de l’Etat, autant il continue, aujourd’hui plus qu’hier, de revendiquer sa part d’amitié au Président de la République. Qui lui a, pourtant, arraché, depuis le 7 mars 2017, son frangin qu’il adore par-dessus-tout.
Accroché par SourceA, au détour du procès de Khalifa Sall et ses co-prévenus dans l’affaire de la Caisse d’avance de la Municipalité, Me Khassimou Touré lâche, derrière le trémolo de sa voix, «Le Président Macky Sall est mon ami. Mais Mbaye Touré est mon frère». Bref, c’est un homme atypique.
Le lundi 5 janvier a marqué un tournant dans l’affaire Khalifa Sall. En effet, c’est au cours de cette journée, pas comme les autres, que les débats au fond ont commencé. L’un après l’autre, les prévenus se distinguent à la barre, pour répondre au juge. En fin de dompte, Mbaye Touré sort du lot. Le Directeur administratif et financier de la Mairie impressionne par sa maîtrise du dossier. Le deuxième jour, le Procureur et l’Agent judiciaire de l’Etat se l’arrachent.
Mais, Maître Khassimou Touré veille au grain. Cette affaire lui tient, principalement, à cœur. Cette main posée sur l’épaule du Directeur de son frère, en pleine plaidoirie, le certifie. «Au nom du sang qui nous lie, je voudrai que vous fassiez une déclaration sur l’honneur, pour n’avoir touché aucun centime des sous que vous remettiez, directement, à qui de droit», interpelle-t-il son frangin.
L’Avocat compte sur sa longue expérience d’avocat pour tirer d’affaire son aîné. Me Khassimou Touré est Avocat à la Cour depuis 1994. Après l’obtention de son Baccalauréat, il été orienté à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, à la Faculté des Sciences juridiques et économiques.
Me Khassimou Touré à son frangin Mbaye Touré : «au nom du sang qui nous lie, je voudrai que vous fassiez une déclaration sur l’honneur, pour n’avoir touché aucun centime des sous que vous remettiez, directement, à qui de droit»
La Maîtrise en poche, le jeune mouride envisageait d’enseigner le droit. Mais, un événement imprévu le conduit à intégrer le Barreau. Me Khass, comme l’appellent les intimes, venait d’être consacré Major de sa promotion en diplôme d’étude d’approfondie en droit. C’est un laboratoire de technicité. Capable de souler des montagnes. Pardon, les dossiers les plus surréalistes. Et lesquels semblent perdus d’avance.
«Mon père était un opérateur économique connu et un chef religieux (…) Macky Sall faisait partie de ses protégés. Il a fait un séjour mémorable à Guinguinéo»
Le Barreau, dont il a réussi le Concours, était taillé sur mesure pour lui. La prestation de serment n’était qu’une formalité. Khassimou Touré était promis à un brillant avenir. Il pouvait compter sur les ressources de son père. Ce dernier, souffle-t-il à SourceA, l’a beaucoup soutenu. El Hadji Cheikh Touré avait de la ressource. «Mon père était un opérateur économique connu et un chef religieux. Il était le représentant du Khalife général des Mourides dans l’ancienne région du Sine Saloum. Plus tard, dans les régions de Kaolack et Fatick. Il fait partie des membres fondateurs du Groupement économique du Sénégal, le premier Organisme patronal de ce pays, avec les Momar Sourang et Idrissa Guèye.
Ils avaient de bonnes relations avec les autorités politiques et coutumières de ce pays. Feu Léopold Sédar Senghor y faisait des passages de même que le Président Abdou Diouf. Macky Sall faisait partie de ses protégés. Il a fait un séjour mémorable à Guinguinéo. Il était en ce temps premier ministre», narre le brillant esprit. Donc, cette affaire n’est pas aussi simple qu’elle ne paraît.
D’autant que les protagonistes se connaissent pour s’être croisés dans de meilleures circonstances. D’ailleurs, au Centre-ville, dans le bureau de Me Khassimou Touré, un portrait, sur lequel, il est en compagnie de Macky Sall attire l’attention du profane. Pour autant, Me Khassimou Touré évite un mélange de genre. En d’autres termes, il se garde de froisser le Chef de l’Etat, même si son frangin se trouve dans les liens de la détention depuis le 7 mars 2017. Date à laquelle Mbaye Touré, Directeur administratif et financier a été placé sous mandat de dépôt, en même temps que Khalifa Sall et les autres co-prévenus de la Caisse d’avance de la Municipalité de Dakar.
Quel que soit son croche-pied du destin de l’heure, Me Khass reste fidèle et loyal en amitié, jusqu’à la moelle épinière
Bref, Me Khassimou Touré, qui n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort, lorsque le croche-pied du destin s’abat sur lui ou sur un membre de sa famille, veut bien faire la part des choses. «Le Président de la République et moi avons des relations très profondes. C’est un grand-frère pour moi. Il ne cesse de manifester l’affection qu’il a pour ma modeste personne», lève-t-il toute possibilité d’amalgame.
«Pour votre gouverne, lorsque je recevais Serigne Bass Abdou Khadre à Guinguinéo, le Chef de l’Etat, Macky Sall, m’avait…»
Dans le but de convaincre les plus sceptiques quant au caractère inaltérable de ses rapports avec le locataire du Palais, la robe noire à la voix audible et qui parle un français limpide, avec les mots qu’il faut dans chaque phrase, explique : «pour votre gouverne, lorsque je recevais Serigne Bass Abdou Khadre à Guinguinéo, le Chef de l’Etat, Macky Sall, m’avait envoyé son Directeur de Cabinet et quatre autres ministres, plus une enveloppe consistante. A l’époque, il avait donné des instructions à Me Oumar Youm de le représenter».
Alors, par la magie d’un raccourci rapide, autant le dire tout de suite : Me Khassimou Touré ne connaît pas la rancune. A l’esprit va-t-en-guerre, il préfère le consensus. Au point que, même dans les jours où rien ne va plus et où la tristesse prend le dessus sur le bonheur, il préfère se la jouer homme de consensus. A l’image de Me Madické Niang, dont, il a été un fidèle bras droit.
C’est, d’ailleurs, tout le sens qu’il faille donner au fait que, même son frère qu’il adore par-dessus tout a été jeté en prison par le régime de Macky Sall, l’Avocat n’a jamais endosser le costard de quelqu’un qui est capable de cracher sur les plus folles amitiés d’hier, au profit de ses intérêts du moment.
Maitre Ousmane Ngom, son autre mentor, le conseillerait, sûrement, d’être pragmatique. N’empêche, en bon homme de droit, il s’évertue de faire la part des choses comme Me Yérim Thiam, qu’il considère comme son grand-frère. Leur père, se souvient-il, était très proche de Serigne Bassirou Mbacké. Et, Maitre Doudou Thiam, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, et El Hadji Cheikh Touré étaient très liés. Leur fils aussi.
En bon homme de droit, Me Khassimou Touré s’évertue de faire la part des choses comme Me Yérim Thiam, qu’il considère comme son grand-frère
Seulement, les choses sont allées trop loin. «Avec les vicissitudes et les contrecoups de la vie, il peut arriver qu’il y ait des incompréhensions de part et d’autre. Le Président Macky Sall est mon ami. Mais Mbaye Touré est mon frère», glisse la robe noire. Dont on ressent la peine derrière le trémolo de la voix. Dans la foulée, Me Khass plaide : «les choses sont claires. La bataille est déjà lancée. Plus question de revenir en arrière. L’opinion est, maintenant, édifiée. C’est un procès, éminemment, politique. Tout ce qui l’entoure est politique».
«Le Procureur et le juge sont dans leur rôle. Ce que j’ai toujours réclamé, ce que j’ai toujours dit, c’est qu’aujourd’hui, la justice a besoin d’être réhabilitée. Elle est presque à genou. Il faut que nous l’aidions à se réhabiliter, à se réconcilier avec le peuple sénégalais»
Quand il martèle, à tout bout de champ, que le procès de Khalifa Sall et Cie est, éminemment, politique, beaucoup qui connaissent l’homme, seraient enclins à le croire. Parce que Me Khassimou Touré n’est pas de nature à attaquer sans motif suffisant. C’est ainsi qu’il refuse de se faire distraire, lorsque certains comme le Procureur de la République jouent à se faire peur en direction de ceux qui expriment leur sentiment sur le fonctionnement de la Justice. «Le Procureur et le juge sont dans leur rôle. Ce que j’ai toujours réclamé, ce que j’ai toujours dit, c’est qu’aujourd’hui, la justice a besoin d’être réhabilitée. Elle est presque à genou. Il faut que nous l’aidions à se réhabiliter, à se réconcilier avec le peuple sénégalais. La justice est rendue au nom du peuple sénégalais. Lorsqu’il y a rupture dans la chaine, lorsque cette confiance est craquelée, c’est l’Etat qui va en pâtir. Cette justice, qui est craquelée, qui est décriée, a une rare occasion de réhabiliter».
«Cette justice, qui est craquelée, qui est décriée, a une rare occasion de réhabiliter»
Les Avocats de la défense ont annoncé la couleur. Ils ne vont pas se laisser faire dans l’affaire dite de la Caisse d’avance de la Mairie de Dakar. Certains l’expriment, plus énergiquement, comme Me Ousseynou Fall. D’autres sont plutôt des hommes de consensus. Par conséquent, ils sont dans une position inconfortable. Toutefois, Me Khassimou Touré en a connu d’autres. En tant qu’Avocat de la Mairie, il a, des fois, été stigmatisé. Certains ne comprenaient pas pourquoi un apolitique pouvait occuper ce poste. Pourtant, deux maires de suite se sont succédés à la tête de la Municipalité, en l’occurrence Pape Diop et Mamadou Diop, pour ne pas les nommer. Chacun a décidé de le maintenir. Khalifa Sall en a fait de même. Le natif de Kaolack du Sénégal, un certain 1963, saura, certainement, faire face à cette ultime épreuve.
Omar NDIAYE (SourceA)