Le débat sur les armes ressurgit aux Etats-Unis après la tuerie qui a fait 17 morts dans un lycée de Parkland, en Floride, mercredi 14 février. Un débat dominé par l’ombre de la National Rifle Association (NRA).
C’est devenu une ritournelle. Comme après chaque tuerie, celle de Parkland a relancé le débat sur la régulation des armes aux Etats-Unis. Et comme après chaque tuerie, le nom de la NRA a vite ressurgi. Les élus républicains avaient pourtant bien pris soin d’éviter le sujet. « Ce n’est pas le moment de remettre en cause le droit des citoyens à porter une arme », a estimé Paul Ryan, leur leader à la Chambre des représentants. « Les lois sur les armes n’auraient pas empêché Parkland », a balayé le sénateur Marco Rubio.
Ainsi, dans les heures qui ont suivi la dix-huitième fusillade de l’année dans un établissement scolaire, ce sont d’abord leurs condoléances que les élus républicains ont exprimé sur Twitter. Et qui en ont révolté plus d’un. Reprenant des chiffres publiés par le New York Times au lendemain du massacre de Las Vegas en octobre dernier, une internaute a commenté plusieurs de ces messages en rappelant les sommes que leurs auteurs avaient reçues de la National Rifle Association (NRA), le tout-puissant lobby des armes à feu. Comprendre : halte à l’hypocrisie, tout ceci ne serait pas arrivé si vous n’aviez pas fait son jeu.
Quatre millions d’adhérents
Car voilà près d’un demi-siècle que cette organisation forte de quatre millions d’adhérents milite pour imposer l’idée que la détention et le port d’arme constituent une liberté fondamentale. Rien pourtant ne l’y prédestinait. Lorsqu’elle est créée en 1871, la NRA se donne pour vocation d’entraîner au tir les conscrits de l’Etat de New York. Jusque dans les années 1960, elle n’est qu’une association de chasseurs et d’amateurs de tir sportif.
Tout change en 1968 lorsque le gouvernement américain cherche à réguler le commerce des armes avec le Gun Control Act. Craignant que cela ne conduise à leur interdiction totale, la National Rifle Association se radicalise. Et à son congrès de Cincinnati en 1977, elle change de slogan. Le second amendement de la Constitution devient son credo. « Le droit que le peuple a de détenir et de porter une arme ne sera pas transgressé », stipule-t-il. Rédigé par les pères fondateurs en 1791, le texte vise à permettre aux milices de se défendre contre une ingérence éventuelle de l’Etat fédéral, rappelle sur RFI Anne Deysine, professeur à l’université de Paris Ouest-Nanterre et spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis. Mais la NRA en a sa propre interprétation. Pour le puissant lobby, les législateurs ont voulu garantir le droit de tous les individus à porter des armes. En 1986, cette interprétation est inscrite dans la législation.
A défaut de pouvoir obtenir une interdiction contraire à la Constitution, les partisans de la réglementation bataillent sur la vente, l’achat ou le port des armes. Mais pour la NRA, chaque projet de réglementation met en danger ses libertés. Ainsi, lorsqu’il est question d’élargir aux armes d’occasion la loi Brady de 1993 pour vérifier les antécédents psychiatriques et judiciaires lors de l’achat d’une arme neuve, la NRA s’y oppose. Elle argue que cela conduirait à un enregistrement des ventes et pourrait donc favoriser les confiscations. Et obtient gain de cause.
Des candidats classés de A à F
Dans son combat contre toute réglementation, la National Rifle Association peut compter sur sa force de frappe alimentée par de nombreux dons et les recettes de ses publicités pour armes à feu. Elle lutte alors à coups de millions de dollars. Elle choisit ses candidats aux élections en les notant de A à F en fonction de leur positionnement sur la question. Les bons élèves sont récompensés par d’importants financements, les mauvais sont sanctionnés par d’intenses campagnes de dénigrements.
Le système est redoutablement efficace. « Quand la NRA fait des campagnes politiques contre certains candidats, cela peut être tout à fait dévastateur », assure à RFI Célia Belin, chercheuse au Brookings institute de Washington. Les notes elles-mêmes sont susceptibles d’influencer les électeurs. « Un petit pourcentage d’Américains se détermine uniquement en fonction de cela. Et c’est ce petit pourcentage qui peut faire basculer une élection », remarque Didier Combeau, spécialiste des Etats-Unis et auteur de Des Américains et des armes à feu : démocratie et violence aux Etats-Unis.
(Trad. :« La NRA est fière de soutenir @JudgeScrenock pour la Cour suprême du Wisconsin. Il est important que tous les électeurs favorables au 2e amendement se rendent aux urnes le 20 février pour élire le juge Michael Screnock à la Cour suprême de l’Etat »)
Tandis que les républicains ont pris le parti d’être totalement pro-armes à feu, les démocrates, eux, se gardent bien d’attaquer la NRA frontalement. Et choisissent donc leurs mots avec précaution. Quand en 2015, Hillary Clinton appelle à la mise en place de réformes « de bon sens » sur les armes, « il faut ainsi comprendre « pas trop drastiques » », décrypte Didier Combeau.
Résultat : ces trente dernières années, les partisans de la réglementation ont reculé et les Etats sont devenus plus permissifs, estime ce spécialiste. En Floride, la loi Stand Your Ground passée en 2005 permet à quiconque qui défend son droit de rester là où il se trouve, y compris en tuant, d’être exonéré de poursuites. Au niveau fédéral, l’interdiction des armes d’assaut, votée par le Congrès en 1994 pour une durée de dix ans, n’a pas été renouvelée.
Mais la multiplication des tueries fait bouger les mentalités. Si les points de vente d’armes sont toujours plus nombreux que les Starbuck’s, McDonald’s et supermarchés réunis, un sondage de l’institut Gallup publié en novembre révélait qu’une majorité des Américains était désormais favorable à un renforcement du contrôle des armes à feu. « Mais quand il s’agit d’interdiction, ils y restent largement opposés », tempère Didier Combeau. L’argument-massue de la NRA selon lequel « la seule chose qui arrête un méchant avec une arme est un gentil avec une arme » a donc encore de beaux jours devant lui.
■ L’AR-15, l’arme de masse aux Etats-Unis
C’est avec un fusil semi-automatique l’AR-15 que Nikolas Cruz a tiré ses camarades de lycée à Parkland en Floride. Ce type de fusil est en vente libre dans la plupart des Etats du pays et est l’une des armes préférées des Américains, explique notre correspondante à Washington, Anne Corpet.
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