La décision de l’interdiction du port de voile à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar fait couler beaucoup d’encre et de salive.
Au-delà du port de voile, plusieurs lectures peuvent être faites.
Soulignons d’abord que le voile, même s’il n’est pas exclusivement islamique, fait partie, de nos jours, de l’un des signes distinctifs de la femme musulmane.
Signalons également, que le voile dont il est question ici, est différent, à plusieurs points de vue, de celui que portaient les femmes sénégalaises formées à l’école de nos guides religieux qui ont, dans une large mesure, planté l’arbre de l’Islam au Sénégal.
Le type de voile qui fait l’actualité dans cette affaire aux multiples facettes, est à inscrire non pas seulement dans le cadre de l’évolution, mais surtout dans une certaine façon de vivre l’Islam, en en appliquant vaille que vaille toutes les recommandations.
Dans cette perspective, même dans une école adossée à une autre religion, l’élève musulmane, encouragée ou non par ses parents, tient à se voiler et, parfois même, à sortir pour prier pendant un cours.
En réalité, ni la constitution, ni la loi 91-22 du 30 janvier 1991 qui régit l’éducation nationale sénégalaise, n’interdit le port d’un voile, d’une croix ou d’une corne dans un espace scolaire sénégalais.
En outre, cette constitution et cette loi nationale d’orientation n’interdisent pas la mise en place d’établissements privés confessionnels où l’on dispense aux apprenants des cours de religion.
Contrairement aux partis politiques, tout citoyen qui remplit les conditions, peut créer son école et y enseigner un programme religieux ou sa propre langue et culture. C’est un peu comme le paysage médiatique où l’on retrouve des radios et télévisons religieuses, confrériques et ethniques qu’il faut du reste surveiller de près car il y a parfois des dérives verbales.
De ce point de vue, les chrétiens, les musulmans, les animistes, les athées, etc. ont le droit d’ouvrir des écoles et y enseigner leurs convictions religieuses ou non religieuses.
A ce niveau, les choses doivent être clairement définies dès la délivrance de l’agrément.
Normalement, c’est ce qui devrait être le cas de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc ; mais les faits semblent démontrer le contraire.
Malheureusement, l’Etat sénégalais- tous régimes confondus- prend souvent certaines choses à la légère et s’y adonne de manière laxiste, comme dans beaucoup de secteurs d’ailleurs.
Sinon, comment interpréter la volte-face du ministre de l’Education nationale qui, en l’espace de trois mois, a changé de position ?
En effet, lorsque les responsables de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc ont averti qu’ils appliqueront le règlement intérieur modifié dès la rentrée, il a pondu un communiqué laborieux pour leur donner tort.
A l’époque, j’avais signalé que, venant d’être nommé et n’étant pas un homme du sérail, il ne pouvait en aucun cas disposé du temps nécessaire pour s’imprégner des textes.
A présent que l’école sénégalaise est en pleine tempête, le ministre de l’Education nationale annonce qu’il étudie la situation. Cette attitude qui aurait dû précéder son communiqué intempestif, montre non seulement qu’il s’est trompé au départ, mais aussi qu’il n’a rien fait depuis lors.
Il a adopté une position attentiste ou a appliqué la politique de l’autruche, espérant certainement que la plaie va guérir sans médicament.
Je doute fort que l’on puisse compter sur lui pour décanter cette situation.
Pour en revenir à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc, il est important de noter que c’est un établissement français dans le Sénégal.
Il appartient aux Sœurs de la Congrégation Saint-Joseph de Cluny, présentes au Sénégal depuis deux siècles. Cet établissement qui n’est pas le premier que cette Congrégation a ouvert au Sénégal, bénéficie à la fois des avantages des Etat sénégalais et français, comme les bourses, par exemple.
C’est ainsi qu’il faut comprendre le régime d’exterritorialité auquel il est soumis.
Il apparaît nettement que mesure sous-tend une volonté d’harmoniser le règlement intérieur des établissements sous la tutelle des Sœurs de la Congrégation Saint-Joseph de Cluny, lequel règlement s’inspire nettement de la loi française interdisant le port du voile, en tant que signe religieux au sein de l’école.
C’est sous cet angle qu’il convient d’étudier cette interdiction en rapport avec celle récemment prise par la Direction de la pharmacie Guigon.
Il est probable que d’autres décisions similaires soient prises ailleurs, par d’autres structures animées par la volonté de s’aligner aux lois occidentales ou simplement de se bunkeriser.
Notons au passage que nous évoluons dans un monde où la tendance est à la reconstruction des identités, chaque communauté cherche à évoluer en autarcie, croyant que c’est la solution à la crise multiforme et générale.
D’ailleurs, tous les grands blocs sont en train de sauter et dans beaucoup de pays, des communautés revendiquent leur indépendance.
Concernant cette affaire de voile, le problème est que, même si l’Institution Sainte Jeanne d’Arc et la pharmacie Guigon sont des structures qui appartiennent à des Occidentaux, elles sont implantées dans un autre pays qui a la particularité d’être peuplé de 95% de musulmans qui appartenant à la même famille biologique et vivant en parfaite harmonie avec les chrétiens, les animistes et les non croyants.
En conséquence, tout en gardant une certaine autonomie de gestion, elles doivent se conformer aux lois et aux réalités du pays d’accueil. C’est ce qui se fait partout dans le monde.
Les citoyens du pays hôte, eux aussi, doivent comprendre et accepter que ces structures, malgré leur implantation sur leur territoire, n’en demeurent pas moins étrangères.
Dès lors, la solution se trouve dans l’équilibre, précisément dans la limite des possibilités que nos lois et coutumes offrent à des étrangers d’appliquer leurs propres lois et coutumes au Sénégal.
Seul un Etat organisé peut nous y conduire.
Cela revient à dire que cette interdiction du port de voile par les élèves musulmanes à l’Institution Sainte Jeanne d’Arc est d’abord et avant tout une affaire de l’Etat sénégalais.
En faire une affaire entre musulmans et chrétiens orthodoxes est une façon ignominieuse de déplacer le débat à dessein ou par simple ignorance.
Amadou SOW
Enseignant-chercheur
Formateur à la FASTEF