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Contribution

Avis du conseil Constitutionnel : Que reste-t-il de la force de la loi au Sénégal ? (Par Abdoulaye FALL)

Le conseil constitutionnel serait-il devenu un législateur en lieu et place de notre assemblée nationale ? Les décisions ou avis  de cette institution,  auraient-ils acquis une valeur supra- législative ?  La question vaut tout son pesant d`or eu égard à ce capharnaüm juridique consécutive à la requête acceptée  du chef de l`Etat, par cette haute juridiction,  de donner la possibilité aux Sénégalais qui n’ont pas encore reçu leur carte d’identité biométrique de pouvoir voter avec d’autres pièces justifiant leur identité (Passeport, permis de conduire, récépissé…).

En effet, tel un  phénix qui renait constamment de ses cendres,  les polémiques que suscitent les « avis«   du Conseil Constitutionnel font les choux gras de la presse, ces derniers temps,  au Sénégal. De saisine en saisine, ce pan essentiel  de notre institution judiciaire, en permanence sous le feu des projecteurs,   a fini de  cristalliser l`attention de l`ensemble  des acteurs du landerneau politique sénégalais, mais aussi des citoyens lambda.

Il n`est d`ailleurs guère  curieux qu`il en soit ainsi eu égard  à l`importance des pouvoirs attribués à cette haute juridiction et à la protection dont jouissent ses membres comme en atteste la   Constitution de 2001 qui dispose que : « Sauf cas de flagrant délit, les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus, ou jugés en matière pénale qu’avec l’autorisation du Conseil et dans les mêmes conditions que les membres de la Cour suprême et de la Cour des comptes ».

Au demeurant,  tout puissant qu`il puisse être, ses prérogatives n`en demeure pas moins limitativement énumérées. Ainsi, est-il précisé  dans l’exposé des motifs de la loi organique n° 92-23 du 30 mai 1992 que le Conseil Constitutionnel se prononce sur : La constitutionnalité des règlements intérieurs des assemblées ; la constitutionnalité des lois ; le caractère réglementaire des dispositions de forme législative ;

la constitutionnalité des lois organiques ; la recevabilité des propositions de loi et amendements d’origine parlementaire ; la constitutionnalité des engagements internationaux ; les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour suprême ;et sur tous les conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Et, à la faveur du dernier référendum, le Président peut demander un avis au conseil constitutionnel, mais un AVIS qui ne saurait en aucune manière primer sur la loi en vertu  du principe de la séparation des pouvoirs et  de la  hiérarchie des normes juridiques, formulée par Hans Kelsen (1881-1973), théoricien du droit et auteur de la « Théorie pure du droit ».

Ainsi, sous réserve de ses autres prérogatives, le juge constitutionnel peut interpréter une disposition législative lorsque celle-ci se révèle  ambiguë et  suppléer la loi quand elle est muette. Mais, elle ne peut pas  créer une nouvelle loi,  en lieu et place d`une loi claire,  précise et non sujette à interprétation.  En l`espèce,  l`article L.78 est sans ambiguïté: « A son entrée dans le bureau de vote, l’électeur doit présenter sa carte d’électeur. Il doit, en outre, faire constater en même temps son identité par la présentation de sa carte nationale d’identité numérisée« . En vertu de quoi, le conseil constitutionnel peut-il alors autoriser le chef de l`Etat la violation de cette disposition pourtant très claire ? Tout au plus, il aurait pu lui suggérer une modification de la loi  par le biais de  la procédure législative qui,   malheureusement n`est pas aussi automatique.

C`est  dire tout simplement, que le conseil constitutionnel, en donnant l`autorisation au chef de l`Etat de permettre aux électeurs n’ayant pas pu retirer leurs cartes biométriques de voter aux élections législatives du 30 juillet 2017 avec autre chose que leur  carte d’électeur, a outrepassé ses prérogatives.

Par ailleurs, étant entendu que  le Conseil constitutionnel a été saisi par rapport à une matière électorale qui, on le sait,   relève du domaine de la loi, on se demande bien par quelle alchimie juridique,  le président de la République compte-t-il mettre en œuvre cette décision ? En tout cas, pas avec un décret qui occupe une force infra-législative.  Quoi qu`il en soit, le conseil constitutionnel, à travers cet avis, vient d`ouvrir la boite pandore de l`affaiblissement de la force de la loi.

 Abdoulaye FALL, doctorant en Droit à l`UCAD

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