Deux candidats à l’opposé de l’échiquier politique, José Antonio Kast pour l’extrême droite, et Gabriel Boric, ancien leader étudiant et député de 35 ans, pour la gauche, se sont qualifiés dimanche 21 novembre pour le second tour de la présidentielle au Chili. L’analyse de Franck Gaudichaud, professeur en études latino-américaines à l’Université Toulouse Jean-Jaurès.
RFI : L’extrême droite est arrivée en tête du premier tour de la présidentielle, deux ans après un grand soulèvement social contre les inégalités et alors que le Chili est en pleine rédaction d’une Constitution pour remplacer celle issue de la dictature. Comment interpréter un tel résultat ?
Franck Gaudichaud : C’est une surprise en partie, une contre-réaction face au cycle politique qui s’est ouvert avec la grande révolte sociale de 2019 et la rédaction de la nouvelle Constitution. C’est le parti du retour à l’ordre, à la critique des mouvements sociaux et une vision xénophobe et nationaliste qui l’emporte.
C’est un Chili très conservateur qui s’est exprimé dans les urnes. José Antonio Kast a réussi à mobiliser un électorat déboussolé face à ce changement de cycle politique : des classes moyennes, populaires et une partie des élites, sur un discours très dur, revendiquant la dictature, l’ordre, le nationalisme.
Il y a une grande déception dans l’espace politique de Gabriel Boric à gauche et surtout une grande préoccupation : quelle sera sa capacité à mobiliser les 53% d’abstentionnistes, notamment au sein des classes populaires, face à une option politique d’extrême droite qui menace toute la perspective de changement social qui s’est ouverte au Chili depuis 2019.
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Ces abstentionnistes, justement, pour qui peuvent-ils se mobiliser ?
C’est la grande inconnue. Et le défi en particulier pour la gauche et Gabriel Boric, alors que José Antonio Kast a une réserve de voix bien plus consolidée sur la droite et se trouve donc en meilleure position. Le défi pour le parti communiste et Gabriel Boric, c’est de mobiliser ces secteurs déçus de la politique et qui rejettent le système électoral dans son ensemble.
Yasna Provoste, représentante de la démocratie chrétienne (12% des voix, ndlr), c’est plutôt le centre droit allié avec le parti socialiste. Elle a une relation très difficile avec le secteur de la gauche, si bien qu’elle n’a pas dit ouvertement qu’elle appellerait à voter Boric, même si elle a rejeté très clairement l’option Kast. Il y a donc un travail de négociation qui a déjà débuté pour essayer de reconstruire des alliances et mobiliser pour le second tour.
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Tout le monde est aussi en train de courtiser l’électorat de Franco Parisi, le troisième homme avec 13% des voix. Lors de la dernière élection, il n’avait donné aucune consigne de vote. Il est sur un populisme de droite très critique de l’oligarchie, libéral au niveau économique. Mais il y a encore de fortes inconnues pour savoir s’il appellera à voter pour Kast. En tout cas, pour la gauche, ce sera difficile de capter ces voix.
Deux candidats aux antipodes, un pays extrêmement polarisé : le Chili suit la tendance observée dans d’autres pays d’Amérique latine ?
Exactement. Et d’une certaine manière, José Antonio Kast incarne une sorte de « bolsonarisme » à la chilienne. C’est un phénomène qu’on a retrouvé avec Trump aux États-Unis également. Il y a donc une lame de fond qui parcourt l’Amérique latine et quel que soit le vainqueur le 19 décembre prochain, c’est une lame de fond qui est bien installée dans le pays et avec laquelle il faudra compter dans les prochaines années.