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Contrôle technique des véhicules : la traversée du Pont de «siraat» sur terre

A Dakar, il faut se doter d’un moral d’acier et d’une patience à toute épreuve, pour ne pas piquer une crise des nerfs, en voulant faire passer la visite technique à son véhicule. En effet, entre files indiennes interminables et lenteurs du service une fois qu’on a la chance d’accéder dans le Centre de contrôle ; le tout teinté d’une vaste corruption, savamment, entretenue par des rabatteurs, les automobilistes candidats à ladite visite vivent un véritable calvaire. Assimilable à l’hypothétique traversée du Pont de «siraat» sur terre.

Le chemin, qui part du Point des Maristes et qui longe la rue allant vers la Gendarmerie de Yarakh,  est un vrai parcours du combattant pour les automobilistes. Et il faut avoir les nerfs solides, très solides, d’ailleurs, pour ne pas y laisser des plumes. La situation est telle, qu’elle impacte aussi sur l’avenue Bourguiba, qui est d’habitude très fluide, même aux heures de pointe. En tout cas, jusqu’à l’approche de Castors.

Au fur et à mesure, les choses deviennent, de moins en moins, évidentes pour les chauffeurs. En effet, au niveau de l’Usine de la Cité des eaux, les embouteillages pointent le bout de leur nez. Les voitures n’avancent que timidement. A hauteur du rond-point de Hann, la situation se corse. Cet axe routier est très fréquenté notamment par les gros porteurs. Dont la plupart convoient des conteneurs. D’autres transportent du carburant. Il faut dire que le décor est proche d’une Zone industrielle.  Puis, les transports en commun, qui vont dans la banlieue, passent par-là.

En grande partie, cette situation est due à deux files de voitures. Lorsqu’on s’approche, on aperçoit des conducteurs assis, sagement, à l’intérieur de leurs voitures. D’autres prennent le soin de faire quelques pas, histoire de se dégourdir les jambes. Tous  sont venus effectuer la visite technique de leurs véhicules au niveau du Service des Mines.

Ici, c’est la mort décrétée du sens interdit

«Ces embouteillages  en sont pour quelque chose», peste Pape Balla Dieng.  T-shirt rouge, jean déchiré, le jeune Kaolackois est taximan, depuis 2014. Seulement, il évite de passer par ce secteur. A moins que le client accepte d’y mettre le prix, nous confie-t-il. Pendant ce temps, d’autres conducteurs n’ont trouvé comme seule solution que le fait de transgresser le Code de la route.

C’est la mort décrétée du sens interdit au niveau du rond-point Hann. Notre taximan affirme que les agents de la circulation en sont au courant. Seulement, ils laissent faire, nous assure-t-il, croyant que cela peut faciliter leur travail. Pendant ce temps, d’autres n’ont trouvé comme seule solution que le fait d’attendre. De râler. De vociférer au volant et de s’engueuler pour un rien.

C’est le cas de Souleymane Cissé. La quarantaine, drapé de son boubou de type baye Fall, l’homme est visiblement très remonté. «J’effectue une visite technique pour la quatrième fois. C’est la première fois que je constate une telle situation. Je suis coincé, ici, depuis trois jours.

J’avais pris un rendez-vous. Normalement, je devais venir le 15 janvier. Par contre, je ne peux attendre. Je ne peux garer ma voiture, jusqu’à cette date-là. C’est mon gagne-pain. Ma visite technique a expiré, depuis le 1er Janvier. Je pense qu’il faut décentraliser cette visite-là. Heureusement, je n’habite pas loin.

Imaginez la situation dans laquelle doivent vivre les personnes qui n’ont pas cette chance. Certains sont même obligés de passer la nuit dans leurs voitures. Si tu pars, quelqu’un d’autre prend ta place. Puis, quelqu’un m’a proposé de payer 15.000 F Cfa, alors que je viens de dépanner ma voiture à hauteur de 130.000 FCFA».

Souleymane Cissé : «j’effectue une visite technique pour la quatrième fois. Mais c’est la première fois que je constate une telle situation. Je suis coincé, ici, depuis trois jours».

Beaucoup se demandent comment une telle situation est possible, avec tout ce que le Service de contrôle génère comme argent. Parmi eux, figure Souleymane Cissé. Qui en veut, énormément, Alors que son interlocuteur n’a pas encore trouvé les mots justes pour lui remonter le moral entamé par la longue attente dans les rangs, il change de disque. Et prend, cette fois-ci, pour cible les rabatteurs.

Le plus souvent, ces rabatteurs apostrophent les automobilistes et leur demandent, d’abord, s’ils ont un rendez-vous au Service des Mines. Et il suffit, juste, de leur répondre par la négative, pour qu’ils vous soufflent dans l’oreille leur offre. Laquelle consiste à vous aider à accéder dans le Centre de contrôle de visite technique, moyennant quelques billets de banque. Et le tour est joué.

«Ces individus sont, en réalité, ceux qui encouragent la corruption en ces lieux», confie Souleymane Cissé. Leur seul alibi est le fait de connaitre les rouages. De loin, on en aperçoit l’un d’eux. Ce dernier porte par devers lui des plaques de signalisation. Tout à coup, un autre s’approche. Mal fagoté, les yeux rougeâtres, le corrupteur présumé n’est apparemment pas satisfait de ce qui vient de se passer.

Sous le poids de la fatigue et des longues nuits blanches, on se fâche, se chamaille et peut en venir aux mains pour un rien

Un conducteur s’est inséré dans  le file de voitures sans son aval. Ce qui a eu comme conséquence de le faire sortir de ces gonds. Il menace même de caillasser sa voiture. Finalement, ils ont pu trouver un terrain d’attente. Par contre, les deux transgresseurs ne veulent débattre de la chose. Ils ont, apparemment, d’autres chats à fouetter.

Ibou Sarr non plus, n’a pas envie de discuter. La journée a été longue pour lui. A la demande de son frère, il est venu le suppléer. Cela fait deux jours que lui et son frangin tentent d’obtenir un certificat d’aptitude à la visite technique. En attendant, il faut prendre son mal en patience. Cela, Ibou l’a bien compris. Raison pour laquelle, il ne pouvait venir.

Le petit oreiller posé sur la chaise avant, du côté gauche de la voiture, comme s’il est coincé dans sa voiture, une vieille Peugeot 309 grise, il en profite pour dormir. Histoire de tromper la faim. Les pieds posés sur les vitres, il est, tranquillement, allongé, en attendant que la situation se décante. Mais tout un programme !

Rongés par le sommeil et bouffés à l’énergie par la faim, des chauffeurs se tapent une sieste

Chaque jour, des voitures de différentes marques attendent, impatiemment, leur tour, afin de se voir délivrer le sésame tant recherché. Ce qui n’est pas une mince affaire. Non seulement, la file d’attente est longue. Mais aussi, il arrive que les techniciens «au Service des mines» jugent inapte l’état d’un véhicule testé. Par conséquent, les recalés de l’examen de passage sont obligés de revenir à une date ultérieure. Le cas échéant, il faudra, une fois de plus, faire la queue. Un exercice de funambule que craignent tous les candidats à l’examen.

Chauffeur de taxi, Amadou Thiam est concerné par ce cas de figure. Son dernier passage a été infructueux, malgré le fait qu’il y ait fait trois jours dans la file d’attente. Après être repassé au garage, le revoilà convaincu que, cette fois-ci, sera la bonne. Seulement, il y a d’autres paramètres, qui peuvent entrer en jeu.

Cheikh Sow : «j’ai remarqué que certains agents sont corrompus ; pour 5000 F Cfa»

La corruption est un fléau bien ancré, au niveau du «Service des mines». Cela, Cheikh Sow en est convaincu. Trouvé dans un particulier noir de type 4/4, le bonhomme se dit consterné par certaines pratiques au niveau de l’institution. «J’ai remarqué que certains agents sont corrompus. Il arrive que l’on fasse la queue et que d’autres, qui viennent d’arriver, passent avant nous.

C’est ce qui m’est arrivé, la fois passée. Lorsque j’en ai parlé au policier en poste, il m’a rétorqué qu’il ne peut rien y faire». D’ailleurs, notre interlocuteur affirme qu’un  agent lui a même proposé de l’aider à passer avant les autres, moyennant la somme de 5000 F Cfa. Chose qu’il a refusée, affirme-t-il. Sa persévérance va bientôt donner ses fruits, puisque Cheikh Sow est sur le point d’atteindre son but, lorsque le reporter de Source A est passé sur les lieux.

Pendant ce temps, Jean Sytient bon. Agé d’à-peu-près cinquante ans, le chef d’entreprise se demande si sa journée de travail ne sera pas perdue.Pour cause dit-il, «je suis là depuis 6h30. Ma prière du matin, je l’ai faite, ici. Or, je ne vois même pas l’entrée du Centre».

Jean Sy, chef d’entreprise : «nous faisons, à-peu-près, 15 mètres, toutes les deux heures».

Et, cela ne présage rien de bon puisque le certificat  d’aptitude technique de l’entrepreneur arrive à  expiration demain. Raison pour laquelle, il a voulu anticiper. «Je me suis dit qu’aujourd’hui, si j’y vais tôt, peut-être qu’au plus tard, vers midi, je pourrai passer. Mais il est 14h et je suis encore là.

Pis, je sais qu’à 16h, ce sera toujours le cas. Nous faisons à-peu-près 15mètres toutes les deux heures. Cela me pénalise dans le cadre de mon activité professionnelle. Tout à l’heure, ma Secrétaire m’a informé que nous avons des problèmes de trésorerie. Il fallait que je sois à la Banque pour récupérer de l’argent».

Aujourd’hui, tous les chauffeurs sont d’avis qu’il faut aller vers une multiplication des Centres de contrôle technique des véhicules automobiles. Sur ce, Source Aa appris qu’un nouveau vient d’être mis en service à Mbao. Mais attention, l’érection de ce Centre-là ne garantit pas, forcément, la fin du calvaire des automobilistes. Dans la mesure où, seuls les véhicules âgés de moins de huit ans seront habilités à s’y rendre.

Omar NDIAYE (Source A)

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