“Massata est un maître chanteur. Il a empoché des millions d’euros. Les Russes l’auraient liquidité si…”. Ces graves accusations sont de celui qui aura été le bras droit de Lamine Diack jusqu’à la chute : Habib Cissé, avocat et ancien conseiller juridique de l’IAAF.
Ce dernier s’est confessé au “Monde” qui a eu accès à des mails, virements et lettres mettant formellement en cause Papa Massata Diack.
Il ne s’agit plus de supputations mais de preuves scientifiques qui confirment l’existence d’une vraie mafia. D’autres informations supplémentaires obtenues par Libération confortent l’enquête de nos confrères et révèlent des virements de forte sommes vers une société écran basée à Dakar, plus précisément à la Zone B.
«Il est cuit. Il est vraiment cuit ». Ainsi s’exprimait hier une source judiciaire française interpellée par Libération sur les nouvelles révélations du journal «Le Monde» et de la chaine allemande «Ard» concernant la place et le rôle de Papa Massata Diack dans le système de corruption mis en place au cœur de l’IAAF.
Un rôle d’autant plus clair que Habib Cissé, mis en examen en même temps que Lamine Diack, a ouvertement accusé Papa MassataDiack dans les colonnes du «Monde» : «Papa Massata Diack a organisé dans mon dos le chantage auprès des athlètes (russes) dès novembre 2011. Il a reçu plusieurs millions d’euros autour de ces affaires, et il n’a remboursé que la moitié aux Russes. C’est grâce à moi s’il est encore en vie, sinon les Russes l’auraient liquidé depuis longtemps, et on aurait jamais retrouvé son corps».
L’accusation publique est claire. Déjà, lors de son dernier interrogatoire devant le juge, Habib Cissé s’était lâché : «Valentin Balakhnichev m’avait dit fin 2012 que Papa Massata Diack avait sollicité de l’argent en échange de la protection de certains athlètes et c’est le non-respect de cet engagement de protection des athlètes qui a provoqué un conflit, des lettres de menaces.»
Valentin Balakhnichev à l’IAAF : «Nous avons les preuves de vos agissements criminels. Vous avez intérêt…»
Libération a pris connaissance de l’intégralité de cette lettre que Valentin Balakhnichev, alors président de la Fédération russe d’athlétisme a adressé à l’IAAF : «Permettez-nous de vous rappeler que dès l’origine, le contexte de ces six cas (ndlr, athlètes russes pris pour dopage) était très éloigné de tout cadre légal et éthique. En 2011, lorsque nous nous sommes retrouvés face à 19 cas de passeports biologiques anormaux, incluant des champions olympiques et du monde, vous nous avez proposé un marché. Qualifier cela de marché est trop diplomatique aujourd’hui. Il s’agissait d’un chantage cynique et cruel. Nous n’allons pas garder le silence car nous avons les preuves des agissements criminels de l’IAAF. Le seul moyen d’éviter un scandale à l’IAAF est de continuer à faire comme vous avez fait ces dernières années c’est-à-dire de gérer ça discrètement.»
La justice française a les preuves attestant que Balakhnichev avait versé des commissions de 1,5 million d’euros pour acheter le silence de l’IAAF. Interrogé sous le régime de la garde à vue à Nanterre, dans le local de la Brigade financière, Gabriel Dollé, ancien monsieur antidopage de l’IAAF avait évoqué ce paiement non sans indiquer avoir reçu 104.000 euros de Lamine Diack ainsi que 50.000 euros de Massata Diack. Mais, à ce stade des investigations, les juges ne connaissent pas l’identité de la personne ayant encaissé les 1,5 million d’euros.
Lors d’une récente audition devant le juge français, Lamine Diack a démenti être le bénéficiaire de ces fonds après avoir fait des aveux partiels en garde à vue, lorsqu’il avait promis de “prendre ses responsabilités” : «Je n’ai jamais demandé de l’argent à un athlète russe pour le couvrir. Jamais et aucun athlète ne dira le contraire. Si je devais demander de l’argent à un Russe, ce serait à Vladimir Poutine», a t-il affirmé droit dans ses bottes.
LamineDiack aux juges: «Si je devais demander de l’argent à un Russe, ce serait à Poutine»
Les révélations du “Monde” et de l’Ard permettent de saisir le contexte dans lequel cette lettre incendiaire a été écrite. « Au domicile d’Habib Cissé, en région parisienne, où ont été saisis les deux mails de juin et juillet 2014, les enquêteurs ont également trouvé une note de plusieurs pages se terminant par « A. Melnikov », du nom de l’entraîneur de l’athlétisme russe. Elle n’est pas datée, mais selon nos informations, remonte au printemps 2013. Sont mentionnés vingt-trois athlètes russes qui ont des « problèmes avec leurs passeports biologiques » et un certain « H.C. ».
“H. C.” s’est engagé à fournir son assistance juridique concernant les affaires citées dans la liste avec un salaire de 600 000 euros ». Ecrite dans un anglais approximatif, cette note mentionne le fait que PMD, courant 2012, a demandé de l’argent pour la « full protection » (protection totale) de plusieurs athlètes, dont les marcheurs Valery Borchin, Olga Kaniskina (600 000 euros), Vladi- mir Kanaykin (300 000 euros) et Sergey Kirdyapkin (700 000 euros, et la spécialiste du 3 000 mètres steeple Ioulia Zaripova (600 000 euros). Cinq noms qui pèsent lourd en termes de médailles.
Kaniskina a été championne olympique, à Pékin, en 2008 puis médaillée d’argent en 2012. Double champion du monde, Borchin a été également sacré aux Jeux de Pékin. Kirdyapkin a remporté l’or aux Jeux de 2012.Quant à Zaripova, elle a été, elle aussi, sacrée à Londres. En janvier 2015, l’agence antidopage russe a annoncé la suspension des cinq athlètes», selon nos confrères. Qui ajoutent : « face au nom de LiliyaShobukhova figurelamention suivante : « 300 000 (P) + 150 000 (H) ».
“Half-Half”, “Full protection” ou les codes de la mafia
Les enquêteurs soupçonnent que les deux lettres désignent Papa Massata Diack et Habib Cissé. Toujours au domicile de Me Cissé, perquisitionné en novembre 2015– les scellés ont été versés au dossier d’instruction seulement en septembre 2016–, les enquêteurs ont aussi trouvé une lettre d’entente entre Habib Cissé et la Fédération russe d’athlétisme prévoyant le versement à l’avocat de 600000 euros (390.000.000 F Cfa), entre novembre2011etmars 2012, pour du « conseil en affaires juridiques » sur des questions de dopage.
Enfin, des SMS entre Cissé et PMD ont également été saisis et conservés. Le 14 mars 2014, PMD envoie un texto à Cissé : « Habib, prévois de retourner les 50 000 euros reçus sur le cas Shobukhova dès lundi. Valentin [Balakhnichev] réclame un remboursement intégral de cette somme afin d’officialiser la sanction et la signature. Merci de me préciser les modalités pratiques. »
Le 3 avril, Habib Cissé envoie un message à Papa Massata Diack : « Bonjour, je vais remettre à AB half today. J’ai besoin de 15 jours environ pour l’autre half. J’expliquerai à AB le pourquoi. Merci de ta compréhension. Habib ». « AB » correspond aux initiales d’Assane Ba, collaborateur de PMD et dirigeant de certaines de ses sociétés.
Des traces de virements vers une société écran basée à Dakar
Les enquêteurs savaient déjà, selon nos confrères, que Black Tidings, une société-écran basée à Singapour, avait servi à virer 300 000 euros, le 27 mars 2014, vers le compte d’Igor Shobukhov, lorsque son épouse, Liliya Shobukhova, sachant qu’elle allait être sanctionnée, réclamait le remboursement de son argent. Mais les nouvelles données du fisc américain auxquelles ‘’Le Monde’’ a eu accès montrent aussi que deux jours plus tôt, le 25 mars, Pamodzi Consulting SARL, une société liée à Papa Massata Diack, a effectué un virement de 434950 dollars vers Black Tidings.
Le 5 août 2013, cinq jours avant le début des Mondiaux d’athlétisme à Moscou, Black Tidings effectue trois transferts pour un montant total de 750 000 dollars, dont un virement de 100 000 dollars vers un compte de Ian Tan Tong Han, un proche de PMD- il lui a donné le nom de son fils- et un autre de 350000 dollars vers Sporting Age SUARL.
Menacé par les Russes, Massata vire 500.000 dollars à une société offshore contrôlée par Balakhnichev
Pour les seules journées des 6 et 12 novembre 2013, 197000 dollars ont été virés de Black Tidings vers PMD Consulting, et 20000 dollars de la société singapourienne vers un compte personnel de Papa Massata Diack. Les liens financiers entre Black Tidings et PMD apparaissent donc multiples.
Papa Massata Diack pourra aussi s’expliquer sur ce virement de 500 000 dollars, le 21février 2013, de Pamodzi Consulting SARL vers New Mills Investment Limited. Cette société offshore, domiciliée à Saint-Christophe-et-Niévès, est une structure créée par la Compagnie monégasque de banque pour le compte de… Valentin Balakhnichev. Ce virement confirme le remboursement évoqué, plus haut, par Habib Cissé qui a été récemment placé en détention provisoire avant d’être libéré par la Chambre d’instruction.
La face cachée de Sporting Age, la société fantôme de la Zone B
Des informations supplémentaires de Libération établissent que 3 millions d’euros ont été saisis dans le compte monégasque de New Mills.
Quid de Sporting Age ? Gérée par Assane Ba, un proche de Papa Massata Diack, Sporting Age appartient, sur le papier, à Ian Tan Han, le dirigeant de Black Tidings. Cette entité basée à Dakar a toutes les allures d’une société écran. Mise en orbite le 27 juillet 2010, elle est logée à la Zone B, villa numéro 10.
Libération s’est rendu à cette adresse et aucune société connue n’y est active. Des vérifications auprès du fisc sénégalais renseignent qu’elle n’a jamais communiqué ses résultats.
Les enquêteurs français ont aussi reçu le témoignage officiel de l’athlète turc Altekin. L’athlète accuse, détails à l’appui, Papa Massata Diack d’avoir tenté de lui soutirer 650.000 euros. Le fils de Lamine Diack s’est d’ailleurs rendu à Istanbul le 20 novembre 2012. Lors d’une rencontre à l’hôtel Hyatt Macka Palas, l’athlète informe avoir remis 35.000 euros à Papa MassataDiack.
Cheikh Mbacké Guissé – Libération