Depuis la coupure d’eau annoncée pour 5 jours, du 12 au 16 mai dernier, ma vie a connu un bouleversement. La corvée d’eau est devenue une réalité quotidienne et imparable pour moi. Chaque jour, en rentrant du travail (entre 1h et 2h du matin, parfois plus tard), mon premier geste est de vérifier si le robinet coule. Malheureusement, une seule goutte n’en sort. Ensuite, au moment de me coucher, je règle mon réveil pour une heure plus tard. Quand au bout d’une heure ça sonne, je me lève pour vérifier s’il y a de l’eau. Toujours rien ! Je remets le réveil pour une autre heure, ainsi de suite, jusqu’à 5h du matin.
A 5h, toujours pas d’eau. Or, il m’en faut impérativement. Et une seule solution s’impose à moi. Charger mes 8 bidons de 20 litres chacun dans un taxi ou dans la voiture de ma rédaction, aller les remplir au bureau, les descendre sur trois étages, retourner à la maison et les faire monter sur deux étages. Et c’est ainsi, tous les jours. La conséquence sur ma santé ne s’est pas fait attendre. Je suis tombé malade à deux reprises et j’ai cumulé une dizaine de jours sans aller au travail. Ne pouvant plus physiquement assurer cette corvée, quotidienne depuis un mois, je loue les services d’un marchand d’eau qui me vend le bidon de 20 litres à 200 F. Ce qui me fait chaque jour 1600 F pour mes 8 bidons, soit quasiment 50.000 F Cfa par mois.
Dès lors, vous comprendrez l’immensité de mon espoir, quand je vous ai entendu promettre la fin de la pénurie pour le 20 juillet. Malgré qu’il restât encore du temps avant d’arriver à l’échéance, je me disais qu’au moins, mon calvaire prendrait fin.
La grande déception
Mais hélas, ma déception a été à la hauteur de mon espoir, quand hier, d’une heure du matin à la tombée de la nuit, j’ai attendu en vain que de l’eau coule enfin de mon robinet. Complètement déboussolé, je ne peux que vous faire une querelle de borne fontaine.
Je n’ai jamais pensé qu’il en serait ainsi. Dans mon optimisme béat et vu l’idée que je me fais du respect de la parole donnée, je me disais que le Premier ministre s’est engagé et, avec lui, le gouvernement. Et qu’il ferait tout pour tenir sa promesse, pour ne pas décevoir les populations. Mais, la vérité est là, toute crue. Votre promesse n’a pas été tenue. La pénurie d’eau continue de plus belle.
Et c’est d’autant plus grave que votre ministre de l’Hydraulique et les responsables de la Sde, qui certainement avaient une vue plus claire sur la situation, se sont désolidarisés, même implicitement, de votre promesse depuis quelques jours. Sur ce point au moins, et malgré la grosse dent que j’ai contre lui, le ministre Mansour Faye a été honnête avec les citoyens, en reconnaissant son incapacité à assurer correctement le service de l’eau à Dakar à la date du 20 juillet.
Alors, en tant que chef du gouvernement, sur la base de quelles informations et venant de qui, vous vous étiez engagé pour la date du 20 juillet ? Aviez-vous en ce moment tous les éléments d’information sur le sujet ? Aviez-vous l’aval du ministre en charge du secteur et des responsables de la Sde ? Ces derniers s’étaient-ils engagés auprès de vous, avant de se rendre compte que c’était impossible de respecter ce délai, d’où leurs nombreuses sorties médiatiques ces derniers jours, pour donner des échéances plus lointaines ? Aviez-vous donné la date du 20, juste pour calmer la colère populaire de plus en plus montante ? Dans tous les cas de figure, c’est grave. Vous avez trahi l’espoir des populations assoiffées de Dakar!
Et je suis d’autant plus révolté qu’après cette grosse promesse qui a fait naître tant d’espoir, vous n’êtes même pas sorti pour faire des excuses, ou au moins donner des explications justifiées aux populations qui n’ont plus que leurs yeux pour constater leur calvaire quotidien. Mais, pour cela, il faudrait avoir une haute compréhension et vision du devoir et des obligations d’un dirigeant envers son peuple. Je n’ose point vous comparer au Premier ministre japonais qui, pour une coupure d’électricité de 20 minutes, s’est incliné pendant la même durée, devant son peuple, en guise d’excuse. Cela évidemment, je ne l’attends point de vous. Plus proche de nous, au Ghana, le ministre de l’Energie après avoir promis la fin des délestages avant la fin de l’année (2015), a démissionné le 31 décembre 2015 quand sa promesse n’a pas été tenue. Mais de vous, je n’espère pas une démission. Les exemples font flores qui prouvent à suffisance que la démission ne fait pas partie de la culture de nos dirigeants.
Des «robinets Macky» à la place
On demande aux populations qui n’en peuvent plus de patienter encore des semaines, voire des mois, en essayant ou espérant les calmer avec quelques citernes d’eau. Mais même ces citernes d’eau que les populations dans les quartiers surnomment ironiquement «robinet Macky», ne changent rien à la donne. Vous pouvez promettre, ne pas respecter vos promesses et ne même pas prendre la peine de vous expliquer ou avoir l’humilité de vous excuser. Vous pouvez repousser et repousser encore vos échéances. Mais, quand la coupe du peuple sera pleine de désespoir, de désillusion et de colère, elle se déversera inéluctablement. Et personne ne peut résister à la furie de l’eau.
Mbaye THIANDOUM
Journaliste
Rédacteur en Chef du quotidien «Les Echos»