Après pratiquement trois semaines de passes d’armes, l’avenir de cette région rebelle du nord-est de l’Espagne se joue ce samedi 21 octobre. Il est entre les mains du Conseil des ministres extraordinaire, convoqué pour 10 heures locales par le chef du gouvernement. Vendredi soir, Mariano Rajoy a reçu un soutien appuyé du roi d’Espagne, ainsi que celui des partis d’opposition. Il démarre donc cette journée cruciale dans une position favorable.
A Oviedo, dans le nord-ouest de l’Espagne, Mariano Rajoy a dû se sentir bien entouré, à la veille d’une journée cruciale pour le pays. C’est à l’occasion de la remise du prix Princesse-des-Asturies, remis notamment cette année à l’Union européenne, que le monarque Felipe VI a apporté son soutien total au chef du gouvernement.
Le souverain a parlé de « l’inacceptable tentative de sécession » et de « la nécessité impérieuse pour le pouvoir central de résoudre la crise de manière respectueuse ». Une façon de légitimer ce que Rajoy va faire lors du Conseil des ministres extraordinaire, à savoir l’application de l’article 155 de la Constitution qui revient à mettre sous tutelle la Catalogne et à en prendre le contrôle.
Cette décision est loin d’être évidente pour le chef du gouvernement, d’où cette intervention solennelle de Felipe VI pour l’appuyer. « La Catalogne est et sera une partie essentielle de l’Espagne du XXIe siècle », a ajouté le roi, autrement dit toute indépendance est inimaginable. « Nous ne voulons pas renoncer à ce que nous avons construit ensemble », a-t-il insisté.
Même tonalité offensive du président du Parlement européen, Antonio Tajani. Il a violemment dénoncé ceux qui « sèment la discorde (et) ignorent volontairement les lois », une allusion transparente aux dirigeants catalans qui défient l’Etat depuis deux ans.
L’exécutif national renforcé par l’unité
Mariano Rajoy a déjà reçu l’appui des leaders européens et des principales formations politiques du gouvernement : le parti populaire (conservateur), et l’opposition du PSOE (parti socialiste) et de Ciudadanos. Soucieux de présenter une image consensuelle face à cette crise, le chef de l’exécutif va donc se sentir moins seul.
Une unité indispensable selon Benoît Pellestrandi, historien de l’Espagne : « Sans cette unité, la mise en route de l’article 155 de la Constitution n’était pas possible, donc il faut bien comprendre qu’elle est absolument fondamentale pour entamer un processus régulier de sortie de crise. Rien ne dit, hélas, que ce processus régulier réussira. »
Car aucun chef de gouvernement n’a encore appliqué en Espagne cet article qui supposera la dissolution de l’exécutif catalan et la prise de contrôle par Madrid de chaque ministère régional. Une mesure d’exception à laquelle le chef de file séparatiste Puigdemont répondra certainement par une déclaration d’indépendance unilatérale. Soit un grand saut dans l’inconnu.
« Pour ma part, les plus vives inquiétudes [sont] au regard de la stratégie du camp indépendantiste, reprend Benoît Pellistrandi. Les indépendantistes savent qu’ils ont d’une certaine façon perdu la partie du point de vue du droit et du point de vue de la légitimité. Ils veulent en réalité créer de l’irrémédiable et de l’irréparable pour imposer au final l’indépendance. Si cette indépendance a lieu, ce sera au terme d’un processus traumatique qui prendra plusieurs années, mais ils sont en train de créer les conditions d’une rupture définitive qui prendra la forme d’un conflit politique, civique et social. »
La bourgeoisie catalane devenue fébrile
Des élections anticipées devraient être organisées en Catalogne début 2018. Le gouvernement espagnol souhaite obtenir un autre rapport de force et un autre interlocuteur que l’actuel dirigeant indépendantiste, Carles Puigdemont.
« C’est en effet le souhait très fort de Madrid. Avec aussi l’idée que le front indépendantiste est en train de se fissurer. On ne le voit pas encore – peut-être c’est un calcul politique, peut-être qu’il ne se fissura pas – mais les pressions économiques, l’annonce de départ de plusieurs centaines d’entreprises, la fuite des capitaux à laquelle on a assisté font qu’il y a quand même toute une partie du nationalisme catalan qui n’était pas indépendantiste et qui s’était joint aux indépendantistes commence à prendre peur. Pour le dire de façon un peu plus schématique, la bourgeoisie catalane peut commencer à avoir peur par rapport aux dérives ultras gauchistes de certains indépendantistes et c’est sur ces contradictions que compte le gouvernement de Madrid pour reconfigurer une majorité différente en Catalogne et une majorité qui pourrait permettre le dialogue », analyse enfin Benoît Pellistrandi.
Avec RFI