ACTUSEN
Contribution

De la moralisation de la vie politique au Sénégal, par Seydina Ousmane Dramé

L’activité politique bénéficie actuellement dans notre pays d’un préjugé fortement défavorable. L’homme politique est parfois perçu par le sens commun comme un personnage machiavélique qui n’a d’yeux que pour sa carrière, ses intérêts et ceux de son clan. Evidemment,les praticiens véreux on les retrouve dans tous les domaines. Si on veut moraliser la politique, le premier pas serait d’arrêter de le stigmatiser afin de réfléchir sur le sujet de manière plus objective.Il faut rappeler que longtemps on a fait un faux procès à  Machiavel  alors que son ouvrage remarquable « Le prince » se veut comme une description et non une prescription pour la conduite humaine. « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie » c’est avec ce ton sarcastique que s’exprimait François Sales au XIX siècle pour déplorer le déclin des valeurs morales. Et il suffit de se pencher sur l’actualité politique de notre pays pour réaliser combien ce sujet est d’actualité :détournements de deniers publics, injures et violences électorales.

La morale  est le propre de l’homme. Elle est le résultat d’une victoire sur nos basses passions. C’est parce que  la politique est une affaire d’homme qu’on ne peut la dissocier d’avec la tenue d’une conduite morale. Cela est d’autant plus légitime que le Sénégal est un pays fortement religieux (94% de musulmans, 5% de chrétiens et 1% d’animistes) et d’illustres guides religieux et spirituels ontdonné le ton de la rectitude morale durant l’histoire de notre jeune nation : Cheikh Ahmadou Bamba, El hadji Malick Sy, Mon Seigneur Adrien Thiandoume pour ne citer que ceux-là.Et même dans notre patrimoine culturel, nous retrouvons les vertus cardinales de goor (dignité), diome (courage), khersa (décence) et de mougne (patience). Ce riche legs devrait se refléter sur notre modèle de société surtout en politique quiest  l’instrument par lequel nous concevons et bâtissons notre développement.

La morale, c’est l’ensemble de nos  devoirs et de nos interdits. Mais ce sont des obligations que l’on s’impose à soi-même  par différence avec les obligations juridiques, non par intérêt pour soi-même mais pour tenir compte des intérêts des autres. Quand notre conscience nous interpelle, c’est la société qui parle en nous. C’est l’œil du jugement social que l’on braque sur nous-même. Autrement dit, la morale n’est légitime qu’à la première personne. La morale ne sert pas à juger les autres. Elle  ne sert pas à condamner les autres, ce serait du moralisme d’ailleurs. Elle sert à se juger soi-même,  pour les autres le droit,la tolérance et la miséricorde suffisent.

Quant ’à la  politique, elle  s’occupe des moyens et non des buts par opposition à la morale. Par exemple, en démocratie, ce ne sont pas les plus vertueux qui gouvernent mais les plus forts en nombre. La morale dit ce qu’il fautfaire par, exemple : baisser le chômage, réduire la pauvreté, ce sont là des buts, des idéaux. La politique cherche à répondre à la question du comment, c’est la recherche des moyens. Et l’unanimité n’est presque jamais possible sur la question du comment. C’est ce qui donne à la politique sa nature conflictuelle.

La morale est désintéressée dans son principe. Ce n’est pas le cas de la politique assez souvent. La morale n’a pas de frontière, la politique en a. Qu’est-ce qui fait la différence entre un sénégalais et un étranger ? La différence est simple, c’est la nationalité. La morale aurait voulu que l’on accueille tous les étrangers demandeurs d’asile, sans exception, au nom du  devoir moral d’hospitalité. La politique va s’occuper par exemple de leurs conditions d’accès sur le territoire et vérifier leur état sanitaire, casier judiciaire, les motifs réelslégaux ou illégaux de leur migration, etc…

La morale et la politique n’ont manifestement pas le même objet. La morale s’occupe des fins, la  politique des moyens. Faut-il alors bannir toute morale en politique ? Absolument pas !

L’homme est un animal social et politique. Il est individu soumis à des devoirs moraux et citoyenssoumis à la loi. Il est un acteur politique d’une manière ou d’une autre. Il ne peut être apolitique. « Si vous ne vous occupez pas de la politique, la politique s’occupera de vous » a dit le philosophe Alain.

Comme c’est la morale qui fixe les buts, elle ne nous dit pas pour qui voter. Elle vous dit plutôt pour qui ne pas voter. Notre choix est déterminé par les compétences politiques. De toute façon, une élection ce n’est pas un prix de vertu. Il n’y a manifestement pas de morale en politique, c’est justement pour cette raison qu’il  doit y avoir une morale pour les politiciens. Car il n’y a de morale que pour et par les hommes. Les acteurs politiques ne sont pas de simples gestionnaires. Ils doivent être animés de patriotisme et porter une vision. Oui ! Il faut avoir une vision sur ce qu’est  le Sénégal. Le Sénégal, ce n’est pas simplement un PIB, c’estun message au reste du monde, c’est un message d’humanisme, de solidarité, de durabilité et de probité dans la gestion quotidienne, c’est un message de dialogue et de concertation, et un patrimoine à léguer aux générations futures. Je ne trouve pas normal que les anciens chefs d’Etat, qu’ils soient sénégalais en particulier ou africains en général, aient presque tous un patrimoine plus grand en termes de richesses que les chefs d’Etat des pays développés d’où l’aide au développement nous vient. Qu’ils s’enrichissent au détriment de leur peuple qui ploie sous le poids de la pauvreté. Qu’ils se paient des appartements dans les grandes capitales européennes comme Londres, Paris, Amsterdam. A-t-on déjà vu un président d’un pays développé posséder des biens fonciers en Afrique ?Il y a aussi le respect de la parole donnée, des promesses de campagne. Parce qu’on est élu sur la base de la confiance. Il faut, tant que faire se peut,ne pas abuser de la confiance des électeurs, essayerderespecter ses promesses. Evidemment, elles ne peuvent pas être tenues à 100%. Ce n’est pas toujours possible, l’exercice du pouvoir à ses réalités. Alors faire de son mieux en toute bonne foi quand on est au pouvoir. Et quand on est dans l’opposition ne pas simplement se limiter à dénigrer le pourvoir en place mais contribuer en proposant des solutions. La critique est facile, l’art est difficile. Un homme politique, pour être estimable, doit prêcher l’exemple. Avant de s’indigner, il faut être digne.Je pense que quand on prétend aimer et vouloir servir sa patrie, il y a un minimum de valeurs morales à incarner.

La morale en politique est une question de responsabilité individuelle de tout un chacun. Parce que les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent. La politique n’est pas de l’entreprenariat. Il y a un temps pour la parole politique et il y a un temps pour l’action politique mais au Sénégal on est en campagne électorale de janvier à décembre ! Peut-être que le mandat unique de 7 ans serait bonà rasséréner les ardeurs des entrepreneurs politiques et transhumants intéressés. On aurait un président qui ne serait plus chef de parti. Et donc plus libre de prendre des décisions courageuses au service de l’intérêt supérieur du pays. Et  n’ayant plus à chercher des soutiens politiques tous azimuts. Ce qui est vraiment couteux en termes de temps et de ressources. L’engagement politique doit être désintéressé et  motivé par l’amour de la patrie et le sens du devoir. Nous sommes tous responsables. C’est nous qui élisons les dirigeants.

Cependant, ce sont les élites politiques qui doivent jouer un rôle avant-gardiste pour moraliser la politique. Les périodes phares de l’histoire des peuples se réduisent souvent à la bibliographie de quelques grands hommes. La Chine de Mao avec sa révolution culturelle, l’Afrique du Sud de Nelson Mandela qui a instauré les bases d’une nation arc-en-ciel et a apaisé les velléités de vengeance contre la communauté blanche, pour un vivre ensemble apaisé, indispensable au développement. Et Léopold Sédar Senghor au Sénégal qui a eu le mérite de poserles bases d’une culture démocratique. Le Sénégal est d’ailleurs l’un des rares pays en Afrique qui n’a pas connu de coup d’Etat. Il appartient aux politiques d’avoir ce supplément d’âme, ce sursaut de patriotisme pour servir leur pays et non se servir. Le combat de la moralisation de la vie politique doit être porté par les élus. L’exemple doit venir d’en haut même si chacun doit y mettre du sien.

Seydina Ousmane Dramé, 17 juillet 2017

Leave a Comment