« Pour tester les valeurs morales d’une société, il suffit de regarder comment elle traite ses enfants » Dietrich Bonhoeffer (1906-1945)
Boubacar de retour de Paris après ses vacances de congés fit part à son ami Mohamed de sa visite d’une maison de retraite en lui confessant qu’il a été frappé par le sort de certaines personnes âgés en Europe.
Il s’épancha sur l’injuste sort réservé aux gérontes, jetés dans des maisons de retraite après avoir servi leur famille toute leur vie. Que c’était-là une bien curieuse manière de les récompenser. Qu’ils étaient victimes de solitude parce que privé de vie familiale en plus d’être en butte à la faiblesse psychologique qu’entraine le grand âge. Il enchérit que cette manière de faire n’était que le résultat d’une société individualiste corollaire du capitalisme décadent. Il rappela pour s’en réjouir que nous avons la chance de vivre dans une société plus solidaire où les personnes âgées ne sont pas exclues.
Mohamed voyant les choses sous un angle différent, rétorqua d’abord que les choses étaient beaucoup plus complexes qu’elles n’en avaient l’air. Que ce n’était pas par désamour ni dans le but de s’en débarrasser que ces personnes âgées étaient envoyées par leur famille dans les maisons de retraite. Que c’était le résultat d’une structure de l’économie avec ses conséquences sociologiques. D’abord, dans ces pays développés, l’espérance de vie est élevée et le taux de chômage est largement plus bas que dans nos pays.
De cet état de fait, la majeure partie de la population active n’est pas disponible pendant les heures de travail. Le SMIC y est élevé donc avec son salaire il est peu probable qu’on puise payer un autre salaire. Seule une minorité nantie peut se permettre le luxe d’employer du personnel pour prendre soins de parents âgés à domicile. Ces maisons de retraite constituent la solution la plus responsable, ne pouvant les laisser à eux-mêmes. Le progrès économique aussi ne va pas sans son revers de médaille.
A son tour Mohamed lui fit part d’un autre fléau social qui était plus poignant à ses yeux : la mendicité des enfants. C’est une souffrance injustifiée qu’on leur inflige, pensa-t-il.
Premièrement, ils sont exploités sous prétexte d’un enseignement religieux. Voici le schéma classique : des parents démunis envoient leur enfant étudier le coran chez un marabout. Ce dernier ayant la charge de les accueillir et de les pensionner et se trouvant lui aussi sans secours envoie les enfants mendier pour assurer les charges de son école. Cependant tous les programmes d’enseignement privés ont leur coût. L’enseignement religieux qui a une place primordiale dans la formation de l’individu et dans son accomplissement pourquoi devrait-il être gratuit ?
Deuxièmement, les parents de ses enfants sont responsables au premier chef. Comment peut-on en bonne conscience concevoir un enfant et n’avoir d’autre projet pour lui que de le mettre à la charge de la charité publique ?
Troisièmement, d’aucuns diront que c’est la pauvreté qui poussent les parents à envoyer leurs potaches dans ce système d’exploitation. Mais c’est au parent que revient la charge de la subsistance de l’enfant, même dans une famille où la mendicité est nécessaire c’est au parent qu’incomberait la tâche de mendier pour nourrir son enfant.
Après avoir écouté son ami, Boubacar reconsidéra la question, il fut obligé de convenir qu’en matière d’assistance sociale des couches les plus faibles, nous n’avons pas de grandes leçons à donner aux occidentaux.
NOTES
- Très souvent dans notre société on se demande d’où vient l’incivisme. La personnalité d’un enfant d’après la psychologie moderne se forme de 0 à 7. La base est très importante dans l’éducation. Un enfant qui évolue dans la rue, sans supervision, ses rapports à la bienséance, à la propreté, au respect du bien public sont faussés dès le bas-âge. Il serait même enclin à devenir un mauvais citoyen voire même un délinquant.
- Dans une société moderne, la mendicité des enfants fait tâche dans le décor. L’émergence à laquelle nous aspirons ne rime pas avec de telles pratiques.
- Le mot « talibé » usité pour désigner les enfants-mendiants vient de l’arabe « talab» qui signifie étudiant. Mais ces enfants ne sont pas des apprenants au sens propre du terme ou s’ils le sont ce n’est qu’accessoirement. Ce sont des esclaves. Et la comparaison de cette traite des enfants avec l’esclavage n’est pas excessive. Voyez donc les similitudes. Qu’est qu’un esclave ? Une personne contrainte à l’exercice d’une activité, sans rémunération, sous la menace de punitions corporelles. Nous retrouvons de part et d’autre les trois éléments : le « travail » forcé, l’absence de salaire et le fouet. Si je me permets une petite digression, il s’y ajoute le fait que jadis, il était interdit à l’esclave d’apprendre à lire ou d’apprendre quelque connaissance que ce soit. Il lui était seulement permis de connaitre quelque passage de la bible surtout ceux libellés pour renforcer sa servitude à l’égard de son maitre.
- La Loi 2010-10 du 5 mai 2010 voté au Sénégal déclare l’esclavage et la traite négrière, crimes contre l’Humanité. En 2018 encore, on réduit en esclavage des centaines d’enfants à travers le pays et paradoxalement cette hideuse pratique est devenue familière à nos yeux. L’esclavage a durée 400 ans parce qu’il était rentré dans les habitudes et tout le monde trouvait ça banal. De grâce, que notre capacité d’indignation reste toujours en alerte contre l’inacceptable.
- Pourtant ce ne sont pas les outils juridiques pour protéger les enfants qui manquent : Nous avons le Code la famille qui contient des dispositions protectrices des droits des enfants en plus de la Convention des Nations unies relative aux Droits de l’Enfant de 1989 ratifié par le Sénégal en 2003.
- Avec le nouveau projet de loi portant code de l’enfant, le Sénégal sera résolument engagé à renforcer les politiques en faveur de l’enfance. L’interdiction de la mendicité figure également dans ce projet de code. Cette interdiction ne devra souffrir d’aucune exception sur l’ensemble du territoire national.
- L’Etat devrait prendre des mesures nécessaires pour que les enfants soient retirés de la rue. Législateur, sociologues, juristes portez ce noble combat. Citoyens sensibles aux droits des enfants, aux droits des plus faibles, vous pouvez cesser dès maintenant de donner de l’aumône sous forme de devise aux enfants-mendiants pour faire péricliter ce commerce immoral et illicite. Mais ledit projet de loi portant code de l’enfant est en souffrance depuis 15 ans au Sénégal. Vu leur nombre, ces enfants peut-être que s’ils étaient en âge de voter, intéresseraient plus d’un.
Seydina Ousmane Dramé