Djibril Ndiaye Gayndé a une compréhension particulière de la pérennisation du conflit casamançais vieux de plus de trois décennies. En effet, l’Expert en Géopolitique et Relations internationales, formé à l’université de Montréal, a simplement fait état de l’existence d’enjeux économiques qui n’ont «rien à voir avec la question d’indépendance agitée». Glissant sur la diplomatie sénégalaise, notre interlocuteur la qualifie de «paradoxe», sans compter le fait que, dit-il, nos autorités fonctionnent «en termes d’essai-erreur».
Autre sujet évoqué dans cet entretien que l’Universitaire a accordé à SourceA : le phénomène du terrorisme au Sénégal, qui, si l’on se fie à Djibril Ndiaye Gayndé, s’est implanté dans notre pays du seul fait que « la violence économique sévit » au pays de la Téranga.
« Le conflit Casamançais n’a rien à voir avec une question d’indépendance ». Affirmation d’un expert en Géopolitique et Relations internationales. En effet, dans un entretien qu’il a accordé à SourceA, l’Enseignant-chercheur, Djibril Ndiaye Gayndé, peu connu des médias sénégalais, affirme que ceux qui se laissent emballer par une cause politique de la crise interminable de la Casamance se trompent, très lourdement. Et pour cause, en sa qualité d’Expert en conflits, il a la certitude que si le conflit de la Casamance perdure, c’est du simple fait que celui-ci est entouré par des enjeux économiques et que « ça dérangerait beaucoup de personnes que l’on puisse faire la lumière sur cette crise ». Pour lui, il est incompréhensible qu’un conflit, qui a éclaté depuis 1982 au sein de l’espace géographique du Sénégal, s’enlise, sans que les autorités sénégalaises ne puissent en trouver une solution durable.
« Les autorités sénégalaises sont dans une dynamique de réponse et non de résolution de la crise en Casamance. Il y a une loi du silence qui règne sur cette problématique de la Casamance »
Dans le même registre, le sortant de l’Université de Montréal explique d’ailleurs qu’ « il y a une loi du silence, qui règne sur cette crise en Casamance ». Et de poursuivre : « si on ne parvient toujours pas à sortir de la crise, c’est dû au fait que des enjeux d’intérêts stratégiques pour les différentes factions de la Casamance sont en jeu. Car, il y a des trafics illicites de bois, dans la zone de conflit et non loin de la région de Casamance, il y a des exploitations d’or ».
En tout état de cause, Djibril Ndiaye Gayndé ne doute pas de l’existence des magouilles. Ainsi, il déclare que : «tout au début du conflit, on pouvait digérer des raisons d’indépendance avec le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance mais, à présent, les causes sont forcément économiques ».
D’ailleurs, renchérit-il, « une série d’enjeux économiques sont sous la table du conflit ». Restant toujours sur ce registre, il mentionne que, « malgré l’engagement des autorités à éteindre le feu en Casamance, celles-ci sont dans une dynamique de réponse et non de résolution de ce conflit ».
« Le Sénégal tâtonne beaucoup dans sa manière de mener sa diplomatie, en faisant valoir sa souveraineté interne, quand cela l’arrange et en foulant au pied les règles qui régissent la diplomatie »
Dans cet entretien accordé à SourceA, notre spécialiste formé au Centre d’études diplomatiques de Dakar a aussi passé à la loupe la diplomatie sénégalaise. En effet, abordant cette question, Djibril Ndiaye Gayndé n’a pas caché son regret de constater les nombreux errements notés dans le système diplomatique de notre pays.
Pour se résumer, il soutient : « le Sénégal tâtonne beaucoup dans sa manière de mener sa diplomatique, en faisant valoir sa souveraineté interne, quand cela l’arrange et en foulant au pied les règles qui régissent la diplomatie ».
« En dehors du paradoxe lisible dans la diplomatie sénégalaise, nos autorités fonctionnent, en termes d’essai-erreur »
Très critique, l’Expert en Géopolitique et Relations internationales est d’avis que rien que le refus d’appliquer l’Arrêt de la Cour de justice de la Cedeao , rendu dans le cadre de l’affaire dite « Khalifa Sall », justifie du tâtonnement, ainsi que du paradoxe diplomatique des autorités en place. Et, pour cause, dit-il, le Sénégal s’est illustré par un manque de cohérence dans la manière de mener sa diplomatie, car « il a fait valoir sa souveraineté, quand cela l’arrange et défend son appartenance à la zone, lorsque ses intérêts sont engagés ».
Il se dit convaincu qu’«en rejetant l’Arrêt de la Cedeao, le Sénégal a adopté une posture politique et non diplomatique, ce qui constitue un paradoxe, en ce qu’il évolue dans une zone ». Pourtant, précise notre Expert, le pays de la Téranga « fait valoir une diplomatie de bon voisinage, alors que quand une décision est rendue en sa défaveur, il évoque sa souveraineté interne. C’est une diplomatie qui se traduit en d’essai-erreur ».
« La crédibilité du Sénégal est en jeu… »
Ce genre de réaction, soutient l’Universitaire, « met le Sénégal dans une posture paradoxale qui joue sur sa crédibilité, puisque en Droit international, les pays ont toujours certes le dernier mot, mais ce n’est pas un prétexte pour le Sénégal de ne pas se plier à la décision rendue par la Cour de justice de la Cedeao. Au contraire, si celle-ci propose une lecture de la situation et que le Sénégal fasse valoir sa souveraineté, cela ne répond pas au principe diplomatique ».
Poursuivant, il raconte une petite anecdote : «quand il s’agissait d’avoir un représentant sénégalais au Parlement de la Cedeao , le Sénégal faisait valoir qu’il y a un ressortissant sénégalais dans la Cour. Mais quand la Cedeao se prononce sur l’affaire Khalifa Sall pour éviter la politisation de ce procès, le Sénégal dit que cette Cour n’a rien à dire sur sa politique interne ». Et de lancer : « ce que la Cour sous-régionale a souligné est que ce procès est fortement politique, ce que les autorités sénégalaises ne veulent pas admettre ».
En guise de « conseil », le Spécialiste en Géopolitique et Relations internationales de confier qu’«il faut que le Sénégal fasse des compromis pour garder son rôle d’équilibre qu’il doit assumer ; sinon, c’est facile de parler de bon voisinage. Je trouve aussi que le Sénégal n’a pas de politique diplomatique consolidée et qu’il faut dépasser le stade d’essai-erreur. De plus, on ne pense pas la politique intérieure comme on pense les questions internationales ».
« Le Sénégal doit rentrer dans une diplomatie des grands ensembles et des nouveaux enjeux de la mondialisation… »
Selon Djibril Ndiaye Gayndé, pour rectifier le tir, le Sénégal doit rentrer dans une diplomatie des grand ensemble, dans les nouveaux enjeux de la mondialisation, ce qui n’est possible qu’à partir du moment où notre pays rompt avec cette diplomatie qui consiste à « reporter, sur la scène régionale, des conflits internes au Sénégal ».
Pour railler la diplomatie sénégalaise, il explique : «le Sénégal a reconduit le même paradoxe dans sa diplomatie». «Au Nord du Sénégal, la démarche de la grande muraille verte a été instaurée par l’ex-président de la République Abdoulaye Wade, alors qu’au sud, il y a le phénomène de déboisement massif. Ce sont ces genres de choses qui se reflètent dans la diplomatie sénégalaise ».
« Si de jeunes Sénégalais rejoignent les groupes terroristes, c’est du fait de la violence économique qui sévit au Sénégal »
Au sujet du terrorisme, l’Expert se veut clair : « on ne peut pas omettre le fait que le Sénégal soit outillé pour répondre au terrorisme, mais il se trouve que l’Etat du Sénégal n’a pas pris le mal à la racine, car il adopte une lutte armée en permettant aux Américains d’établir leur base militaire à Thiès, sans compter les actions des forces de défense et de sécurité. Alors que le phénomène a des origines économiques ».
Dans son raisonnement, l’Enseignant-chercheur explique que « si des jeunes Sénégalais rejoignent les groupes terroristes, c’est du fait de la violence économique qui sévit au Sénégal. Dès lors, il urge de trouver un emploi aux jeunes, car ceux-là n’auront pas à se radicaliser quand ils seront dans une situation économique honorable ». Non sans attirer l’attention sur le fait que notre pays est très réactif contre la menace terroriste, mais il n’a pas d’abord compris que ce phénomène a des causes économiques. Ce qui le pousse à inviter les autorités du pays à assurer un bon avenir aux populations sénégalaises et à comprendre que « même si le discours religieux est radical, la cause du terrorisme est forcément économique ».
Aliou KANE (Actusen.sn)