Le 12 février 2016, le Conseil constitutionnel sénégalais considérait que « s’agissant des modalités d’application dans le temps des lois de révision ayant une incidence sur la durée du mandat en cours du Président de la République, que des précédents se sont succédés de manière constante depuis vingt cinq ans ; qu’il résulte de ces précédents, initiés sans texte lors de la révision de la Constitution de 1963 par la loi constitutionnelle n° 91-46 du 06 octobre 1991 et consolidés lors de l’adoption de la nouvelle Constitution du 22 Janvier 2001 et de la révision constitutionnelle n°2008-66 du 21 octobre 2008, avec le soutien de dispositions transitoires destinées à différer l’application de la règle nouvelle, que le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle. » (Décision en matière consultative n°1 / C / 2016, Considérants 29 et 30.)
Au regard de ces considérants, il est impossible de dire que personne ne l’a remarqué car la Constitution du 22 janvier 2001 et la loi constitutionnelle n°2008-66 du 21 octobre 2008 avaient prévu des dispositions transitoires qui étaient destinées à différer l’application de ces nouvelles réformes qui toucheraient le mandat du Président Abdoulaye Wade, ce qui n’est pas le cas de la loi constitutionnelle n°2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de cette même Constitution qui vient de réduire la mandat du Président Macky SALL de sept à cinq ans.
Si l’on entend en parler aujourd’hui, c’est pour appeler à la correction de certaines lacunes ou omissions : bien que adoptée depuis le 20 mars 2016 et promulguée le 5 avril 2016, rares ont été les spécialistes, du moins à notre connaissance, à avoir consacré des réflexions sur cette nouvelle loi constitutionnelle majeure. Un de nos grands maitres, le Professeur Jacques-Mariel NZOUANKEU, a été l’une des rares personnes à se questionner sur les effets pervers de cette nouvelle réforme, notamment par l’absence de dispositions transitoires mais aussi par la suppression des fondements constitutionnels de la Cour Suprême (elle se trouve ainsi privée de toute base constitutionnelle. La Cour Suprême n’existe plus juridiquement… alors qu’elle est la plus haute juridiction du pays).
Nous pensons que nous avons l’obligation de nous prononcer sur cette question car la liberté des enseignant-chercheurs est un principe à valeur constitutionnelle qui est au service du peuple et de l’Université. Par conséquent, les grands enjeux juridiques et politiques doivent trouver leur écho sous la plume et la réflexion des enseignant-chercheurs. Le fait pourrait sembler contradictoire : comment une réforme aussi importante a-t-elle pu passer inaperçu ? Mais, selon nous, c’est son caractère important qui doit faire l’objet d’une interrogation et non le fait qu’elle soit passée inaperçu.
En notre qualité d’enseignant-chercheur, nous allons tenter d’être assez clair pour répondre au principe à valeur constitutionnel qui est d’être au service de la science et du Peuple.
I- De la durée du mandat en cours du Président Macky Sall
L’une des grandes certitudes de la science du droit constitutionnel est relative à la division du pouvoir constituant mais aussi et surtout à la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués. Le pouvoir constituant c’est l’organe qui dispose de la compétence constitutionnelle dans l’élaboration ou la modification de la Constitution. Avoir la compétence constitutionnelle implique le pouvoir soit d’élaborer une Constitution, soit de modifier celle-ci. Ainsi, le pouvoir constituant originaire établit ou change la Constitution, alors que la pouvoir constituant dérivé révise la Constitution.
Le pouvoir constituant est dit originaire lorsqu’il intervient ex nihilo, à partir de rien ou à la suite d’un changement, d’une rupture ou d’une continuité constitutionnelle. Traditionnellement, il intervient pour établir une Constitution soit à l’occasion de la naissance d’un nouvel État, soit lors d’une rupture juridique ou politique. Exemple : en 2001, la Constitution sénégalaise a été établie par le pouvoir constituant originaire à la suite de la première alternance démocratique de notre pays.
Il faut aussi préciser que le pouvoir constituant est différent des pouvoirs constitués qui ne sont que des pouvoirs dans la Constitution, c’est-à-dire des pouvoirs publics. Le pouvoir constituant non seulement crée les pouvoirs constitués mais conserve une suprématie sur eux. Autrement dit, les pouvoirs et prérogatives qu’exercent le juge constitutionnel, le Parlement, le Président de la République ou encore le Gouvernement sont des pouvoirs simplement dérivés qui tirent leur source et leurs limites dans la Constitution.
Il existe une autre façon de dire cela en mettant en exergue la notion de compétence qui est un pouvoir légal de prendre des actes juridiques. En effet, ce pouvoir constitutionnellement consacré n’appartient pas à ses titulaires en vertu d’un droit propre mais seulement sous la forme d’une compétence d’attribution.
Le Conseil constitutionnel est un pouvoir constitué qui trouve ses compétences et ses limites dans la constitution. Par conséquent, c’est une juridiction qui ne peut gouverner car le souverain (le Peuple) peut toujours régner en majesté en brisant ses Décisions par le vote d’une loi constitutionnelle. Cette position est d’ailleurs défendue par le Conseil constitutionnel sénégalais lui-même qui refuse de se prononcer sur les lois constitutionnelles.
Ainsi, en 2007, le Conseil constitutionnel sénégalais avait déclaré non conforme à la Constitution la loi n° 23/2007 du 27 mars 2007 modifiant l’article L 146 du Code électoral qui instituait la parité dans la liste des candidats au scrutin de représentation proportionnelle pour les élections législatives (Décision N° 97/2007 Affaire N° 1/C/2007).
Cette Décision a été brisée par le constituant sénégalais qui est revenu à la charge pour inscrire la parité dans la Constitution à travers la Loi Constitutionnelle n° 2008-30 du 7 août 2008. Cette manifestation de la souveraineté du pouvoir constituant démontre que le Conseil constitutionnel n’est qu’un « aiguilleur » qui ne fait qu’un contrôle procédural et après le Doyen Georges VEDEL, on peut dire qu’il n’a « droit qu’à la gomme et non au crayon. »
Le 20 mars 2016, le Constituant sénégalais a brisé la décision du Conseil constitutionnel en réduisant le mandat de Macky Sall de 7 à 5 ans. Ainsi, le Peuple vient de démontrer qu’il ne saurait être un souverain entravé. Comme le précise le Professeur Olivier DUHAMEL, « la souveraineté du peuple constitue le principe premier de la démocratie. Le pouvoir vient du peuple. Lui seul peut l’attribuer. Lui seul choisit son dirigeant. Lui seul décide d’en changer. »
Par conséquent, si l’on réduit la durée du mandat présidentiel, sans le soutien de dispositions transitoires, cela signifie que cette réforme s’applique au mandat en cours. En effet, en matière constitutionnelle, les réformes sont d’application immédiate. Ainsi, les dispositions transitoires ont vocation à tracer des passerelles entre la loi ancienne et la loi nouvelle. Leur fonction consiste essentiellement à assouplir la réception de la loi nouvelle et à indiquer en conséquence l’application ou pas de loi nouvelle au mandat en cours.
Par conséquent, nous pouvons soutenir qu’il ne fait aucun doute que si le constituant sénégalais n’a pas jugé nécessaire de prendre en compte la portée sécurisante des dispositions transitoires qui aide à moduler la question de la rétroactivité de la situation du mandat à partir de 2012, c’est parce qu’il a voulu appliquer le quinquennat au mandat en cours du Président Macky SALL.
Ainsi, à la question de savoir si le mandat de Macky Sall a été réduit ? La réponse est oui. A la question de savoir à quelle date doit se tenir l’élection présidentielle ? La réponse est en 2017.
II- Du nombre de renouvellement du mandat du Président Macky Sall
A l’appui de notre propos, nous pouvons, à bon droit, nous rabattre sur les travaux du Professeur Guy CARCASSONNE, qui a bien argumenté l’importance des dispositions transitoires dans la limitation du nombre de renouvellement des mandats de l’ancien Président Abdoulaye WADE. Sur ce point, il ne fait aucun doute que seul le constituant peut abréger la durée du mandat du Président de la République. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel sénégalais a eu à le rappeler dans sa fameuse Décision de 2012 en « considérant, que l’opinion exprimée par le président de la République, quelle que soit, par ailleurs, sa solennité, ne peut valoir règle de droit dès lors qu’elle ne se traduit pas par un acte législatif ou réglementaire ; que cette déclaration en elle-même ne saurait en aucun cas constituer une source de droit.»
Ainsi, l’oralité ou l’orature quelle que soit leur solennité ne peuvent fonder le droit sous nos cieux. (Décisions nos 3/E/ à 14/E/2012 du 29 janvier 2012.) Ce qui veut dire que l’engagement du Président Macky SALL de faire deux mandats n’a pas de valeur juridique. Toutefois, avec la nouvelle réforme issue du référendum du 20 mars 2016, il ne peut faire au maximum que deux mandats de cinq ans.
Aux termes de l’article 27-Nouveau : « la durée du mandat du Président de la République est de cinq ans.
Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »
Cette nouvelle formulation de l’article 27 appelle quelques observations. D’abord, l’article 27, dans le contexte actuel, s’il était accompagné de dispositions transitoires ne limiterait pas le nombre de mandats à 2 pour Macky SALL. En effet, l’article 27 définit le mandat par sa durée qui est de 5 ans. Si nul ne peut exercer plus de 2 mandats consécutifs, cette disposition porte implicitement sur le mandat de 5 ans. Le 1er mandat de 7 ans serait ainsi exclu.
Mais cette situation serait juridiquement tenable s’il y’avait des dispositions transitoires tendant à différer l’application de la loi nouvelle car il serait difficile de séparer la durée du mandat et son nombre de renouvellement. Et, sur cette question, le constituant sénégalais a tranché en ne prévoyant aucune disposition transitoire. Par conséquent, Macky SALL terminera son mandat actuel le 03 avril 2017.
Ensuite, le constituant sénégalais a enserré la durée du mandat, son nombre de renouvellement ainsi que le mode d’élection du Président de la République dans la clause d’éternité (avant dernier alinéa de l’article 103.) C’est un verrouillage juridique sans précédent dans notre histoire constitutionnelle. Ce qui signifie que le double quinquennat est hors de portée de l’intervention du pouvoir Constituant.
La possibilité de faire plus de deux mandats est devenue inexistante dans la mesure où cette disposition visée semble transcender les tergiversations susceptibles d’affecter le quinquennat ou septennat. Désormais, pour se défaire de ces dispositions, il faut obligatoirement changer de Constitution.
Toutefois, en ne prévoyant pas de dispositions transitoires, on peut se demander s’il ne s’agissait pas d’un piège tendu au peuple sénégalais à travers l’artifice suivant lequel le mandant de 7 ans n’est plus décompté (pour déterminer la renouvelabilité) dès lors que débute un nouveau mandat de 5ans. Nous pensons que le piège des trois mandats était bien là : 7+5+5.
Cette mégarde plonge bien sûr l’observateur avisé dans un imbroglio consécutif à deux constats connexes : d’une part, on ne sait pas exactement quelle disposition régit actuellement (août 2016) le mandat en cours du Président : ce n’est pas l’ancienne loi parce qu’aucune disposition en vigueur ne l’affirme expressément au regard de la Constitution (on s’est débarrassé, à la suite du référendum de l’ancienne tournure rédactionnelle de l’article 27 issue de la réforme constitutionnelle 2008-66 du 21 octobre 2008, qui portait à sept ans la durée du mandat du Président à partir de 2012) ;
d’autre part, la loi nouvelle, consécutive à la réforme constitutionnelle 2016-10 du 5 avril 2016, est restée muette (faute de dispositions transitoires) sur la prise en compte de la situation antérieure qui conférait un début d’exécution du mandat de sept ans du Président en fonction. Pourtant, l’alerte avait déjà été sonnée par le Professeur Mactar CAMARA en ces termes : « finalement, par souci d’honnêteté, le référendum envisagé ne devrait porter que sur la réduction du mandat, pour épargner au Peuple souverain le dilemme d’avoir à se prononcer sur un Projet de loi constitutionnelle fourre-tout et sournois, comportant à la fois des dispositions qui renforcent la démocratie sénégalaise et des dispositions qui la déconstruisent. »
Avec des dispositions transitoires, l’actuelle Constitution n’empêcherait pas à Macky SALL (s’il gagnerait en 2019) de briguer un troisième mandat. Sans dispositions transitoires, le Peuple vient de sortir des mailles du filet en ne permettant à l’actuel Président qu’un seul renouvellement de son mandat de cinq ans.
Les juristes peuvent applaudir à ce remarquable tour de magie juridique qui permet à la Constitution de retrouver une vie juridique presque normale et tant pis si les hommes politiques ont perdu au passage, outre leur manque de foi, toute confiance du Peuple. Les effets pervers persistants de cette réforme risquent d’aggraver encore ce que beaucoup d’observateurs perçoivent déjà comme un rejet des hommes politiques.
Mouhamadou Ngouda MBOUP
Assistant de droit public FSJP / UCAD
Ancien ATER à la faculté de droit et de gestion de l’Université de La Rochelle
Ancien enseignant à la faculté de droit de l’Université de Grenoble-Alpes