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Ecartelée entre diktat des gangs, vols à main armée, agressions : Keur Mbaye Fall vit l’un des moments les plus confus de son existence

Une bataille rangée d’une violence inouïe entre deux gangs rivaux ayant entrainé deux morts, le mois dernier. Un délégué de quartier tabassé par des barons de la drogue dénoncés qui se retrouve aux urgences.

Une insécurité qui cloître les populations chez elles à certaines heures de la nuit. Des enfants qui ne marchent plus seuls dans la rue. C’est le rythme de vie auquel les populations de Keur Mbaye Fall sont confrontées, depuis un certain temps. 

Dans le cadre de ses reportages sociétaux, Actusen.sn a fait une descente, dans cette banlieue lointaine de Dakar, pour percer l’abcès de ce qui pousse les jeunes de cette partie de la capitale à s’adonner aux vols à main armée commis la nuit avec usage de violence, agressions, meurtres et trafic de drogue.  

Des témoignages recueillis des chauffeurs de taxis à ceux des parents, en passant par les confidences de bonnes dames et de certains jeunes, sont effarants. 

Tous sont unanimes que le manque d’emplois ponctué par la pauvreté soutenue et l’éducation de base pour discerner le bien du mal en net recul, sont, entre autres, les causes inhérentes à ce phénomène d’insécurité. 

Toutefois, pour faire face à ce fléau, elles interpellent l’Etat et sollicitent un Poste de Police. Reportage !

 

Keur Mbaye Fall. Localité située à 15 km du Centre-ville de Dakar. Cette partie de la Commune de Mbao vit, depuis des mois, dans une insécurité galopante : meurtres, agressions, vols à main armée commis la nuit…Un phénomène qui hante le sommeil de milliers d’âmes qui ne savent plus à quel saint se vouer.

Il est 9 heures, ce jeudi. En ce début de matinée du mois de novembre. L’ambiance surchauffée, qui règne jadis dans ce faubourg de la capitale sénégalaise, contraste avec la peur et la méfiance qui s’emparent, désormais, des populations. Peu de gens sont visibles dans les rues, comme à l’accoutumée.

Cependant, des groupes de femmes en partance pour le marché ou autres bras valides à la recherche de petits boulots, se suivent en direction de la Nationale. A coté du terrain de football de la cité Total, un groupe de taximen et de personnes retraitées suivent un match de football qui oppose des talibés.

Ils discutent allégrement de tout et de rien. Mais le principal sujet de leur discussion reste, essentiellement, l’insécurité galopante, qui sévit dans la localité de Keur Mbaye Fall.  

Peur des populations…

Actusen.sn ne tardera pas à s’en rendre compte. Assis sur un banc de fortune, entouré par deux de ses camarades, Ibrahima Sagna, taximan de son état, vit à Keur Mbaye Fall, depuis 2010. Physique de basketteur, ses yeux rougis, témoignent, à suffisance, du mal-vivre de cette bourgade de la banlieue dakaroise.

Dans ce village traditionnel urbanisé, ces 20 dernières années, les agressions et les vols à main armée, qui sont devenus monnaie courante, ne le laissent pas indifférent.

Même à bord de son taxi, il reste vigilant et sasse ses clients pour ne pas tomber entre les mains de brigands. Agé d’une trentaine d’années, emmitouflé dans une chemise bleue et un pantalon noir, il explique, avec mélancolie, les raisons qui poussent les jeunes de son quartier dans le vol et l’agression.

«C’est le manque d’emplois et de motivation dû aux mauvaises politiques des Gouvernements qui poussent les jeunes à l’agression et au vol. Oisifs, les poches trouées, ces jeunes noient leur situation dans des actes de banditisme, qui tournent, malheureusement, parfois, au meurtre», regrette ce taximan.

Manque d’emplois, pauvreté galopante et recul de l’éducation de base…

Outre ces raisons, Ibrahima Sagna évoque le recul de l’éducation de base de certains parents pour leurs progénitures. Ce fait non moins banal, dit-il, peut aussi justifier le comportement agressif des jeunes de la périphérie. «Les jeunes n’ont plus l’éducation d’antan.

Les parents qui, joignant difficilement les deux bouts à cause de la précarité, ne consacrent plus de temps pour éduquer leurs enfants. Du coup, ce sont des jeunes en perte de repères grandissant dans les banlieues, qui s’adonnent au vandalisme, agressions et autres vols commis la nuit avec violence», avance le taximan qui a été témoin de plusieurs actes de violence commis par des agresseurs en pleine nuit.

Non loin de lui, son voisin ne dit pas le contraire. Acquiesçant la tête, Baba Diouf, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, embouche la même trompette. Un téléphone à la main, cet ancien agent de la Caisse de sécurité sociale (Css) à la retraite enfonce le clou. En pointant d’un doigt accusateur les jeunes de Keur Mbaye Fall. Pour lui, nul besoin de noyer le poisson dans l’eau et de chercher une tête de turc. Ni moins ni plus, ce sexagénaire est formel.

Agressions à main armée, meurtres, vols aggravés…

«Ce sont nos enfants qui sont les malfaiteurs. Parce que quelqu’un qui n’habite pas Keur Mbaye Fall, n’ose pas y commettre des actes d’agression, de peur d’être lynché par les jeunes du quartier», clarifie le vieux retraité.

Qu’ils soient des jeunes du quartier ou, d’ailleurs, comme le laisse entendre Baba Diouf, Keur Mbaye Fall a tout de même a versé dans une spirale de violence inouïe, dernièrement. Prises au piège par les agresseurs, malmenées et tuées parfois, les populations ont peur de sortir à certaines heures.

La confiance à l’inconnu et aux étrangers n’est plus de rigueur. Les enfants rejoignent l’école accompagnés de leurs parents. Les dernières violences entre gangs opposés ayant fait deux morts et un chef de quartier brutalisé sont les conséquences néfastes de ce nouveau visage qui s’offre à la ville de Mamadou Seck, l’ancien président de l’Assemblée nationale.

Croisée à côté du canal qui longe cette partie de la capitale, sa fillette de un (1) an sur son dos, une miche de pain à la main droite, cette femme, sous le couvert de l’anonymat, confie à Actusen.sn qu’elle ne sort plus à  certaines heures de la soirée, de peur d’être la cible de brigands et de vulgaires agresseurs.

 Silence, on ne sort pas la nuit

«Plusieurs cas d’agressions notés dans ce quartier. C’est un phénomène inquiétant. Les populations ne peuvent plus sortir, à certaines heures. Elles sont terrées, chez elles, dès la nuit tombée. La peur d’être agressé par des gangs rivaux s’empare de tous.  Le cours de la vie a changé, depuis les agressions récurrentes de ces derniers temps», regrette Baba Diouf, avant de révéler : «nous avons été témoin de cas de meurtres et de vols d’écrans plats».

A l’autre bout du terrain de football de la cité Total, une maison anodine en étage. Aux couleurs roses, le portail de la demeure est fermé à double-tour. Des herbes sauvages l’encerclent. Les quelques mètres, qui la séparent de la voie publique, offrent un décor pitoyable. Inutile de se demander si elle est habitée.

«Vivait là une dame. Elle a été assassinée, quelques jours seulement après le retour de son fils qui devait se marier dans les semaines suivantes», révèle un jeune du quartier.

En effet, renseigne notre interlocuteur, la victime avait reçu, la veille, une importante somme d’argent d’une tontine pour préparer les noces de son fils. «Savait-il quelle gardait de l’argent avec lui», c’est la question, selon notre interlocuteur, que se posent les habitants de la cité Total.

Mor Ndiaye : «mon téléviseur écran plat, volé la nuit»

Dans une rue adjacente, trouvé dans son salon en Lacoste gris de taille XXX et d’un jean kaki, Mor Ndiaye, noirceur d’ébène, et grillant une cigarette, répond avec dépit quand le sujet est évoqué.

Devant un petit écran, ce travailleur de la Société industrielle de bois et d’acier (Siba) a, lui aussi, été victime de vol de télévision écran plat. «Tout comme certains voisins, j’ai été victime de vol les mois derniers aux environs de 1 heur du matin alors que toute la famille était dans les bras de Morphée», rapporte-t-il.

Toutefois, pour faire face à ce fléau, les populations de Keur Mbaye Fall n’ont pas attendu la réaction des autorités compétentes. De Kawsara Rue 10,  Cité Total et Cité Diaspora, elles  ont engagé, récemment, avec leurs propres moyens, des vigiles chargés de surveiller la circulation des personnes et des biens. Et mis en place un Comité de gestion. Néanmoins, chaque maison doit s’acquitter d’une somme forfaitaire comme participation.

 Des vigiles recrutés pour assurer la sécurité des personnes et  des biens

Le travail de ces éléments recrutés pour la circonstance commence à 23 heures, pour se terminer au petit matin. Une fiche d’engagement contenant les conditions à remplir pour adhérer à ce Comité entre les mains, ce retraité, qui a requis l’anonymat, donne les tenants et les aboutissants  de ce Comité de vigilance. «Le droit d’adhésion s’élève à 2 000 F Cfa, la mensualité à 2 500f. Mais quant aux boutiquiers et aux gérants de quincailleries, ils versent 5000Fcfa», informe-t-il.

Debout comme un seul homme, les populations de Keur Mbaye Fall ne veulent plus être des victimes d’agressions et de vols. La promesse des autorités étatiques de démarrer les travaux de construction d’un Poste de police n’est toujours pas tenue. Pour autant, on fait avec, en espérant que les engagements du nouveau Haut Commandant de la gendarmerie, le Général de Division, Meissa Niang d’accentuer la sécurité en banlieue, vont porter les fruits escomptés.

Mansour SYLLA, (Actusen.sn)

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