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Elections britanniques : May et Corbyn, des chefs de file que tout oppose

La Première ministre britannique Theresa May, qui a convoqué de nouvelles élections pour affermir sa majorité en vue du Brexit, mène les conservateurs contre les troupes travaillistes de Jeremy Corbyn. Entre les deux sexagénaires, huit ans d’écart, des parcours singulièrement différents et deux visions presque antagonistes de ce que devrait être la société britannique. Et s’ils se sont prononcés relativement discrètement sur la question du Brexit avant le référendum du 23 juin 2016, l’un des deux devra mener le Royaume-Uni hors de l’Union européenne cet été. Portraits croisés.

A droite, une ponte du Parti conservateur. Fille de pasteur (à l’instar d’Angela Merkel à qui on la compare souvent) anglican, passée par Oxford puis par la Banque d’Angleterre dans ses jeunes années, soutien de la première heure de l’ex-Premier ministre David Cameron, respectueuse du dogme de l’austérité économique, longtemps ministre de l’Intérieur.

A gauche, un illustre inconnu, placé sous le feu des projecteurs il y a deux ans, végétarien ascète au passé bouillonnant de militant syndical et d’activiste radical, autodidacte qui arrête les études à 18 ans, fils d’un couple de pacifistes de la classe moyenne britannique.

A respectivement 60 et 68 ans, Theresa May et Jeremy Corbyn n’en sont pas à une différence près. L’un de leurs seuls points communs est qu’ils ont tous les deux une chance de gouverner le Royaume-Uni dans les eaux troubles du Brexit.

La Première ministre britannique et le leader du Parti travailliste se font face régulièrement dans les Chambres des communes, la chambre basse du Parlement britannique, et les échanges sont souvent tendus. Cependant ils ne se sont jamais affrontés sur un plateau télévisé, puisque Theresa May a toujours écarté cette option – qu’il s’agisse d’un duel ou d’un exercice auquel participent tous les chefs des partis en lice pour les législatives du 8 juin.

Même s’ils rechignent à jouer le jeu de la médiatisation, qu’elle soit politique ou venue des tabloïds, les chefs de file des deux partis qui structurent la vie politique anglaise depuis des décennies ont toutefois une certaine réputation. Les Britanniques sont en tout cas interrogés sur ce qu’ils pensent de Theresa May et Jeremy Corbyn. Comme en témoigne l’étude de YouGov, May est notamment jugée plus intelligente, plus forte, plus ferme et catégorique que son rival. Sa stature de femme d’Etat et son élégance sont aussi saluées. A l’inverse, Corbyn semble lui plus accessible, ordinaire et honnête que la Première ministre aux yeux des sondés.

Le site YouGov propose des adjectifs aux personnes sondées, qui doivent dire si elles auraient plutôt tendance à les utiliser pour qualifier Theresa May ou Jeremy CorbynCapture d’écran yougov.co.uk

Des visions politiques diamétralement opposées

Depuis sa première élection comme membre du Parlement, en 1983, Jeremy Corbyn n’a jamais quitté les bancs de Westminster, où il siège comme représentant d’un district du Nord du Grand Londres. Cela ne l’a pourtant jamais empêcher de militer dans la rue, comme il l’a toujours fait, aux côtés des syndicats, et des associations qui défendent les causes qui lui sont chères. Il a par exemple été arrêté lors d’une manifestation contre l’apartheid en Afrique du Sud en 1984.

Entre autres révoltes, il milite aussi contre la guerre sous toutes ses formes : il est de toutes les manifestations pacifistes, qu’elles soient organisées contre l’intervention au Vietnam ou en Irak. Membre éminent de l’association Stop the War, le travailliste prône aussi une dénucléarisation complète de la planète et a ouvertement qualifié la mort d’Oussama Ben Laden en 2011 de « tragédie » car il aurait dû être jugé, selon lui.

Comme le rappelle le court documentaire [en anglais] de la chaîne britannique Channel 4, ces prises de positions valent à Jeremy Corbyn d’être qualifié par ses détracteurs d’« idéaliste entouré d’idéologues ». Ses contempteurs ne manquent jamais non plus de lui rappeler ses proximités passées avec des membres de Sinn Fein, mouvement indépendantiste irlandais, également proches du groupe terroriste IRA. A cela, Corbyn a toujours répondu qu’il ne prenait pas partie, mais qu’il cherchait juste à participer aux discussions préalables au processus de paix. Il n’en demeure pas moins que son antimonarchisme et son républicanisme détonnent dans le paysage politique britannique.

« Jeremy Corbyn est entré en politique par hasard quand il est devenu leader des travaillistes. Auparavant, il appartenait à un milieu différent : celui du militantisme [protest, ndlr] », se plaît à rappeler l’ancienne plume du Premier ministre travailliste Tony Blair, Philip Collins auprès de Chanel 4. A l’inverse, Theresa May est « un pur produit du Parti conservateur », selon le journaliste et membre de ce même parti Paul Goodman, également interrogé par Chanel 4 dans un documentaire [en anglais] consacré à la Première ministre.

Theresa May a très tôt, comme son rival, rejoint le parti qu’elle dirige aujourd’hui. Mais là où Corbyn a mené la fronde de l’intérieur contre les dirigeants travaillistes – en tête desquels Tony Blair, pas assez à gauche à son goût – en s’appuyant sur les syndicats et les associations, May a quant à elle fait preuve d’une loyauté à tout égard pour David Cameron. Cette fidélité lui a d’ailleurs permis, après avoir occupé plusieurs postes dans le « shadow cabinet » de Cameron à partir de 2005, de devenir membre de son gouvernement après son accession au pouvoir. Ainsi, de 2010 à 2016, Theresa May a dirigé le ministère de l’Intérieur britannique – une longévité inédite à ce poste.

A l’Intérieur, Theresa May se distingue par sa lutte contre l’immigration : elle met fin au regroupement familial, refuse les quotas de réfugiés proposés par l’Union européenne et fait de l’expulsion des prêcheurs islamistes un cheval de bataille. Jeremy Corbyn pour sa part, a toujours défendu l’ouverture des frontières britanniques.

Cravates rouges contre chaussures multicolores

Dénominateur commun de ces deux personnalités : leur refus de publiciser leur vie privée. Ainsi, dans une brève interview accordée à la chaîne publique britannique BBC, Jeremy Corbyn explique qu’il déteste les questions personnelles, qui ont trait à sa vie privée et à ses hobbies. Père de trois enfants, marié trois fois – sa dernière femme est de vingt ans sa cadette –, on sait du travailliste qu’il boit peu, ne mange pas de viande par refus de la souffrance animale, et qu’il aurait, selon le journal Le Monde, les dépenses les plus faibles de tous les membres du Parlement britannique.

A Westminster justement, il est très tôt remarqué comme un iconoclaste, refusant longtemps de porter la cravate, comme il l’expliquait déjà au milieu des années 1980 à la BBC, arborant fièrement la barbe dès ses premières années de parlementaires.

Côté style, Theresa May n’est pas en reste, puisque ses chaussures, seule audace (vestimentaire) que se permet l’actuelle Première ministre, sont l’objet de commentaires réguliers. Mais côté vie privée, la mode est là aussi plutôt à la discrétion. Pour briser son image froide et dure, la conservatrice a pourtant convié, pendant la campagne électorale et pour la première fois, son mari, Philip May, en plateau, pour une interview conjointe. Monsieur, également membre du parti conservateur au moment de leur rencontre à Oxford, sort les poubelles, Madame cuisine bien, et l’un comme l’autre font le thé. Voilà dans les grandes lignes ce que l’on peut retenir de la séquence.

L’« équipe de May » contre le « corbynisme »

Theresa May a annoncé la tenue d’élections anticipées le 18 avril dernier – une première au Royaume-Uni depuis les années 1970. Cette décision a surpris une partie de la classe politique du pays. La campagne, menée tambour battant pendant deux mois, n’a laissé de place qu’aux travaillistes et aux conservateurs. Les libéraux-démocrates de Tim Farron n’ont pas su se faire entendre ; le parti europhobe d’extrême droite Ukip n’a plus trouvé de raison d’être puisque la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne se fera avec ou sans lui.

Depuis la mi-avril, les intentions de vote en faveur des conservateurs n’ont cessé de chuter. En avance de 20 longueurs sur les travaillistes, les Torries se trouvent maintenant à seulement quelques points de leurs rivaux de toujours. Malgré les attentats du 22 mai et du 3 juin à Manchester puis à Londres, la ligne sécuritaire et anti-immigration de May semble de moins en moins convaincre. La faute peut-être à l’austérité qu’elle prône, dans la lignée de son prédécesseur David Cameron.

La faute aussi à une campagne électorale terne, voire complètement ratée de la part de la nouvelle dame de fer : communication minimaliste envers les médias, pas de débat télévisé, pas de grands meetings… Les observateurs parlent volontiers d’une des pires campagnes électorales jamais menées par un Premier ministre en exercice, alors même que cette campagne est focalisée sur la personnalité « forte et stable » de la cheffe du gouvernement britannique : ses affiches évoquent d’ailleurs « l’équipe de May » plutôt que le Parti conservateur.

Rien n’assure pourtant Jeremy Corbyn, paria au sein même des instances dirigeantes de son parti, de la victoire. Gagnant surprise dès le premier tour lors de l’élection de leur nouveau chef par les travaillistes, en septembre 2015, alors même qu’il avait failli ne pas obtenir les parrainages nécessaires de la part de ses pairs membres du Parlement, à en croire les sondages, Jeremy Corbyn est aujourd’hui promis à la défaite. Et ce même si son discours interventionniste et son style de vieux gauchiste dignes du Old Labour (antérieur à la prise en main du parti travailliste par Tony Blair) semblent séduire une part croissante de l’électorat – c’est d’ailleurs le vote populaire qui lui a permis de s’imposer à la tête de son parti. Sa récente remontée dans les sondages pourrait en témoigner : le « corbynisme », ce mélange radical de socialisme économique, de progressisme social et d’horizontalité politique, pourrait avoir de beaux jours devant lui.

Rfi

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