On ne l’a pas entendu, depuis les arrestations et convocations tous azimuts d’hommes politiques, le Mouvement citoyen, «Y’en à marre» sort, enfin, de sa réserve.
Dans un entretien téléphonique accordé à Actusen.com, Fadel Barro, à bord du volant de son véhicule pour un voyage lointain hors de Dakar, a accepté, peu avant la prière du vendredi, de livrer (sa) part de vérité sur les dossiers politico-judiciaires brûlants de l’heure.
Evoquant l’affaire de la gestion de la Caisse d’avance de la Mairie de Dakar qui vaut à Khalifa Sall des déboires judiciaires, Fadel Barro estime que cela ressemblerait à une justice sélective, si c’est seulement le seul maire socialiste qui répond de ses actes après la mission de contrôle de l’Inspection générale d’Etat (Ige) dans plusieurs localités.
D’autant que dit-il, l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) a aussi, dans son Rapport 2015, épinglé le Directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), Cheikhou Oumar Hann.
Sans fards ni langue de bois, Fadel Barro a, dans la foulée de son réquisitoire de feu, fustigé la sortie du Procureur de la République menaçant les citoyens au nom de qui, la justice est rendue. Alors que, dit-il, Serigne Bassirou Guèye semble oublier que c’est le contribuable sénégalais qui paie son salaire.
Aussi, Fadel Barro a-t-il appelé la population à prendre son destin en main pour exiger la consolidation de la démocratie et l’Etat de droit. Entretien !
Actusen.com : Khalifa Sall est en prison pour présumés blanchiment de capitaux, faux et usage de faux en écritures publiques authentiques et détournement de deniers publics entre autres suite aux présumées malversations sur la gestion de la Caisse d’avance de la Mairie de Dakar…
Fadel Barro : Ecoutez, cette Caisse d’avance renferme beaucoup de questions et me donne un sentiment de frustrations et de dégoût vis-à-vis d’une classe politique, qui continue d’ignorer, royalement, notre démocratie et de fragiliser nos Institutions. A travers les actes qu’elle pose, chaque jour.
Sur l’affaire Khalifa Sall, nous sommes, doublement, peinés. On nous parle de deniers publics, mais nous avons envie de comprendre de quoi il s’agit. Et si nous regardons la sélection qui a été opérée, ignorant tous les autres maires du Parti au pouvoir, nous ne pouvons pas ne pas penser que tout porte à croire qu’il s’agit d’une justice sélective, une instrumentalisation de la justice, un acte qui vise à casser de l’opposant ? à la veille des élections. Et c’est ça qui est triste. C’est l’impression que ça donne.
«Y’en à marre» aurait bien aimé qu’il y ait une enquête sur la gestion de tous les maires et que tous les dossiers soient remis à la justice. C’est triste pour notre démocratie. On ne pensait pas, à l’état de notre démocratie, revivre une situation pareille.
Actusen.com : D’autres Rapports d’audits impliquant des tenants du régime actuel dorment dans les tiroirs par la seule volonté du chef de l’Etat. Cette situation vous inspire quoi ?
Fadel Barro : L’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), a clairement désigné le Directeur du Centre des œuvres universitaires (Coud) et beaucoup d’autres Directions. Mais la justice ne s’est pas autosaisie et le chef de l’Etat n’a, non plus, cherché à remettre le dossier au Parquet. Ce qui est dommage et inacceptable.
En dehors de cette question de justice, il y a la question politique. Et les gens n’en parlent pas. Moi, ce qui me révulse et me dégoûte, c’est l’attitude du Parti socialiste (Ps). Quand je parle du Ps, c’est surtout de Khalifa Sall et ses amis. Je me demande comment Ousmane Tanor Dieng peut-il accepter ça. Comment a-t-il pu sacrifier quelqu’un comme Khalifa Sall qui a cheminé longtemps avec lui. C’est ça mon problème avec Ousmane Tanor Dieng.
Or, pour nous, la population, nous les simples citoyens, nous nous disons que ce combat-là devait être porté par Ousmane Tanor Dieng. Lui qui a cheminé avec Khalifa Sall. Je ne comprends pas cette façon de faire la politique. Et tant que nous avons des hommes politiques de cet acabit qui sont capables «d’égorger» leurs propres frères de sang, pour s’accrocher à leurs privilèges au pouvoir, le Sénégal n’ira pas de l’avant.
Parce que c’est le privilège qui intéresse les gens. Tout cela m’inspire à demander aux citoyens sénégalais de s’organiser pour prendre leur destin en main. Combien d’énergie, de sacrifices, de temps et de Sénégalais ont perdu leur vie pour que Abdoulaye Wade parte et que Macky puisse arriver.
En se battant contre le régime de Wade, on se battait contre sa façon de faire. Mais nous avons finalement l’impression que les pires pratiques sont toujours là. Et cela rappelle les arrestations, à la veille de l’élection Présidentielle de 2007 et les convocations des hommes politiques aux Commissariats de police pour de supposées histoires de blanchiment d’argent.
Actusen.com : En appelant les citoyens à prendre leur destin en main, le Mouvement «Y’en à marre» compte-t-il mener des actions citoyennes comme celles de 2012 pour faire face à cette situation ?
Fadel Barro : Nous sommes en train d’étudier et de voir, de quelle manière, nous allons aborder ce combat comme nous l’avons fait à travers «Yonoo do jegg». C’est vrai, les gens pensent souvent à «Y’en à marre» sur ces questions. Mais c’est tout le monde qui doit se lever. «Y’en a marre» sera toujours là et viendra à toutes les initiatives conformes aux règles et lois de ce pays pour un rappel à l’ordre. Et au-delà des déclarations, avoir une présence effective de ce combat.
Actusen.com : Quels commentaires faites-vous de la sortie du procureur de la République, menaçant de poursuites judiciaires, les leaders politiques qui s’attaquent aux magistrats ?
Fadel Barro : C’estnous qui payons le salaire au Procureur et de toutes nos autorités. Toutes les Institutions se nourrissent de l’argent du contribuable sénégalais. Et la justice est rendue au nom du peuple sénégalais. On ne peut pas empêcher le peuple sénégalais d’exprimer son opinion sur la marche de notre justice.
Le procureur n’est pas la justice. C’est plutôt de la justice du peuple sénégalais, qu’il s’agit. C’est du Sénégal qu’il s’agit. Alors, c’est aux Sénégalais de défendre leurs libertés et c’est à eux, et à eux seuls, de réclamer leurs droits pour qu’on n’ait pas l’impression d’avoir une justice sélective.
Actusen.com : Caisses noires, fonds politiques ou caisses d’avance : quelle lecture en fait «Y’en A marre» ? Faudrait-il les supprimer?
Fadel Barro : Que ce soit caisse d’avance, caisse noire ou fonds politiques, le Sénégal devait dépasser ce stade. Si nous voulons une gestion rigoureuse et d’équité, je pense qu’il faut rendre saines toutes cette question de caisses d’avance, entre autres fonds. Aujourd’hui, on nous parle de fonds politiques, à coup de milliards. On crée des fonds parce qu’ils sont logés à la Présidence.
Personne ne sait comment ils sont gérés. Il n’y a aucune transparence sur la gestion. C’est une grande nébuleuse, en parlant de ces fonds secrets du Conseil économique, social et environnemental (Cese), de l’Assemblée nationale et du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct)…Une manière de dépenser l’argent du contribuable sénégalais sans lisibilité ni transparence. Alors qu’on devait savoir comment a été dépensé chaque centime.
Propos recueillis par Gaston MANSALY (Actusen.com)