Drapé d’un costume bleu-ciel assorti d’une chemise blanche, le farouche opposant au régime de Yaya Jammeh, Cheikh Sidya Bayo, est au Sénégal. Dans un quartier gardé secret par Actusen.com.
Démarche altière, il foule, fièrement, à nouveau, le sol de ses ancêtres, comme il aime à le dire. Accompagné de son conseiller politique, le journaliste, Cheikh Mouhamadou Cissé, et d’un ancien Chef d’Etat-major Général des Armées (Cemga) de la Gambie, Cheikh Sidya Bayo, qui a reçu Actusen.com, respire la forme.
Mais au-delà de remettre les pieds au Sénégal après son expulsion en février 2015 pour tentative de déstabilisation du régime de Jammeh, à partir de Dakar, selon le « chef d’inculpation » de ce dernier, le jeune opposant politique est plutôt préoccupé par le coup que préparerait le bourreau de Kanilaï contre le Sénégal.
Dans cet entretien exclusif accordé à Actusen.com, Cheikh Sidya Bayo tire la sonnette d’alarme, quant aux intentions de Yaya Jammeh. Se disant convaincu que ce dernier a une dent contre l’Etat du Sénégal et préparerait, à partir de Kanilaï, des attaques ciblées sur le territoire sénégalais, Cheikh Sidya Bayo attire l’attention du Président Macky Sall.
Car, estime-t-il, « plus on attend, pour se débarrasser de Jaya Jammeh, plus c’est dangereux pour le Sénégal, mais aussi, pour la sous-région ».
Donc, à son avis, il faut vraiment que le Sénégal arrive à convaincre une force sous-régionale dont le commandement par la Cedeao militerait en faveur d’une intervention militaire, si Jammeh s’entête à rester au pouvoir. Entretien exclusif ! Que vous pouvez, aussi, suivre en vidéo, dans l’émission « En Aparté », toujours sur Actusen.com.
Actusen.com : Après 22 ans de règne sans partage, Yaya Jammeh a été déchu du pouvoir, de façon démocratique. Mais l’euphorie autour de sa défaite a vite tourné à la peur avec (son) rejet du scrutin presque 10 jours plus tard, provocant une situation d’instabilité post-électorale…
Cheikh Sidya Bayo : Tout, d’abord, c’est une grande surprise. Je pense, pour le monde entier, et surtout pour les Africains, de voir un homme comme Jammeh reconnaitre, dans un premier temps, sa défaite. Et puis, se raviser.
De faire volte-face au final. Par la peur, essayer de confisquer le Pouvoir surtout la volonté du peuple gambien. C’est une usurpation de Pouvoir. Je crois qu’on peut l’appeler, comme cela. Mais ce qui est important, c’est la détermination de la Coalition qui a amené le président élu, Adama Barrow au pouvoir.
Sa détermination de rester sur ses positions. C’est-à-dire celle de la victoire qui a permis à la Gambie de connaître un nouveau élan démocratique. Surtout (il insiste), à permettre, aussi, à des générations d’espérer et de voir, enfin, une Gambie libre et démocratique. Mais ce qui est important, surtout, c’est de consolider la démocratie que nous sommes en train de vivre. Avec ce vent de liberté, le problème Yaya Jammeh n’est pas d’actualité.
Il va falloir vite aller en besogne, parce que qu’il va falloir très, rapidement, qu’on puisse mettre en place les prémices d’une Commission nationale de réconciliation, dans un premier temps ; puis, on a l’habitude d’associer ce mot réconciliation avec la vérité. Mais je pense que la vérité a été trop utilisée par cette Coalition (qui a permis à Barrow de remporter les élections). Je pense, aussi, à mon humble avis, c’est ce qui a fallu à Jammeh de faire volte-face.
Le Pouvoir n’avait pas encore été transmis, que la Coalition et le président élu Adama Barrow ont fait des erreurs de communication. Et ça fait peur à Jammeh. Il y a quelques observateurs internationaux qui l’ont souligné. Et mis à part ce couac communicationnel, je pense que c’est une victoire du peuple gambien. Aussi, du peuple sénégambien, parce que le Sénégal a beaucoup contribué à cette victoire. Depuis 22 ans, depuis plus de deux décennies, pourrait-on dire, les Sénégalais, les Ong, la société civile et quelques politiques ont eu le courage de dénoncer ce qui se passait en Gambie. Donc, c’est une victoire non seulement de la Gambie mais, je le répète, du Sénégal.
Actusen.com : Une nouvelle page s’ouvre en Gambie, sans Jammeh, qui refuse, tout de même, de quitter le Pouvoir, de façon démocratique. Comment pensez-vous que la transition va se faire dans ces conditions ?
Aux dernières nouvelles, il semblerait que Jammeh cherche à partager le Pouvoir (Actusen.com en a parlé, quelques heures plus tôt). Ce n’est pas possible. Il sait très bien qu’il a perdu cette élection. Je salue, au passage, le président de la Commission électorale indépendante (Ceni), Alieu Momar Njai, qui a eu un courage inouï en osant annoncer les résultats réels.
Je pense que, nous, opposants, avions critiqué son prédécesseur en la personne de Mustafa Caraiol qui a fait, je crois, deux élections présidentielles avec Yaya Jammeh (2006 et 2011) pendant lesquelles, on savait, chaque fois, que celles-ci n’étaient pas équitables. Il a, quand même, annoncé, à chaque scrutin, une victoire éclatante de Yaya Jammeh. Cette fois-ci, moi le premier, nous avions peur que l’histoire se répétât.
Nous avions été surpris. Et je crois qu’on doit tirer un grand chapeau à Alieu Momar Njai, pour qui, aujourd’hui, je demande à la communauté internationale de le placer sous protection autant que le président élu, Adama Barrow. Il doit être protégé. Je crois que M. Njai aussi, a droit à une protection de très haute importance. C’est très important pour lui et pour tout le travail qu’il a abattu.
Actusen.com : Jammeh s’entête à quitter le pouvoir et fait face à la Communauté internationale, en dépit des appels venus de partout. Pour vous qui l’avez pratiqué, entre les stratégies militaire et diplomatique, pour laquelle opterait-vous, pour le bien du peuple gambien et de la sous-région ?
Ch.S.B : Disons, dans un premier temps, je pense que nos Institutions sous régionales ont eu un temps de retard. Quand on va à une élection avec un homme aussi autoritaire et tyrannique que Jammeh, la Force d’interposition de la Cedeao aurait dû déjà être en place. Ou prête à débarquer en Gambie, dès les premières heures de l’annonce de la victoire de Adama Barrow. La Cedeao aurait dû aller, très tôt, en Gambie. Malheureusement, l’acceptation de sa défaite en a surpris plus d’un. Et je crois que l’euphorie l’a remporté sur les réalités de l’homme qu’il est.
Et nous avions tous pensé qu’en réalité, il accepterait cette défaite. Mais les observateurs les mieux avisés comme le Colonel Malick Cissé du Sénégal (Ndlr : Dans un journal de la place, il disait : si d’ici à une semaine, il n’y a pas de coup d’Etat, ce serait une belle surprise pour la gouvernance mondiale) avaient tiré la sonnette d’alarme.
L’histoire leur a donné raison. Jammeh veut faire un coup d’Etat constitutionnel ou plus encore, institutionnel puisqu’il a cherché à faire un recours auprès de la Cour Suprême gambienne, qui n’existe plus depuis presqu’un an et demi dans sa forme. Parce que les juges, qui composent cette Cour, n’exercent simplement pas.
Donc, je crois qu’un des membres de la Coalition, en la personne de Mai Faty qui, lui-même est juriste, l’a dénoncé. Cette Cour n’existe pas et surtout, Yaya Jammeh, en tant que chef d’Etat sortant, n’a ni le droit ni la légitimité de faire annuler une élection, quand bien même qu’il y aurait des irrégularités, comme le consacre la Constitution. C’était, effectivement, à un autre de le faire. Certainement pas lui.
Actusen.com : A qui alors reviendraient ces prérogatives, à la Ceni ?
Ch.S.B : Non ! Mais vous savez, en Gambie, toutes les Institutions sont dans le bureau et sur la table du président de la République. Même celles qui ne le sont pas par la Constitution, le sont parce que c’est l’essence même des dictatures.
Actusen.com : Par le bon vouloir de Sa Majesté ?
Ch.S.B : Voilà. C’est ça. Exactement !
Après la chute de Jammeh, êtes-vous entré en contact avec les nouvelles autorités notamment, le président élu, Adama Barrow ?
Ces nouvelles autorités, ce sont mes camarades d’antan. Nous avions tous fait front contre Yaya Jammeh. Nous avions tous été opposants à Jammeh. Aujourd’hui, pour être franc avec vous, même avec la Coalition politique de huit (8) partis, je ne croyais pas, une seule seconde, qu’on pourrait mettre fin au régime de Yaya Jammeh. Ça a été fait. Bravo. Chapeau. Je suis prêt à travailler avec le nouveau président, Adama Barrow que je connais assez bien, puisque cela fait presque six ou sept ans que je fréquentais l’homme.
Chaque fois, j’ai pu entrer en contact avec les responsables de son Parti dont Usainu Darboe est le chef de file de l’opposition. C’est un homme humble, courtois et altruiste. Je crois qu’après (un) Jammeh autoritaire, on a besoin d’un homme d’Etat capable de faire passer son peuple avant sa propre personne.
Adama Barrow est-il capable de réconcilier le peuple gambien et d’effacer les stigmates du règne Jammeh si ancrés dans la conscience collective ?
Ch.S.B : Effectivement, c’est ça que je vous disais au début de notre entretien. On a vraiment intérêt à mettre Yaya Jammeh en seconde phase de la réconciliation nationale. Mettre, d’abord, en avant, l’intérêt du peuple gambien et, surtout, rétablir l’Etat de droit avec une liberté d’expression pour toutes les couches sociales du pays. Ça, c’est très important. Après le reste, je pense qu’on verra.
Si on cherche à savoir ce que Jammeh a fait, ces deux dernières décennies, on le sait tous. C’est une priorité. La justice sera rétablie pour accélérer cet élan de démocratie : donner la priorité à la phase de démocratie qui commence en Gambie. Le président élu, Adama Barrow, a promis de faire un mandat de trois ans. Et si jamais le temps ne lui permettait pas de faire tout ce qu’il a promis, il ferait un mandat de 5 ans. Mais il ne sollicitera pas un autre mandat.
Actusen.com : Les tractations pour la formation du nouveau Gouvernement de Gambie vont bon train, en dépit de la situation qui prévaut dans le pays. Avez-vous été contacté pour un quelconque poste ministériel ?
Ch.S.B : C’est vite aller en besogne. Vu ce qui se passe, actuellement, je crois que les chefs d’Etat de la Cedeao se sont rendus à Banjul, ce mardi. Ils sont, peut-être, repartis (Ndlr : l’entretien s’est déroulé vers 19 heures). Je pense que Yaya Jammeh chercherait à gagner du temps. Pour la simple raison qu’il a fait des ramifications avec l’Etat islamique (Ei). D’où l’appellation de République Etat islamique de Gambie.
Aujourd’hui, ces ramifications sont très sérieuses avec Daesh. Il faut que l’Etat du Sénégal fasse attention. Jammeh cherche à gagner du temps (il se répète), en ciblant des attaques sur le sol sénégalais, mais aussi dans la sous-région. Aujourd’hui, il sait qu’il est isolé.
C’est quelqu’un qui a fait preuve de beaucoup d’ingérence, ces deux dernières décennies. Je ne suis pas là pour faire peur au Sénégal. Mais pour alerter. Il est de mon devoir moral d’opposant gambien, mais aussi, dans l’esprit de la Sénégambie, de mettre en garde les autorités sénégalaises. Plus on attend pour se débarrasser de Jaya Jammeh, plus c’est dangereux pour le Sénégal, mais aussi, pour la sous-région.
Donc, il faut vraiment que le Sénégal arrive à convaincre une force sous-régionale et je pense que ceci ne peut être que la Cedeao pour prendre le commandement de l’intervention militaire, si Jammeh s’entête à reste au Pouvoir. C’est très important et je pèse, vraiment, mes mots. Yaya Jammeh prépare, en ce moment, à partir de Kanilai, des attaques ciblées sur le sol sénégalais. Et j’aimerais que le président Macky sall comprenne l’urgence d’intervenir en Gambie.
Actusen.com : Etes-vous sûr de ce que vous avancez ? Et sur quelles bases vous fondez-vous ?
Ch.S.B : Ce sont des ramifications qui sont réelles. A l’intérieur comme à l’extérieur, il me semble qu’il y a, maintenant, pratiquement, un an, le ministre du pétrole d’Al Bagdadi s’était rendu à Banjul, pour demander à Jammeh d’islamiser le pays en échange d’une vente de pétrole à coût très réduit. C’était le deal au départ. Après, on a essayé de modifier un petit peu, de réformer la société féminine gambienne. Mais au-delà de tous ces accords entre Daesh et Yaya Jammeh, tout le monde le sait. Yaya a une dent contre le Sénégal.
On ne sait pas trop pourquoi. Mais c’est la vérité. Juste avant la fermeture des frontières, quelques éléments de Daesh sont arrivés à Kanilai pour renforcer, dans un premier temps, la sécurité invisible du président Yaya Jammeh. Mais aussi, pour préparer des opérations d’envergure sur le sol sénégalais. Je ne sais pas si vous vous en rappelez, à un moment donné, plusieurs services secrets occidentaux avaient alerté le Sénégal. Je puis vous assurer que tout cela émanait, en tout cas, de la base-arrière dans la sous région, une des bases-arrières se trouve en Gambie. Et précisément ; à Kanimlai. Aujourd’hui, il y a une crise majeure.
La diplomatie sénégalaise, qui est offensive vis-à-vis de Jammeh, ne calmerait, certainement, pas les ardeurs de Yaya Jammeh. Bien au contraire, je peux vous assurer. Si nous attendons, encore, un peu plus longtemps, j’ai bien peur que le Sénégal doive faire face à une attaque d’envergure ciblée de ces personnes sans froideur ni loi. Donc, il va falloir faire très attention et d’aller très vite pour se débarrasser de Jammeh.
Je ne suis pas là pour faire peur à qui que ce soit. Je le répète, ce sont des réalités, des informations que nous avons de sources militaires, de nos renseignements généraux. Et, aujourd’hui, vous le savez, on a écho de quelques ministres et hauts gradés de nos forces de sécurités qui font défection à Yaya Jammeh.
Et ces gens, en partant, viennent aussi avec des informations ; il y en a quelques uns qui sont dans la capitale sénégalaise. Je ne les ai pas encore rencontrés ; mais il y a eu quelques échanges avec quelques personnes à l’intérieur. Elles nous disent : « faites attention. Toi qui es là, au Sénégal, préviens les Sénégalais. Il est prêt à créer une guerre ciblée, aussi bien sur le Sénégal que ses alliés.
On sait que les Américains ont signé des accords de défense avec le Sénégal, pour essayer de calmer le problème de la Casamance avec le Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (Mfdc). Cela ne plaît pas à Yaya Jammeh. Et pour contrecarrer cela, ces opérations vont arriver. C’est imminent. Il vaut mieux se débarrasser du cancer Jammeh. Comme ça, on sera tranquilles ».
Gaston MANSALY (Actusen.com)