Grâce à sa richesse géologique, la vallée de l’Omo, dans le sud-ouest de l’Ethiopie, regorge de fossiles d’animaux anciens, mais aussi d’hominidés, datés de 3,2 à 1 million d’années. Depuis 2006, chaque année, une quarantaine de paléontologues, d’archéologues, et de géologues l’explorent dans le cadre d’une grande mission internationale de recherches. Dernière expédition en date : août 2018.
« Calcanéum ! C’est l’os du talon ! On dirait de l’homme, mais c’est du singe. Qui l’a trouvé, celui-là ? » : Jean-Renaud Boisserie, paléontologue français, directeur du laboratoire PALEVOPRIM de l’université de Poitiers et du CNRS, lève les yeux en direction du reste de son équipe. Il prend dans sa main le fossile à peine plus grand que son pouce, note dans son carnet le nom de Kampiro, qui l’a découvert, et passe examiner le prochain fossile que lui indique son équipe. Le tout sous 40 degrés, voire plus, sans ombre dans cette région particulièrement aride.
Une géologie favorable aux découvertes
Depuis 2006, ce passionné d’hippopotames sous toutes leurs formes et à tous les âges, mène l’expédition transdisciplinaire « O.G.R.E », ou « Omo Group Research Expedition ». Chaque été, ou presque, une partie des quarante chercheurs mobilisés partent en mission, pendant trois semaines à un mois, afin de collecter des données sur le terrain, dans la vallée de l’Omo. Pour arriver jusque-là, il faut compter deux jours de route de la capitale, Addis-Abeba, en se rapprochant de la frontière avec le Kenya, et de celle avec le Soudan du Sud, qui sont à quelques dizaines de kilomètres à peine.
Ce qui intéresse particulièrement l’équipe de recherches dans cette vallée, c’est la formation de Shungura, longue de près de 60 kilomètres et large de 5 à 7 kilomètres, véritable « mille-feuille géologique sur lequel on peut marcher », selon Jean-Renaud Boisserie. La formation se situe au cœur du rift est-africain, une vallée qui, en s’effondrant (pour, dans plusieurs dizaines de millions d’années, probablement devenir un océan), piège de nombreux sédiments, dans une région volcanique, créant des conditions favorables à la conservation de fossiles. « Ce qui est exceptionnel avec cette formation , sourit Jean-Renaud Boisserie, c’est qu’elle a la continuité, depuis 3,6 jusqu’à 1 million d’années. Ça, vous ne l’aurez nulle part ailleurs dans le monde. Si vous avez envie de comprendre ce qui s’est passé dans un bassin donné pour un écosystème, sur cette tranche de temps, il faut venir là. Parce que là, vous allez pouvoir suivre pas à pas les changements de l’environnement, ceux de la faune, de nos ancêtres – qui font partie de la faune – et les changements de leur culture. »
Une équipe multidisciplinaire
Aux côtés d’archéologues, de géologues, et d’une palynologue [spécialiste des pollens et spores, NDLR] qui reconstitue la végétation de la vallée il y a plusieurs millions d’années, l’équipe de paléontologie cherche à connaître la faune ancienne qui a peuplé la région, nos ancêtres y compris. Jean-Renaud Boisserie accompagné d’étudiants éthiopiens en paléontologie et des employés du Musée national d’Ethiopie sont venus d’Addis-Abeba, rejoints par des «chasseurs de fossiles», comme on les appelle, saisonniers venus de tout le pays, reconnus pour leurs capacités à repérer des fossiles à la surface.
Une vallée pleine de promesses… et d’hominidés
On trouve dans la vallée des restes d’hominidés qui permettent de retracer l’évolution de nos ancêtres. Ont été découverts par exemple des fragments dentaires évoquant Australopithecus Afarensis, l’espèce de la célèbre Lucy, datée de 3,2 millions d’années et retrouvée dans l’Afar, au nord-est de l’Ethiopie. On voit également apparaître dans la vallée, à partir de 2, 7 millions d’années, des Australopithèques robustes, avec de grandes dents, et des mâchoires puissantes, ainsi que des Australopithèques dits graciles, aux molaires plus petites, et dont la lignée pourrait potentiellement conduire à notre genre Homo. Ont aussi été retrouvés dans la vallée des restes crâniens vieux de 2 millions d’années, attribuables à Homo Habilis, ainsi que des restes ressemblant à Homo Erectus, un peu plus tard dans la formation, à près d’1 million d’années.
L’Afrique, beaucoup plus que le simple « berceau » de l’humanité
« Je n’aime pas parler de berceau de l’humanité », affirme Jean-Renaud Boisserie. Pourquoi ? Le berceau est conçu pour les nourrissons qui ne savent pas marcher. « L’Afrique n’est absolument pas ça pour l’humanité : c’est l’endroit où on a appris à marcher, où on s’est mis debout, où on est resté pendant l’essentiel de notre histoire, pendant plus de 5 millions d’années. » Pour mieux comprendre et raconter cette histoire africaine, notre histoire à nous tous qui sommes « de grands mammifères africains » aux yeux du paléontologue, des articles communs et multidisciplinaires devraient être publiés dans la suite de cette mission. L’objectif à long terme est d’établir, grâce aux données collectées année après année, des cartes précises qui retraceraient l’évolution de la faune, de la végétation, de la géologie, des productions culturelles des hommes – des pierres taillées à des époques anciennes, encore largement délaissées par l’archéologie – et ce sur plusieurs millions d’années, puisque cette formation de Shungura, dans le sud de l’Ethiopie, le permet. Elle a encore plein de choses à nous apprendre…
Rfi.fr