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Contribution

Faux départ du Sénégal : ruse de la France et chantage des Etats-Unis

En une série de quatre contributions (ère de chaque président sénégalais), nous allons expliquer l’histoire du Sénégal pour mieux comprendre pourquoi des décennies après l’indépendance, nous sommes toujours pauvres. Pour contrôler un pays, il faut s’assurer de contrôler sa monnaie, son armée et lui forcer à signer des accords qui ne l’arrangent pas. C’est ainsi que nous commencerons par l’ère du président Senghor pour montrer ce que nos deux partenaires (la France et les Etats-Unis) ont signé avec le Sénégal.

En 1960, 17 pays d’Afrique subsaharienne, dont 14 anciennes colonies françaises, acquièrent leur indépendance, dont le Sénégal. Cette indépendance devait être la rupture totale entre le Sénégal et l’ancien colonisateur. Il n’en a rien été. Quand un pays est indépendant, il doit normalement être souverain dans tous les domaines. Il doit être en charge de sa défense, sa justice, sa diplomatie, sa monnaie entre autres, telles sont les conditions nécessaires pour une souveraineté nationale.

Contrôle de l’armée et de la monnaie

Plusieurs accords furent conclus entre la France et le Sénégal, car il faut une coopération entre les deux pays qui ont, après tout, une longue histoire. Cette coopération asymétrique permet de constater que la décolonisation est, en effet, inachevée. C’est ainsi que l’ancien colonisateur signe l’accord de transfert de compétences le 22 juin 1963.

Cet accord permettrait à la France de représenter le Sénégal là où le Sénégal n’a pas de représentation. Parmi ces accords, on retrouve aussi l’accord de coopération monétaire qui résultera à la création du FCFA. Quelques pays avaient refusé, comme la guinée de Sékou Touré, qui décida de sortir de la zone CFA, et Sylvanus Olympio, qui était aussi contre cette monnaie, mais il sera assassiné. Quand ils ont créé le franc CFA, il fallait créer des banques centrales et la majorité des administrateurs étaient des Français. Ils en ont profité pour réviser plusieurs accords monétaires comme le nombre de représentants au sein du Conseil d’Administration et les lieux des sièges des banques centrales. La France s’est assuré d’avoir la mainmise sur notre politique monétaire et cela résultera d’une décision unilatérale de dévaluer le franc CFA en 1994.

En matière de défense, la France avait signé un autre accord de coopération. La France organisera et encadrera notre armée et elle mettra à la disposition du Sénégal ses officiers et sous-officiers pour former nos militaires. La France, sur demande de l’ancienne colonie, pourra intervenir militairement pour défendre le pays concerné. D’après une étude menée sur les coups d’états en Afrique, il s’avère que plus de 65 % des coups d’état ont pris place dans les anciennes colonies françaises. Si ces pays ont signé des accords militaires avec la France, comment se fait-il que la France n’ait pas pu intervenir pour les éviter ? L’accord de défense, prendrait-il en compte le leader qui défend les intérêts français ?

Enfin, nous devons aussi rappeler qu’en 1959, le crédit octroyé au Sénégal par la France était de presque 1,5 milliards de FCFA, en 1960, il était de 2,2 milliards et la subvention arachidière était de 2,7 milliards de FCFA. Dans la même année, la France décida de ne plus financer nos dépenses de fonctionnement, mais seulement de nous accompagner dans les projets de développement.

Le capitalisme américain : quid pro quo

Connu pour leur capitalisme et pour défendre leurs intérêts, les Etats-Unis étaient le second partenaire du Sénégal durant l’ère du président Senghor. Ils étaient notre second fournisseur avec 6 % des parts du marché et des investissements de plus de 8 millions de dollars dans l’exploitation minière et le raffinement pétrolier.

Pendant que la situation financière était chaotique avec la grande sécheresse des années 70, les Etats-Unis en ont profité pour nous dicter leurs lois. Notre déficit commercial était de 300 millions de dollars alors qu’auparavant, ce déficit n’était que de 150 millions de dollars. La situation de la finance publique était agonisante et le gouvernement sénégalais n’était pas en mesure de payer les salaires des fonctionnaires, qui représentaient 44 % des salariés. Pendant ce temps, le Sénégal avait envoyé des troupes au Liban et au Zaïre et cela nous a valu l’aide des Etats-Unis qui disaient soutenir toute nation pauvre qui allait contribuer aux opérations de maintien de paix. Il faut rappeler que les fonds des pays arabes pour cette guerre avaient été récupérés par la France qui ne donna aucun franc au Sénégal.

En ce qui concerne l’assistance militaire, les Etats-Unis n’avaient fourni au Sénégal que moins de 50 000 dollars, car il fallait être clair, les Etats-Unis ne voulaient dans aucun cas faire croire au Sénégal qu’il pouvait compter sur eux militairement. Les accords militaires déjà signés avec la France restaient en vigueur et si le Sénégal veut être aidé militairement par les Etats-Unis, il fallait d’abord annuler les accords avec la France.

Avec un service de la dette estimé à 60 millions de dollars, le Sénégal souffrait et ne pouvait pas trop compter sur la France, il fallait se tourner du côté des Américains. C’est ainsi que les Etats-Unis nous avaient octroyés plus de 83 millions de dollars à travers divers programmes. Cela n’était toujours pas suffisant vu que cette somme serait décaissée graduellement. Il fallait trouver de l’argent.

C’est ainsi qu’un prêt de 60 millions de dollars fut signé, avec l’aide la Citibank et plusieurs autres pays. Les termes du prêt étaient : une durée de 7 ans à un taux variable entre 2 % et 2,5 %. Après avoir extensivement étudié tous les projets, les fonds étaient clairement repartis selon les besoins. Nous allons citer quelques exemples : 10 millions de dollars pour la SAED pour l’irrigation des terres et augmenter la production de riz pour les cinq prochaines années, 3,1 millions de dollars pour la SODEFITEX et 10, 7 millions de dollars pour l’électrification rurale.

Nothing is free (rien n’est gratuit.) disent les Américains. En contrepartie de ce prêt, il fallait signer des accords avec les Etats-Unis. Plus de préférences commerciales, le Sénégal ne va plus privilégier les produits français, il fallait considérer les produits américains. Le Sénégal n’est plus autorisé à discriminer contre les produits américains et au contraire, il fallait promouvoir les produits américains. Il fallait aussi donner la priorité aux investisseurs américains dans l’agro-industrie et le tourisme et il fallait aussi mettre l’aéroport de Dakar à la disposition des Américains en cas de guerre.

Pour l’utilisation de l’aéroport, il faut noter que le président Senghor en a profité pour faire réparer la piste, car il a dit que les avions de guerre américains qui y atterrissaient avaient endommagé la piste. Les Américains en tant que bons négociateurs ont dit au Sénégal que les avions militaires français comme les jaguars et le KC-135 utilisaient la même piste. Ils ont dit que pour des raisons purement techniques, ils pouvaient refuser d’honorer cette requête, mais qu’ils vont l’honorer, car le Sénégal est un « bon élève ».

Malheureusement pour le Sénégal, il avait déjà pris un faux départ en signant des accords dont il n’avait pas trop le choix. Il fallait signer ou se faire déstabiliser par les pays voisins. Le président Senghor qui aimait la France aussi, leur a facilité beaucoup de choses. À 74 ans, Senghor était fatigué et passa le relai au président Diouf. Nous verrons quels accords furent signés par le président Diouf.

Mohamed Dia

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