Au Bénin, on attend ce mardi 13 mars le verdict du procès de l’affaire Mohammed Atao, ce député accusé d’avoir vendu des faux médicaments. Le trafic de faux médicaments coûte la vie à près de 100 000 Africains chaque année, d’après l’Organisation mondiale de la santé.
Ce mardi matin, Mohammed Atao ne sera pas au tribunal à Cotonou puisqu’il a pris la fuite, mais neuf autres prévenus seront jugés dans cette affaire. Il s’agit notamment des responsables de grandes sociétés pharmaceutiques béninoises, de l’Agence nationale des approvisionnements en médicaments ou encore le chef d’un service du ministère de la Santé.
Ce procès, le premier d’une telle envergure, est suivi sur tout le continent car malgré les alertes à répétition, le trafic de faux médicaments continue à prendre l’ampleur. « On est dépassé, se désole le docteur Emilienne Yissibi Pola secrétaire générale de l’ordre des pharmaciens du Cameroun. Il est impossible de dissocier la falsification, le faux médicament, le mauvais circuit d’approvisionnement, l’exercice illégal de la profession de pharmacien… Mais tout cela concourt à obtenir un produit dont on ne peut pas garantir la qualité ».
D’après l’OMS, un médicament sur 10 dans le monde est une contrefaçon. En Afrique, ce chiffre monte à 7 médicaments sur 10.
Les douanes et après ?
Pourtant la lutte contre ce trafic s’est intensifiée suite à une certaine prise de conscience. Les organisations régionales comme la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) ont adopté des politiques communes du médicament.
Des coopérations douanières ont été mises en place dont certaines ont eu de beaux résultats. En juin dernier, par exemple, l’Organisation mondiale des douanes (OMD), en collaboration avec 18 pays africains, a intercepté près de 260 millions de médicaments illicites.
« Ces médicaments proviennent pour l’essentiel d’Inde ou de Chine, explique Sandra Waynes experte technique à l’OMD. Ils entrent en Afrique par les ports principaux comme Cotonou puis sont distribués sur tout le continent. »
Les saisies douanières peuvent être impressionnantes mais souvent inutiles car derrière, le système sanitaire ne suit pas. « Le rôle des douanes c’est d’intercepter ces médicaments illicites, poursuit Sandra Waynes. Ensuite, elles les remettent aux autorités sanitaires dont il est le devoir d’en empêcher la distribution. Normalement, ces faux médicaments doivent être détruits mais il arrive qu’ils soient rendus, au prétexte que ces pays ont besoin de médicaments. Ce que les autorités oublient c’est que ces médicaments-là sont dangereux. »
Manque de volonté politique et vide juridique
Les pays africains sont en pénurie chronique de médicaments. Les politiques sont donc frileux à l’idée d’en ralentir la distribution, sans compter les situations où certains, comme c’est le cas dans l’affaire béninoise, sont parties prenantes du trafic.
« Le médicament est politisé, s’indigne le docteur Abdoulaye Keita de l’ordre des pharmaciens du Mali. Dans mon pays par exemple, à chaque fois qu’il y a des saisies de faux médicaments, s’ensuivent des plaidoyers pour restituer ces produits. Même les ONG y participent. Certaines manipulent les médicaments sans la présence d’un professionnel de santé. »
Un manque de volonté politique qui se traduit par un vide juridique total. La plupart des pays africains, comme le reste du monde d’ailleurs, ne disposent pas d’une législation spécifique pour le trafic de faux médicaments. « On ne peut même pas poursuivre les trafiquants, poursuit le docteur Abdoulaye Keita. La vente illicite de médicaments n’est pas criminalisée au Mali. Les trafiquants risquent quelques mois de prison seulement. »
Pour remédier à cette situation, le Conseil de l’Europe a proposé en 2011 la signature d’une convention internationale, Médicrime. « Nous demandons une mobilisation générale internationale, rappelle le professeur Marc Gentilini, délégué à la Fondation Jacques Chirac pour la lutte contre les faux médicaments. Il faut que la douane, la police, les juges, l’autorité politique, aient les moyens de faire appliquer ce qui est décidé par la convention Médicrime, c’est-à-dire que ce délit soit transformé en crime et que ce crime soit puni comme il se doit. »
Aujourd’hui seuls 27 pays dans le monde ont signé Médicrime dont trois africains: le Maroc, la Guinée et le Burkina Faso.
Rfi.fr