ACTUSEN
Contribution

Hommage à Saliou Traoré

A voir le titre de cette nécro, tu vas sûrement rigoler dans un premier temps. Puis, comme tu verras que je ne bronche pas, tu vas te ressaisir et t’interroger sur ce qui ne va pas chez moi de manquer d’inspiration à ce point pour pondre un titre si banal, si ordinaire pour un événement si peu banal et si peu ordinaire : la disparition de mon meilleur ami, de mon principal confident, celle du camarade fondamental.
Si j’ai fini par griffonner ces lignes, c’est parce que je ne peux pas faire autrement. La pression « populaire » est passée par là. Celle des membres de nos familles respectives, de nos amis communs, de nos confrères, consœurs, collègues et connaissances de divers horizons. « Où as-tu publié ton hommage à Tra ? », me demande-t-on sans cesse. J’avais renoncé à écrire, car j’étais persuadé que rien ne sortirait. En effet, chaque fois que je me suis mis devant mon ordi pour témoigner, rien ne venait. Enfin si. Des larmes coulaient de mes yeux en abondance, me forçant à renoncer. J’ai tenté d’écrire dans la soirée de ce fatidique samedi 13 octobre, de retour du cimetière de Yoff, et encore le lendemain, puis deux ou trois jours après… impossible d’aligner trois mots.

Alors j’ai lu les très beaux textes de Matar [Guèye] et de [Ibrahima] Bakhoum, l’un ton cousin et ami directeur d’école à Marseille, l’autre ton ami, confère et ancien collègue de l’APS. Ce que l’un et l’autre ont écrit est si sincère, si véridique et si complet que je ne savais pas ce que je pourrais apporter de neuf. Mais qui comprendrait mon silence ? Lequel silence pourrait être assimilable à une trahison, à un abandon pour qui connaît nos relations mais déciderait de ne s’en arrêter qu’à la surface. J’ai donc beau faire, beau me concentrer aujourd’hui encore, je n’arrive pas à trouver les mots qu’il faut pour décrire ce que je ressens vraiment au fond de moi.

Là, notre ami Alioune Mbaye Cabess m’a interpellé. En substance il m’a dit : « Non mon cher, Amat ne peut pas ne pas témoigner. Compte tenu de ce qui te liait à Tra, il faut que tu dises quelque chose après son décès. Et publiquement ! Tu ne vas pas faire moins que Matar et Bakhoum quand même ! » Cette sorte de harangue émanant de l’ancien directeur national de la haute compétition aura sur moi un effet dopant. L’effet que cela aurait mieux fait d’avoir sur nos sportifs lorsque Cabess était aux affaires afin de nous valoir des médailles aux jeux Olympiques, par exemple. Mais là, c’est une autre histoire, et je te vois sourire en lisant cette (gentille) vanne formulée aux dépens de ce cher Cabess.

Il y en avait toujours entre toi et moi, des vannes. Les plaisanteries, les traits d’esprit, les mots d’humour foisonnaient lors de nos innombrables et inoubliables rencontres. Et pourtant, cela ne nous empêchait point d’aborder, voire d’épuiser les thèmes les plus divers et des plus sérieux : le journalisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, la politique sénégalaise et ses tares, la déontologie, le cinéma et la télévision, la religion en général, la foi en Dieu, nos épouses, nos enfants et nos parents respectifs qui se connaissent tous et qui nous savent si proches et si inséparables…

Oui, jusqu’à mon frère Vieux qui vit en Italie et qui, lorsqu’il a débarqué à Diass, il y a environ un mois pour ses vacances à Thiès, m’a, avant toute chose, demandé de tes nouvelles. Quand je lui ai répondu que tu étais sérieusement malade, j’ai compris à sa mine déconfite qu’il n’en savait rien et qu’il avait juste demandé par réflexe. Voilà pourquoi, en compagnie de mes sœurs Ndiémé et Awa, ainsi que de ma nièce Diodio Fall, Vieux a tenu à faire le déplacement depuis Thiès pour présenter physiquement et de vive voix leurs condoléances à Ndèye Bâ, ton irremplaçable épouse, qui aura fait montre, ces derniers moments à ton chevet, d’une patience, d’un courage et d’une abnégation difficiles à égaler. Ousmane et Cheikh, mes deux autres frères, sont passés après, tandis que ma grande-sœur Binta, qui vit en Espagne, m’a appelé pour témoigner et rappeler comment tu l’avais aidée, il y a quinzaine d’années, à obtenir un visa de plus longue durée auprès de l’ambassade espagnole à Dakar, après qu’elle avait perdu son passeport.

Une fois ces banalités ressassées, que me reste-t-il à dire ? Je ne vois pas trop. Peut-être rappeler ce qu’ont dit, sur le caractère sincère parce que désintéressé de notre amitié, tes frères Ousmane, Abdou Rahim, Pa Alioune, Pape Seydou, Abdourahmane, ou tes sœurs Néné, Ami, Abibatou, Saly, Absatou, sans oublier tonton Souley, bien sûr, celui qui est à la base de tout. Tous et toutes m’ont présenté leurs sincères condoléances à la suite de ton grand départ, et il y avait beaucoup de sincérité dans leurs voix. Et que dire de tes enfants, que dis-je ? de NOS enfants Ndèye Binta la benjamine, Souleymane l’aîné, Abdou Rahim le cadet et surtout Pape Cheikh, qui aura longuement veillé à ton chevet avec un dévouement digne d’éloges.

Tu me permettras, comme je ne suis pas jaloux, d’évoquer tes autres amis et camarades, dont certains que nous avons en commun. Ils étaient tous là : Abdoulaye Diop, Babacar Touré, Abdoulaye Thiam, Fatoumata Sow, Cheikh Tidiane Fall, Momar Seyni Ndiaye, Mame Less Camara et les autres membres du Cored dont tu étais un membre éminent et respecté, sans oublier la consœur Diatou Cissé. Il y avait itou Ibrahima Bakhoum, Souleymane Guèye, Abdou Gningue, Mamadou Koumé, Cheikh Tidiane Ndiaye, Madieng Seck, Papa Saniébé Ndiaye, tous anciens de l’APS, de même que le ministre Abdou Latif Coulibaly, tes voisins Amadou Gaye et Seyni Wade, ton camarade de promotion Mamadou Kassé, ton autre grand ami, Kaolackois comme toi, Bassirou Sarr, à la tête d’une importante délégation. Diadié Bâ, Ibrahima Cissé et tes autres compères de l’association de la presse étrangère étaient aussi là. J’ai conscience d’en avoir oublié plein, car, comme disent les Wolofs, citer c’est omettre.

Rien, cependant, ne me fera oublier d’évoquer Coumba Sylla, notre petite-sœur, consœur et surtout amie, comme elle l’a prouvé en te couvant quasiment durant toute ta maladie, passant te voir systématiquement chaque jour, que ce soit à la maison ou à la clinique, n’épargnant ni ses moyens ni son temps. Et ce, jusqu’au terme ultime. Très attachée à nos épouses respectives, elle aimait, que dis-je ? elle adorait notre compagnie à un point tel qu’elle n’arrêtait pas de provoquer des rendez-vous repas, soit chez elle, soit chez l’un de nous, soit dans un restaurant chic de la place. Coumba nous a toujours exhortés à écrire notre fameux « bouquin à quatre mains », persuadée qu’il fera un tabac si nous y consignons tout ce que nous nous racontons à longueur de retrouvailles.

Alors que te voilà parti (avant l’heure à mon avis), elle me charge de la tâche d’achever, ou plutôt de… démarrer « le bouquin à quatre mains » qui, du coup, se retrouve devoir naître entre mes deux mains à moi tout seul. Coumba nous appelait « les jumeaux », mais nous n’avons jamais pu tomber d’accord tous les deux sur la vraie nature de cette gémellité. Sommes-nous, comme tu le prétendais, de « vrais faux jumeaux » ou, plutôt comme je le disais, de « faux vrais jumeaux » ? A moins que ce ne soit l’inverse. En tout cas nous avons eu de mémorables échanges sur ce questionnement fondamental, mais jamais vraiment une réponse tranchée emportant l’adhésion de l’un et de l’autre.

On n’a pas oublié de citer tes très nombreuses qualités tant morales qu’intellectuelles, la compétence dont tu as su faire montre dans tous les domaines où l’on a noté tes interventions. Correspondant pour l’Afrique de l’Ouest de l’agence espagnole EFE, tu écrivais directement dans la langue de Cervantès des articles de si haute facture que nul ne songeait, au desk central de Madrid, à en retirer la moindre virgule. Les gars de l’agence ont eux-mêmes témoigné avoir particulièrement apprécié ta couverture de certains grands événements tels que le fameux procès Hissène Habré.

Reste à souligner ton urbanité, que Babacar Fall, DG de la Pana, attribue à ton état de « vrai gentleman », comme il me l’a dit récemment. Mamadou Oumar Ndiaye, lui, m’a longuement appelé pour louer tes différentes qualités. Ta gentillesse, ta générosité, ton honnêteté, ton professionnalisme, ton sens du respect de l’éthique et de la déontologie, ton amour tyrannique pour ton pays, mais surtout ton courage dans l’expression de tes opinions et, donc, ta franchise. En effet, quelle que soit la personne en face de toi, tu n’as jamais hésité à exprimer ce que tu pensais vraiment. C’est sans doute ce qui t’amenait à commencer certaines déclarations bien senties ou à ponctuer les propos que tu approuvais par l’exclamation « Franchement ! »

Et puis voilà, j’ai conscience de n’avoir pas dit grand-chose, car j’ai été le seul à parler. Toi tu n’as rien dit. Tu t’es contenté de rester là à m’écouter et, j’en suis certain, à afficher ce sourire gentil, sympathique et bienveillant qui t’illuminait constamment le visage. Pendant ce temps, je me sens si seul. Et malgré le soutien des miens qui sentent mon désarroi, je ne peux m’empêcher de me morfondre de temps en temps, à peine persuadé que nous ne rirons plus ensemble sur cette vallée des larmes. Adieu mon frère, tu me manques !

Par Mamadou AMAT

Journaliste – Dakar

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