ACTUSEN
Contribution

La crise de la démocratie sénégalaise

La pléthore de listes aux élections législatives prochaines, la stigmatisation de certains hommes politiques du fait de leur origine sociale ou ethnique et les caricatures obscènes aux dépens de hautes personnalités de l’Etat peuvent être perçues comme autant de symptômes de dysfonctionnement majeur de notre Démocratie.

Cette profusion de candidatures renvoie aussi à une absence de lisibilité du jeu politique entretenue à dessein – comme dans toute démocratie bourgeoise -par le pouvoir pour empêcher une perception adéquate des enjeux sociopolitiques de l’heure, aussi bien par les masses populaires que par les apprentis politiciens, gagnés par un électoralisme effréné, dans leur quête inlassable de strapontins juteux.

Au cœur de toute action politique digne de ce nom devrait se trouver la définition des politiques économiques, que nos gouvernants continuent de conduire essentiellement au profit du Capital étranger, par le bradage scandaleux de nos richesses nationales, comme le prouvent la part trop belle faite aux sociétés occidentales dans notre économie et la gestion scandaleuse de nos nouvelles ressources minières (pétrole et gaz).

C’est précisément pour pouvoir s’affranchir de tout contrôle et conduire cette politique contraire aux intérêts bien compris des masses laborieuses de notre pays que nos gouvernants refusent obstinément d’endosser conséquemment les principes de refondation institutionnelle, de gouvernance vertueuse, de promotion des libertés individuelles et collectives tels qu’ils avaient été esquissés dans le programme de la CA2000 puis confirmés par les Assises Nationales.

Pour se maintenir au pouvoir et empêcher l’émergence de véritables alternatives populaires, nos décideurs continuent de miser sur la poursuite du clientélisme politicien et l’amplification du détestable phénomène de la transhumance. Cela se traduit par la mise en place d’institutions budgétivores (CESE, HCCT), la cour assidue faite aux porteurs de voix et la pratique de la corruption à visée électoraliste. On pourrait y ajouter la construction d’ouvrages de prestige destinés à mystifier l’électorat, sans réel impact sur le quotidien des citoyens lambda.

Toutes ces initiatives onéreuses plombent gravement tous les espoirs de sortie de notre pays des affres de la pauvreté et du sous-développement.

Comment s’étonner dès lors d’un leadership national déficient, qui induit une sorte de désobéissance civile latente, un refus du respect de la discipline, des règles et normes sociales, autant de tares qu’il est aisé de constater au sein de la société sénégalaise ? Mais ce laxisme s’étend aussi aux services publics (Santé, Éducation, Énergie, Hydraulique…) dont la mauvaise qualité est déplorée par les usagers.

La crise de la Démocratie, c’est aussi celle des partis politiques. L’accession du président Sall au pouvoir, en mars 2012, à la tête d’un parti n’ayant que 3 ans d’âge ainsi que l’avènement aux Etats-Unis et en France de nouveaux présidents, en dehors et à la marge des grandes formations politiques classiques, renseignent sur la profondeur de la défiance des masses populaires vis-à-vis des élites traditionnelles.

Or, les partis politiques constituent des entités regroupant des citoyens partageant une philosophie ou une idéologie commune, dont ils cherchent la matérialisation, avec comme objectifs la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir. L’un des plus grands paradoxes dans notre pays est précisément, que la plupart des formations politiques, au lieu d’être au service d’une idée, deviennent de plus en plus la propriété privée d’un leader charismatique et/ou financièrement bien assis, qui piège toutes les instances de décision, en y plaçant des militants, qui lui sont dévoués corps et âmes.

En l’absence de critères pertinents et équitables de promotion des militants au sein de formations politiques dirigées par des mafias quasi-inamovibles, il ne reste plus d’autre choix aux nombreux militants frustrés, que d’aller créer leurs propres groupuscules politiques, ce qui explique la croissance exponentielle du nombre de partis dans notre pays.

L’activité politique se résume alors à une quête perpétuelle de prébendes et de ressources pour satisfaire une clientèle insatiable.

Les coalitions presqu’aussi nombreuses que les partis ne se constituent pas autour de convergences programmatiques, mais sont plutôt basées sur des convenances personnelles. Le fameux « gouverner ensemble » devient synonyme de partage du gâteau.

Les professions de foi ou autres promesses électorales des partis politiques n’engagent que les pauvres électeurs ou militants, qui ont la naïveté d’y croire.

Les programmes ressemblent de plus en plus à de la poudre de perlimpinpin prétendument miraculeuse, mais totalement inefficace avec une pincée de chaque grande thématique (Institutions, Écologie, Culture…), la politique économique étant laissée aux institutions financières internationales, qui prescrivent des recettes encore et toujours plus libérales. Elles en sont même arrivées à concevoir des plans prêts à l’emploi comme le Plan Sénégal Émergent, qu’on cherche à nous vendre comme fruit de la vision transcendantale de notre « guide éclairé ».

Le niveau du débat politique laisse à désirer. Au lieu de porter sur les affaires de la Cité, les controverses prennent souvent une allure crypto-personnelle. Il ne s’agit plus d’adversité politique basée sur des divergences idéologiques ou programmatiques, mais bien d’une haine tenace où tous les coups sont permis (origine sociale ou ethnique, vie privée allant de l’immixtion dans des divorces jusqu’à des caricatures obscènes et inacceptables).

Last but not least, on note une distension progressive des liens entre l’activité politique, noble par essence et la lutte pour les droits économiques et sociaux.

Tout cela survient dans un contexte marqué par la léthargie des grandes centrales syndicales et le mutisme des partis se réclamant du prolétariat, complices de la remise en cause des droits de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre.

Quoi d’étonnant alors à observer le désintérêt croissant des larges masses populaires par rapport au jeu politique ?

La voie royale pour réhabiliter l’activité politique et réconcilier l’élite politique avec les larges masses populaires sera de mettre en œuvre les recommandations de la C.N.R.I inspirées des conclusions des Assises Nationales.

NIOXOR TINE

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