Les ressources naturelles, bases de toute production, sont menacées d’épuisement pour deux raisons liées à l’action humaine : les prélèvements excessifs et les pollutions.
De ce point de vue, la durabilité des systèmes de production devient l’objectif principal à atteindre.
Dans le secteur agricole la durabilité de la production est effective lorsque, l’agriculture, en se déployant, ne détruit pas dans le temps ses propres bases naturelles de production. Tel n’est pas le cas en zone subsaharienne.
Il faut entendre par bases naturelles de la production agricole, tout le matériel biologique naturel (vivant comme mort) qui soutient le cycle de la matière.
Ce matériel biologique n’est rien d’autre que la biodiversité au sens large du terme.
La biodiversité réunit tous les éléments organiques vivants comme morts (plantes, animaux, micro-organismes, humus) structurant et alimentant la totalité de la cohérence fonctionnelle écologique d’un milieu au centre de laquelle se trouve le paysan.
Malheureusement cette diversité biologique se meurt progressivement partout en zone subsaharienne. Le potentiel naturel fondamental de production des milieux de culture s’en retrouve dégradé si fortement que si nous n’apportons pas les corrections adéquates l’agriculture subsaharienne deviendrait très vite, si elle ne l’est pas déjà, une agriculture de précarité et derésignation.
La réconciliation du paysan avec la biodiversité : une condition pour éviter l’agriculture de précarité et de résignation
En dehors des causes géo-climatiques contre lesquelles nous sommes impuissants, la destruction des bases naturelles productives de l’agriculture s’explique par deux faits anthropiques réversibles:
-le paysan continue de pratiquer des méthodes (agricoles, sylvicoles et pastorales) dégradantes pour la biodiversité et le milieu, d’une part,
-la conscience paysanne productive n’intègre pas la biodiversité dans toute sa plénitude écologique, d’autre part.
Des méthodes culturales dégradantes pour la biodiversité
Certaines pratiques culturales doivent être abandonnées compte tenu de l’actuelle fragilité écologique des milieux de culture. C’est le cas de la culture sur brûlis.
Voilà une pratique à grande échelle dans le monde rural, malgré le fait qu’elle détruit ce qu’il y a de plus précieux c’est-à-dire la matière organique génératrice de l’humus, et avec, une bonne partie de la faune et de la flore.
Elle déstructure les sols par défaut de complexes argilo-humiques, inhibe le renouvellement végétatif suite à la destruction du capital semencier sauvage de la mésoflore herbacée et arbustive.
Cette pratique encore répandue est une aberration écologique. Avec elle, la fertilité biologique des sols disparait laquelle il faut nécessairement compenser par la fertilisation chimique onéreuse.
Comme second exemple, prenons la préparation du champ. Là aussi il est conseillé au paysan que le champ doit être propre, bien nettoyé à ne laisser rien subsister qui concurrencerait nutritionnellement la culture – herbes comme arbustes.
Sans arrière pensée, le paysan soumet à une coupe régulière toutes les plantes herbacées et arbustives hors culture interrompant ainsi saisonnièrement le cycle végétatif de ces dernières. Cette pratique renforce l’action du feu.
Aujourd’hui, le monde rural a perdu beaucoup de sa biodiversité d’autrefois.
Au bout du compte, les systèmes de production agricole, privés de biodiversité, se coupent de leurs racines nourricières naturelles pour devenir une dépendance totale de la technicité et de la technologie, laquelle est sujette aux aléas conjoncturels de l’environnement économique et politico-technologique (cours mondiaux, intrants, disponibilités technologiques, équipements, engrais, pesticides, réglementations, normalisations, géopolitique, etc.).
Le retour à la biodiversité est impératif
Rappelons-le, le premier intrant de l’agriculture est la biodiversité – un intrant gratuit de surcroît.
En effet, pour tout rendement agricole, il y a toujours une fraction fondamentale de rendement due au fonctionnement écologique de la biodiversité. Cette fraction est d’autant plus importante que la biodiversité est élaborée – l’autre fraction de rendement, qualifié de technique, n’étant que son prolongement artificiel.
Ainsi, la durabilité de l’agriculture se mesure par l’importance de cette fraction fondamentale de rendement liée à la biodiversité.
En effet, la durabilité d’une agriculture est d’autant plus importante que cette fraction fondamentale de rendement due à la biodiversité est conséquente.
Un tel rendement est durable pour son origine organique, pour sa reproductibilité à l’infini donc son caractère renouvelable et enfin pour sa gratuité.
L’on voit évidemment que le rendement lié à la fertilisation chimique (engrais) ne totalisant pas ces trois attributs, n’est pas durable quelque soit par ailleurs son importance.
De la conscience paysanne indifférente de la biodiversité
Le paysan actuel ne fait pas le lien entre biodiversité et agriculture encore moins entre biodiversité et sa propre survie. L’encadrement agricole de l’époque a fait du paysan un exécutant productiviste et non un acteur agricole émancipé.
Effectivement, de nos jours la conscience paysanne est une catégorie aliénée par la modernité à travers les vecteurs sociaux d’acculturation de sorte que le lien originel entre paysan et biodiversité est rompu.
Le paysan avait bien conscience du continuum organique entre lui et la nature. Le hasard ou la nécessité du réflexe naturel de survie l’y contraignait
Plus tard, à la faveur de la modernité postindustrielle (économie manufacturière, culture scientifique et technologique, transferts cognitifs sociétaux mythiques et mystificateurs, urbanités, etc.), cette conscience du continuum s’est effritée et a disparu.
Voilà pourquoi la biodiversité est aujourd’hui une entité en dehors de la culture paysanne de la production agricole.
Agriculture de précarité, de quoi parle-t-on?
Si on regarde de prés on voit que le rendement agricole est dual dans sa formation.
En effet, chaque rendement est composé d’un montant partiel dû à la technicité culturale et d’un autre montant partiel dû au fonctionnement fondamental de l’écosystème, avec la biodiversité comme moteur.
Le premier montant partiel de rendement est le résultat de la technosphère (ensemble des moyens techniques, semences, engrais, pesticides, connaissances, méthodes, etc. mobilisables pour l’agriculture).
Par contre le second montant partiel de rendement est le résultat de l’écosphère (la totalité de la dynamique énergétique de l’écosystème). Il est généré par le capital naturel (biodiversité) où la fertilité biologique du sol est essentielle.
L’on voit donc que la production « techno-sphérique » est artificielle, planificatrice, programmatique. Elle est prévisible et connue. Tandis que la production « éco-sphérique » est naturelle, spontanée, discrète. Elle est imprévisible et inconnue.
Ceci montre, sans doute, qu’une partie des prévisions statistiques relatives au rendement agricole reste inconnue au même titre que l’apport naturel écologique du milieu – lequel apport n’est rien d’autre que l’expression énergétique de la biodiversité du milieu de culture.
Personne ne cherche à connaître le potentiel biotique de son champ qui prédétermine l’apport écologique du champ en termes de rendement. On se contente facilement de l’usage de l’engrais renchérissant le coût de production et intoxicant les terres – ce qui enchaîne davantage le paysan dans la dépendance et réduit sa compétitivité.
La production «écosphérique», où l’enjeu durabilité et l’épaisseur de l’inconnu sont plus importants, devrait être un nouveau sujet d’intérêt majeur.
En réalité, les éléments naturels qui sous-tendent la production «écosphérique» sont une ressource naturelle non comptabilisée donc non contrôlée. Or, dans le cadre de la rationalisation des décisions, l’exhaustivité de l’information statistique est souhaitée pour minimiser les marges d’erreur des prévisions.
Ce capital est estimé, ex-post, par ses manifestations à la moisson en termes d’apport de plus-value, mais toujours méconnue, ex-ante, en termes prévisions quantitatives avant semis.
Dans ces conditions de fragilisation des systèmes de production et de difficultés de financement, l’agriculture devient de plus en plus aléatoire et finit par s’inscrire dans la précarité hypothéquant toute durabilité.
Une agriculture de résignation, de quoi parle-t-on ?
Dans la précarité, l’agriculture perd sa capacité de s’adapter aux chocs éventuels extérieurs pour ne conserver que celle de s’en accommoder. En ce moment, elle devient une agriculture de résignation c’est-à-dire une agriculture de soumission.
Mais, faudrait-il bien faire la différence entre adaptation et accommodation de l’agriculture.
A l’instar de la biologie l’accommodation se conforme à l’élément inducteur du choc extérieur en épousant ses contraintes sans les remanier. L’accommodation cesse lorsque l’inducteur disparait. L’accommodation trouve l’équilibre dans la résignation.
Par contre l’adaptation n’adopte pas les contraintes de l’élément inducteur. L’adaptation acquiert l’équilibre dans la riposte en soumettant les contraintes de l’inducteur à d’autres alternatives, d’autre nature, issues de sa propre mécanique.
Prenons l’exemple de la monoculture arachidière,
Dans ce cas, la rente arachidière est l’inducteur et la monoculture, l’accommodation. En effet, sous l’attrait financier, les producteurs pratiquent la monoculture arachidière pour maximiser leurs revenus. La monoculture arachidière cesserait dés que le marché correspondant disparaissait. Une adaptation serait en jeu si à la demande du marché de l’huile on répondait par plusieurs offres équivalentes : huile de soja, huile de baobab, huile de coton, huile de «soump», etc.
Une adaptation pourrait même recourir à des produits alternatifs de synthèse, voire à une réglementation, à une normalisation, à une certification, à un accord coopératif, à un protectionnisme, etc. La diversification des cultures rentre dans ce cadre.
Voyons l’engrais classique(NPK) comme second exemple.
L’engrais NPK est un fertilisant relativement cher pour les paysans sahéliens. Dans cet exemple la pauvreté des sols est l’élément inducteur et l’usage de l’engrais NPK, l’accommodation. Une adaptation serait de se rabattre sur d’autres fertilisants (fumure organique, compost, débris végétaux, buses de vache, biodiversité, etc.) ou de pratiquer d’autres spéculations moins exigeantes en engrais NPK. (Naturellement ou par modification génétique) ou même de recourir à la revivification de la biodiversité par la jachère (le laisser faire).
Tout ceci montre que lorsqu’une agriculture est incapable de s’adapter, elle se contente de s’accommoder et dans ce cas elle se résigne au stimulus extérieur (l’inducteur), quoique non bénéfique.
L’agriculture est intrinsèquement anti-écologique. Pour qu’elle soit durable, il faut nécessairement la maintenir le plus longtemps dans le fonctionnement inépuisable de la biodiversité.
La valorisation monétaire du capital naturel biomasse/humus par hectare doit être réalisée.
Celle-ci, serait aisée si l’on sait que la valeur monétaire de la quantité d’engrais utilisé à l’hectare constitue le montant des dépenses de protection contre la pauvreté des sols – une méthode classique de valorisation monétaire d’une ressource naturelle en économie environnementale. La détermination de cette valeur permettrait d’optimiser les transactions foncières agricoles et de minimiser les marges d’erreur des prévisions en termes de besoins de fertilisation.
Nous devons renforcer la production «écosphèrique» car l’intégrité de nos terres (terres non polluées, encore vierges) est un nouveau genre d’avantage comparatif considérable à l’avenir à opposer à la haute productivité qui fait la force de l’agriculture des pays développés et émergents.
Cette intégrité qualitative, un service environnemental potentiellement à forte valeur ajoutée, ne se
renforce que par la réhabilitation de la biodiversité locale.
Enfin, il faut réconcilier le paysan sahélien avec la biodiversité. Pour se faire il est nécessaire de réinventer le conseil agricole à l’imprimer dans une optique significativement écologique rompant d’avec toutes les pratiques écologiquement inamicales de l’encadrement agricole postcolonial. Sans cela notre agriculture s’éloignerait de plus en plus de ses bases naturelles de production et en perdrait ses facultés de réponse adaptative pour finir dans la résignation.
Cheikh NDIAYE
DG CICES
Maire de LAMBAYE