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Contribution

L’affaire Aïcha Diallo ou l’échec de la réforme hospitalière ?

L’affaire dite Aïcha Diallo, quasi-inaugurale du magistère de Mr Abdoulaye Diouf Sarr peut également être considérée comme un héritage contrariant de la gestion de son prédécesseur. Il s’agit, dans tous les cas, d’une de ces dramatiques histoires, qui surviennent quasi-quotidiennement dans nos structures de soins.

Si on devait faire une rapide évaluation de cette sombre affaire dont a été victime l’infortunée gamine de 12 ans, on est bien obligé de reconnaître qu’elle n’aura, en rien, fait progresser la réflexion sur notre système sanitaire, qui se trouve dans une crise profonde.

OUI À LA REDEVABILITÉ… MAIS POUR TOUS !

Il s’est plutôt agi pour l’Opinion manipulée par une certaine Presse de vouer aux gémonies les professionnels de santé, exercice facile et ayant le don de booster la vente des journaux et l’audimat des supports audiovisuels. Il est seulement regrettable que l’information initiale à l’origine de ce buzz médiatique soit un cas d’école en matière d’entorse à la déontologie journalistique.

Cela dit, il est clair que des scandales de cette nature sont intrinsèquement liés à notre système de santé, tel qu’il fonctionne actuellement avec tous ses déficits (en ressources humaines, matérielles et financières) et son style de management.

Sans chercher à blanchir les agents de santé, nous pensons que le mieux à faire serait d’exiger une redevabilité sans faille, de procéder à l’audit technique dans tous les cas où la responsabilité d’un professionnel est évoquée (décès, handicap ou simple plainte des usagers), afin de prendre les décisions appropriées, selon les résultats, au lieu de diaboliser tout un corps de métier. Il serait judicieux, dans tous les cas, de vérifier si tous les moyens matériels et humains nécessaires à l’établissement du diagnostic et à la prise en charge du cas existent au niveau de la structure.

De la même façon que la Police Nationale est mal placée pour éclaircir une bavure policière, il est clair que le Ministère en charge de la Santé ne peut, à lui tout seul, sans l’aide d’experts indépendants, investiguer des problèmes survenus dans ses services.

Rappelez-vous de l’affaire du sang contaminé en France, dans les années 80 ! Plusieurs autorités avaient été alors jugées, dont des médecins du centre de transfusion sanguine, le directeur de la santé, des ministres de la santé et même le Premier ministre d’alors. C’est dire que les ministres de la République portent une responsabilité pour tous les actes posés dans leurs services, aussi lointains qu’ils puissent leur apparaître.

Dans le même ordre d’idées, les choix budgétaires de l’Exécutif, les réformes qu’il initie, les failles dans le leadership et le mode de gouvernance politique influent directement sur tous les secteurs de la vie nationale et de manière plus marquée au niveau de la Santé, où il s’agit d’enjeux de vie et de mort !

DOIT-ON ABOLIR LA RÉFORME HOSPITALIÈRE ?

La Réforme hospitalière s’est inspirée des principes du « management participatif », ayant pour ambition de combiner l’exigence du service public incarnée par les administrations avec l’esprit d’entreprise rattaché au secteur privé. Elle a été adoptée par l’Assemblée Nationale le 12 février 1998 sous forme de deux lois complémentaires la première intitulée « loi portant réforme hospitalière », la seconde intitulée « loi relative à la création, à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics de santé ».

Il faut rappeler que l’instauration de la réforme hospitalière avait trouvé ses fondements dans la baisse continue de la qualité des soins dans les centres hospitaliers, avec comme corollaire, le développement d’un secteur privé moderne auquel ne peuvent accéder que quelques Sénégalais nantis.

Selon la Direction des Etablissements de Santé, le but de la Réforme Hospitalière était d’améliorer les performances des hôpitaux aussi bien sur le plan de la gestion que celui de la qualité des soins.

Près de 20 ans après, force est de reconnaître que le bilan est plus que mitigé. Déjà, en Octobre 2006, une grande concertation nationale sur le système hospitalier, présidée à l’époque par l’actuel Président de la République, alors premier ministre du gouvernement libéral, avait fait le diagnostic sans complaisance des errements de cette Réforme, et proposé des pistes de solution, dont le moins qu’on puisse dire, est qu’elles tardent à être appliquées.

Ce n’est que l’an dernier, le 6 avril 2016, que le projet de décret portant statut du personnel des Etablissements publics de Santé a été adopté en Conseil des Ministres.

Par ailleurs beaucoup de reproches sont faits à cette réforme, qui semble mettre l’accent davantage sur le recouvrement de coûts, qui se transforme très souvent en marchandisation des soins de santé aux dépens de l’équité dans l’accès aux soins hospitaliers (seuls 3% des personnes à revenus modestes qui constituent 51% de la population) ont accès à l’hôpital.

Cela est dû, en grande partie, à l’autonomie de gestion, qui a conduit au désengagement progressif de l’Etat ses démembrements que constituent les collectivités locales se traduisant défaut de financement. En effet, ils n’apportent pas aux hôpitaux les dotations budgétaires, l’équipement et les ressources humaines nécessaires à la garantie du service public, ce qui induit une privatisation déguisée comme c’est déjà la règle dans la plupart des hôpitaux.

La première conséquence est la précarisation des statuts des travailleurs, la dé-fonctionnarisation, la pléthore de vacataires. Il s’y greffe le recrutement de personnel non qualifié sur des bases clientélistes (proches parents ou militants du parti au pouvoir mais aussi de leaders syndicaux…), qui induit un accroissement de la masse salariale.

Cela conduit à la réduction de l’accessibilité financière des structures hospitalières, où la qualité des soins, même si elle s’est améliorée, a du mal à se hisser à la hauteur du développement fulgurant des maladies non transmissibles réputées être à « soins coûteux ».

Comment passer sous silence la faramineuse dette hospitalière due à la précarisation du financement du système sanitaire ? Elle est due à plusieurs facteurs :

  • l’inexistence de critères pertinents pour les allocations budgétaires destinées aux établissements publics de santé (300 millions pour l’hôpital de Pikine),
  • les difficultés liées au transfert des fonds de dotation aux collectivités locales, depuis 1996, aggravées par l’Acte 3 de la Décentralisation,
  • la mise en œuvre de politiques de gratuité insuffisamment élaborées (plan sésame…).

QUELLES PISTES DE SOLUTIONS POUR NOS HÔPITAUX ?

Comme nous le voyons donc, les graves dysfonctionnements au sein du système sanitaire en général et plus particulièrement ceux du système hospitalier dépassent de loin la problématique de l’accueil, qui constitue certes un aspect très important de la prise en charge sanitaire mais n’en recouvre pas la totalité.

Sur le plan de la carte sanitaire, on doit corriger le paradoxe qui fait de l’hôpital de Pikine, situé dans le département le plus peuplé de la Région de Dakar (plus du tiers de la population), le seul établissement public de santé de niveau 3 de la banlieue, qui comprend aussi les départements de Guédiawaye et de Rufisque.

Il urge donc de construire d’autres établissements publics de niveau 3 au niveau de la banlieue dakaroise. Il importe, dans ce cadre de préserver le système de santé de district mis à mal par l’érection intempestive et injustifiée de centres de santé de référence des districts de Guédiawaye et de Rufisque en EPS de niveau 1. En effet, la lutte contre les maladies non transmissibles exige, de la part des équipes de districts, la mise en œuvre d’activités préventives et promotionnelles, qui sont d’un rapport coût-efficacité, de loin supérieur à la prise en charge des complications métaboliques, dégénératives et cardiovasculaires liées à ces affections.

Par ailleurs, la tarification hospitalière doit tenir compte du pouvoir d’achat des populations environnantes. Le Conseil d’Administration et l’autorité de tutelle doivent veiller à la soutenabilité de la masse salariale et au respect du Code des Marchés, ce qui suppose que politiciens, syndicalistes, personnalités qualifiées et représentants des usagers se préoccupent davantage de l’intérêt général que de leurs petites combines juteuses.

La couverture maladie universelle, tant glorifiée ne saurait se limiter au traitement, au niveau des postes et centres de santé, d’affections banales, dont la prise en charge est la moins coûteuse mais devrait aussi de plus en plus s’étendre à ces affections réputées coûteuses, entraînant des dépenses catastrophiques ou appauvrissantes.

Sans une politique hardie de gestion des ressources humaines, notre système sanitaire ne pourra pas faire face aux nouveaux défis de la transition épidémiologique vers les maladies non transmissibles. L’Etat sénégalais si prompt à s’endetter pour bâtir des infrastructures de prestige (aéroport AIBD, CICAD de Diamniadio, autoroute Illa Touba…) rechigne à former et à recruter des ressources humaines suffisantes pour le système sanitaire. Nos hôpitaux manquent cruellement de spécialistes alors que ce sont les professeurs de nos Universités qui forment les spécialistes de plusieurs pays africains et du Maghreb, où ils se voient parfois contraints de transférer leurs malades dans le cadre du tourisme médical. Et tout cela parce que les plateaux techniques de nos structures hospitalières sont obsolètes. Il faudra donc les relever en les couplant avec une maintenance hospitalière adéquate.

Il est clair que le budget de la Santé doit être revu à la hausse et tendre vers les 15% recommandés par la conférence d’Abuja. Mais au-delà des milliards supplémentaires, ce dont notre système sanitaire a besoin, c’est d’une utilisation plus efficiente et d’une répartition plus équitable des ressources financières, parfois distraites par des maffias inamovibles.

L’exemple du système de santé cubain nous prouve qu’un pays du Tiers-Monde aux ressources limitées, peut, avec une bonne organisation, un bon leadership et une gouvernance appropriée atteindre des indicateurs sanitaires équivalents sinon meilleurs que ceux des pays dits développés.

Dr Mohamed Lamine LY

Médecin de santé publique

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