Dans un article récemment paru dans Sud Quotidien n° 7598 du lundi 10 septembre 2018, une «conviction profonde» a été astucieusement énoncée sur l’illégalité du décret n° 2018-1701 du 31 août 2018 portant révocation du Maire de la Ville de Dakar. Même si la réflexion relève de l’ordre d’une appréciation à la fois subjective et objective, l’argument selon lequel « le décret de révocation n’est pas motivé » ne manque pas de nous arracher une réflexion au carrefour du droit administratif et de la légistique ou, en verbe facile, de l’art de rédiger les textes normatifs.
C’est une vérité d’évidence de dire que l’approche théorique est réjouissante, parce que tout simplement familière au lecteur assidu ou occasionnel de la jurisprudence et de la doctrine administratives sénégalaises. Cependant, la vérité légistique, quant à elle, informe sur l’étendue de la méconnaissance des règles de présentation et d’écriture des décisions administratives. Ce constat nourrit le débat sur le durcissement du caractère abstrait voire livresque des connaissances juridiques délivrées aux étudiants. Si le contraire n’en est pas la vocation, la prudence doit être soigneusement observée.
La raison de toutes ces considérations est de répondre à la question suivante : comment motiver une décision administrative ? La réponse doit, si l’on veut rester rigoureusement scientifique, être nuancée.
La réponse selon laquelle les motifs doivent impérativement être apparents dans les termes du dispositif (articles décisoires) est approximative. Il faut le constater, pour le regretter, une telle appréciation souffre d’un défaut de « base légale ». Les échos textuel et jurisprudentiel sont audibles relativement à l’affirmation du principe de motivation des décisions, entre autres, défavorables. Mais, la rectitude du raisonnement juridique recommande de savoir que les modalités de la motivation – non formellement définies – s’opèrent par diverses formes, dont celle utilisée dans le décret précité. C’est tout l’intérêt de la maturité légistique dans l’appréciation des décisions administratives.
Bien entendu, « on dit d’un acte qu’il est motivé lorsque son instrumentum est revêtu des motifs qui le fondent ». Est-il pertinent de réduire l’instrumentum au dispositif ? Point besoin de faire l’archéologie du concept pour s’interdire l’assimilation parfaite. Sommairement, l’instrumentum désigne un document écrit pouvant constituer la preuve d’une situation ou d’une qualité.
En documentant notre réflexion par la pratique administrative, on se rend compte que les modalités de la motivation ne sauraient se limiter à l’exposé des motifs dans le dispositif. La thèse de « l’expression des motifs sur la décision elle-même » est la preuve éloquente d’un divorce académiquement consommé entre les modes d’emploi conceptuel du droit administratif et la dynamique de la pratique administrative.
Nous en convenons, les considérations sur lesquelles est assise une décision administrative sont généralement incluses dans le texte même de la décision. Cependant, il est communément compris, en considération de la jurisprudence, qu’il est parfois possible que les motifs d’une décision soit exposés dans un document annexé à la décision (lettre d’accompagnement, rapport, avis …) ou, plus généralement, porté à la connaissance de l’intéressé en même temps que la décision.
Comme de sérieux arguments invitent à penser que la vérité en droit administratif sénégalais est gagée sur la jurisprudence administrative française, il y a lieu de rappeler que celle-ci avait déjà reconnu la possibilité à l’Administration de motiver une décision par le biais d’un document joint ou annexé à la décision.
Dans l’arrêt du Conseil d’Etat français du 05 novembre 2003, il est pertinemment considéré « qu’un état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la dette, alors même qu’il est émis par une personne publique autre que l’Etat pour lequel cette obligation est expressément prévue par l’article 81 du décret du 29 décembre 1962 ; qu’en application de ce principe, l’Onilait ne peut mettre en recouvrement un prélèvement supplémentaire sans indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par référence à un document joint à l’état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge des redevables ; qu’en l’espèce, l’office a satisfait à cette obligation en faisant référence, dans les titres exécutoires contestés, aux lettres du 30 juillet 1993 adressées aux coopératives requérantes qui, dans le cadre de la procédure contradictoire que l’administration était tenue de suivre avant de corriger les bases déclarées, exposaient clairement les bases de la liquidation de la dette et dont les coopératives requérantes ne contestent pas avoir eu connaissance ; que par suite, la cour administrative d’appel de Nantes n’a commis aucune erreur de droit en considérant que les titres attaqués étaient réguliers ».
Dans un autre arrêt significatif à cet égard, rendu le 07 mai 2015, la haute juridiction administrative, a affirmé, dans le cadre d’un considérant de principe, que pour satisfaire à l’exigence de motivation, l’administration doit indiquer, soit dans sa décision elle-même, soit par référence à un document joint ou précédemment adressé à l’intéressé, les considérations de droit et de fait qui fondent sa décision. Celle-ci concourt désormais à alléger le poids de la charge pesant sur l’administration. Il ressort de cet arrêt : « Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’une sanction financière prononcée sur le fondement de l’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale doit être motivée ; que, pour satisfaire à cette exigence, le directeur général de l’agence régionale de santé doit indiquer, soit dans sa décision elle-même, soit par référence à un document joint ou précédemment adressé à l’établissement de santé, outre les dispositions en application desquelles la sanction est prise, les considérations de fait et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour décider de son principe et en fixer le montant ».
Eu égard à ces considérations, la motivation d’un décret de révocation d’un maire par le canal d’un rapport de présentation relève raisonnablement d’un bon sens administratif.
Meïssa DIAKHATE Directeur de Cabinet du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Enseignant-Chercheur en Droit public à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar