“L’on parvint à concevoir qu’une monnaie portant l’empreinte de la souveraineté ou du chef de la nation devait être frappée par des préposés de confiance, et non par des fermiers avides de gain” de Mirabeau
Initialement créé en 1939, le franc CFA, actuelle pomme de discorde entre partisans de son retrait et ceux de son maintien, finit par être officiellement reconnu, le 26 décembre 1945, au moment de la ratification par la France des accords de Bretton Woods, coïncidant, par ailleurs, à sa première déclaration de parité auprès du Fonds Monétaire International (FMI). Ironie du sort, nous nous rendons aisément compte que, tout s’est concrétisé durant la fameuse seconde guerre mondiale de 39-45 ; période au cours de laquelle, la Métropole commençait à perdre du terrain auprès de ses colonies qui, du fait du tumulte de la guerre, se débrouillaient comme elles pouvaient pour poursuivre leurs échanges commerciaux (elles n’hésitaient pas à utiliser le Dollar US comme monnaie d’échange).
Au retour de la paix, afin de restaurer l’autorité monétaire française dans ces différents territoires et de gérer concomitamment leurs dettes extérieures à la fin du conflit mondial, la France met en place un système de change communautaire bien huilé avant même que les indépendances des colonies d’antan ne soient proclamées. Histoire de rendre “le sevrage” plutôt progressif que brutal ! C’est pourquoi, l’acronyme “F CFA” signifiant alors, « Franc des Colonies Françaises d’Afrique » avait été retenu et qu’une zone franc, à l’aide du crayon s’est dessinée entre des colonies africaines (Ouest et Centrale) et du Pacifique sous la supervision de la Caisse Centrale de la France d’Outre-mer.
Pour ce faire, il fallait juste harmoniser les règles du jeu monétaire en instaurant, dans un premier temps, dans tous les territoires concernés “des billets de nom et des graphismes différents avec une valeur respective fixe” pour faire honorer ce qui est communément appelé “la parité.” De là, nous sommes passés à l’indépendance et après celle-ci, les nouveaux États africains – à l’exception de la Guinée, de la Mauritanie et de Madagascar, ont tous refusé de couper le cordon ombilical en conservant, jusqu’à ce jour cette dite monnaie. Ainsi, trois monnaies sont utilisées comme suit :
- huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) partagent, le même CFA désigné sous «Coopération Financière en Afrique» ;
- les six autres pays d’Afrique Centrale (Cameroun, République Centrafricaine, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad) se contentent, quant à eux de leur CFA, estampillé «Communauté Financière Africaine» ;
- et les Comores, son propre franc.
Toutes, moulées dans un seul et unique système, orchestré par la “mère colonisatrice” qu’est la France et basé sur une organisation financière, monétaire et économique, portée en bandoulière par de “loyales et reconnaissantes” institutions financières que sont : la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC) et la Banque Centrale des Comores (BCC). Chacune de ces dernières dispose ainsi, d’un compte d’opérations au niveau du Trésor Public Français et doit obligatoirement y verser, depuis 2005, 50% (65% avant) de leurs réserves de change.
À ce jour, rien que la BCEAO et la BEAC confondues, y ont stocké plus de 8000 milliards de francs CFA soit plus de 12 milliards d’euros, représentant quasiment les budgets totaux d’au moins 4 pays membres. En contrepartie, la France les rémunère en intérêts fixes, compte non tenu des placements privés qu’elle s’autorise de faire et de leur intégration dans l’Aide Publique au Développement qu’elle se targue de nous octroyer ! “ROKI MI ROKANI” ! Et si “donner” était ainsi réglementé, “gratuité” n’aurait plus son sens !
En outre, quatre grands principes axés sur “une centralisation des réserves de change au Trésor public français, une fixité de la parité franc CFA/euro, une libre convertibilité du franc CFA à l’euro, et une libre circulation des capitaux entre la France et les pays de la zone franc”, fondent ce système. A cela s’ajoute le fait que, la France est plus qu’omniprésente pour ne pas dire encombrante puisqu’elle est presque majoritaire, hormis la BCEAO dans tous les autres Conseils d’administration qui dirigent lesdites institutions. Pour couronner le tout, elle fabrique, depuis toujours, la même monnaie dans une de ses principales imprimeries bancaires, sise à Chamalières dans le Puy-de-Dôme (Région Auvergne – Rhône Alpes).
En sus, malgré les concerts de louanges adressées à la fameuse garantie de convertibilité illimitée qu’est censée procurer la France à ses ex colonies, l’épisode cauchemardesque de la dévaluation du franc CFA de 1994 est toujours frais dans nos mémoires…And What else !* Au regard de tout ce qui précède, force est de reconnaître qu’il est de l’ordre normal des choses de voir certains panafricanistes sortir de leurs gonds.
C’est ainsi que, depuis 2015, il nous a été donné de constater que de manière plus soutenue et intense, le débat sur l’utilité ou non de la préservation de cette monnaie est soulevé ; donnant par ricochet, possibilité à toutes sensibilités confondues ; des activistes aux experts – spécialistes en passant par les amateurs que nous sommes, de donner nos points de vue respectifs. C’est dans cette logique que, nous avons vu, petit à petit, se former un collectif d’éminents économistes – chercheurs africains sous la houlette de l’ancien ministre Togolais chargé de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques, Kako Nubukpo, du Sénégalais Demba Moussa Dembélé et du Camerounais Martial Ze Belinga. Ils seront appuyés dans cette oeuvre par le président Tchadien Idriss Deby et le tonitruant activiste-militant pan-africaniste Kémi Séba et son organisation Urgence Pan-Africaniste avant que l’économiste Bissau-Guinéen de renom et par ailleurs, Secrétaire Général Exécutif démissionnaire de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique, Carlos Lopes, ne les galvanise en qualifiant de « désuet », le système monétaire de la zone franc et disant, de plus que « Aucun pays du monde ne peut avoir une politique monétaire immuable depuis trente ans. Il y a donc quelque chose qui cloche. »
Ce qui n’étonne guère d’autant plus qu’au vu des archives, nous voyons que ce débat a toujours passionné l’élite intellectuelle, de tous les temps, comme illustré dans un article conjoint intitulé “L’ADAPTATION DES MÉCANISMES MONÉTAIRES ET LA LIBERTÉ DE CHOIX DES PAYS AFRICAINS – Avantages et inconvénients de la zone franc” ; paru en mai 1974 dans le mensuel n°242 du journal français “Le Monde Diplomatique”, où Patrick Guillaumont & Sylviane Guillaumont, à l’époque, Professeurs à la faculté des sciences économiques de l’université de Clermont indiquaient déjà, les raisons pour lesquelles, respectivement en mai et juillet 1973, le Madagascar et la Mauritanie “sont sortis de la zone franc. Leur Banque centrale ne dispose plus de compte d’opérations auprès du Trésor public français.
Autrement dit la valeur et la convertibilité de leur monnaie ne sont plus garanties par la France. Dans le cas de Madagascar, la sortie de la zone franc consacra l’échec d’une négociation elle-même engagée dans une phase critique de l’évolution politique malgache : Madagascar souhaitait le maintien d’un compte d’opérations, mais tenait à établir un contrôle sur les transferts à destination de la France. Pour la Mauritanie en revanche, mieux dotée en ressources naturelles, il s’agissait d’un choix politique explicite en faveur d’une totale indépendance monétaire et qui correspond à un rapprochement politique vers les Etats du Maghreb.”
Alors, n’est-il pas temps de bien mener sérieusement la réflexion et le débat autour des avantages et des inconvénients de cette fameuse monnaie avant de passer à l’acte ? Pour nous éviter “le syndrome du Mali”, qui, en 1962 renonça à faire partie de l’Union Monétaire Ouest-Africaine avant de revenir au bercail suite à une expansion monétaire rapide et inflationniste de son franc malien de l’époque occasionnant ainsi, une dévaluation de ce dernier de l’ordre de 50 % en mai 1967. Cette versatilité a valu, depuis sa réintégration en décembre 1967, à sa Banque Centrale, malgré une croissance ralentie de la masse monétaire, un compte d’opérations auprès du Trésor public français, toujours débiteur pour un montant important à la différence de ceux des trois autres banques centrales. Pour vous dire, “rien ne sert de courir, il faut partir à point !”
Parmi les innombrables interventions des spécialistes, celles des émérites économistes Philippe Hugon et Samuel Guérineau pour les partisans du maintien ; et de Kako Nubukpo pour les anti-franc CFA ont plus retenu notre attention. Voyons voir !
Selon les deux premiers cités, intervenu dans le mythique journal français “Le Figaro”, “il est important de réfléchir à des solutions alternatives donnant plus de flexibilité au taux de change, comme un rattachement à un panier de monnaies, par exemple l’euro, le dollar et la monnaie chinoise”, et cela, nonobstant le fait qu’ils considèrent respectivement que «L’avantage pour les pays africains, c’est d’avoir une monnaie garantie et fixe» et que «Jusqu’à présent, économiquement, le franc CFA a été plutôt une bonne chose pour les pays africains: il y a eu peu d’inflation et pas de crise de la balance des paiements.
Il simplifie les échanges avec les pays de la zone euro». Il s’y ajoute qu’ils reconnaissent que le bilan économique dans certains pays de la zone franc CFA est certes “décevant en termes de croissance, mais positif en termes de stabilité économique, notamment pour traverser les crises sociopolitiques (Côte d’Ivoire, Mali, Burkina-Faso…)” et que néanmoins, «Il y a un problème de dépendance symbolique forte» dû au fait que «La zone franc est aussi un instrument d’influence qui donne du pouvoir à l’État français. C’est du «soft-power» et ça maintient une relation particulière avec l’Afrique». Eux, au moins, ils ont eu la franchise et le mérite d’avouer l’eldorado que constitue l’Afrique pour la France !
En guise de réponses téléguidées, l’économiste togolais Kako Nubukpo, maillon central des partisans du Non et auteur de “Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc CFA ?”, retorquait dans les colonnes du Monde que «Nous souffrons d’une mauvaise gouvernance chronique et il faut sortir de la «protection» qu’offre le CFA. Il a un effet anesthésiant car même en gérant mal les économies, les gouvernants sont sûrs que Paris sera toujours là pour couvrir leurs errements», avant d’embrayer sur les transferts de capitaux qu’engendre le Franc CFA, en ces termes : «Puisque il n’y a pas de limites à la convertibilité, les élites locales ont tout loisir de placer leur argent sur un compte étranger ou d’acheter un appartement parisien. C’est le point central».
En grosso modo, il considère, avec l’ensemble de ses autres camarades que, “cette monnaie est trop forte pour des économies en développement, tout comme le dispositif des comptes d’opération, qui contraint les banques centrales africaines à déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français en contrepartie de la garantie de convertibilité illimitée de leur monnaie”. Selon toujours eux, “la politique monétaire des banques centrales de la zone franc, qui cible un objectif de taux d’inflation autour de 2 %, est trop restrictive et pénalisante, freinant le développement économique des pays.”
Ce qui donna du fil à retordre au Président français, Emmanuel Macron, qui, certainement agacé par la tournure du débat sur le Franc CFA, n’hésita point à balancer à qui veut l’entendre, en marge du Sommet du G5 Sahel, tenu à Bamako au Mali, en juillet dernier, ceci : “Si on ne se sent pas heureux dans la zone franc, on la quitte et on crée sa propre monnaie.” Un homme averti en vaut deux !
Alors, ressaisissons-nous pour une meilleure réorganisation de notre espace avant qu’ils ne nous prennent au dépourvu.
Qu’Allah SWT veille sur l’Afrique et particulièrement sur NOTRE CHER Sénégal … Amen
Par Elhadji Daniel SO,
Président d’En Mouvement ! Défar Sénégal
Ensemble, Construisons le Sénégal !
* Et quoi d’autre !