Après 48 heures d’examen des exceptions de nullités déposées sur sa table, par les deux parties du procès de Khalifa Sall et Cie, le juge Malick Lamotte a rendu, hier vendredi, son verdict. A l’arrivée, sa décision a glacé le sang de la défense dans l’affaire de la Caisse d’avance de la Municipalité de Dakar. Le tribunal, qui s’estime compétent pour connaitre de l’affaire, a jugé mal fondées les raisons évoquées par les Conseils du maire de la capitale sénégalaise, Khalifa Sall pour invoquer le principe de la litispendance.
De même, pour Malick Lamotte, les prévenus ne peuvent point bénéficier d’une liberté provisoire, qualifiant, également, de mal fondés les arguments des Avocats des prévenus. Dans la foulée, le Procureur a tourné en dérision la défense, C’est dire que ces derniers viennent de perdre la première bataille du procès qui cristallise toutes les attentions.
Le temps d’examen des exceptions de nullités n’aura, finalement, duré que le temps d’une «courte réflexion». En effet, après 48 heures d’examen des différents arguments développés durant six premiers jours de rudes batailles procédurières, Malick Lamotte, juge du procès de Khalifa Sall et Cie, dans le cadre de l’affaire de la Caisse d’avance de la Municipalité de Dakar, pour laquelle le maire de la capitale sénégalaise et ses co-prévenus sont poursuivis pour 1,8 milliard F Cfa, a parlé. Hier vendredi, l’Arrêt, qu’il a rendu, est implacable pour Khalifa Sall et ses co-prévenus. La Cour estime que les délits, dont elle a été saisie, à savoir l’usage de faux, l’association de malfaiteurs, le détournement de deniers publics, sont des infractions qui relèvent de sa compétence, selon les articles 369 ET 370. D’après elle, «il ne saurait y avoir de conflit de compétences, ni matériel, ni temporel entre la Cour des comptes et le Tribunal correctionnel». Ce faisant, elle a décidé de rejeter cette exception, comme étant mal fondée. Les magistrats du siège affirment que, relativement à la litispendance, cette dernière concerne une demande. Par conséquent, «cette notion ne saurait être invoquée, en matière pénale». La énième demande de liberté provisoire connaît le même sort.
Parlant de la liberté d’office tirée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall, le Tribunal correctionnel déclare que la main levée du mandat de dépôt ne peut l’être que sur la base de l’article 127 bis du Code de procédure que les conseils de Khalifa Sall n’ont pas évoquée. A cet effet, il a décidé d’annuler la procédure, dont il se trouve saisi, qualifiant la demande de «mal fondée». Dans la foulée, la Cour a rejeté la requête pour les autres prévenus, qui aspirent à recouvrer la liberté, au nom du principe de l’expiration du mandat de dépôt. «Ce moyen n’est pas pertinent», poursuit-elle. Enfin, pour ce qui est de la recevabilité du cautionnement, il ressort des investigations de la Cour que «8 des 13 immeubles offerts en garantie sont au nom de tierces personnes». De l’avis du juge Malick Lamotte et ses assesseurs, «ces documents ne sauraient permettre la possibilité d’hypothèques».
Une défense aux aboies
A partir du moment où les exceptions soulevées par la défense ont été rejetées, dorénavant, aucun obstacle ne saurait empêcher que le fond du dossier soit abordé. La Cour aurait pu même se passer de fixer un autre jour. Mais c’était sans compter sur la détermination des avocats des prévenus. La réaction a été immédiate. «Les Avocats de la défense demandent une suspension de l’audience, jusqu’à mardi, comme nous allons évoquer le fond. Nous avons un besoin impérieux de rencontrer notre client. On nous permettait de le voir aux heures de pause, mais ce n’est pas suffisant, pour faire des réunions de préparation du fond. Nous ne demandons le renvoi, parce que nous ne sommes pas prêts. Mais nous voulons bien préparer notre défense avec notre client. » Ces propos sont de Me François Sarr. Il n’en fallait pas plus pour faire sortir Me Yérim Thiam de sa réserve. « Nous sommes obligés de nous opposer à cette demande de renvoi. Les choses sont en état. Les débats au fond peuvent commencer. Cette affaire a été préparée depuis des années», dit-il.
Le Procureur : «aujourd’hui, je suis d’accord qu’on renvoie jusqu’à lundi, pour récompenser un aveu de taille, c’est-à-dire qu’ils (les avocats de la défense) n’étaient pas prêts»
Une fois n’est pas coutume, le maître des poursuites s’est voulu prévenant à l’endroit des conseils des prévenus. Tout de même, Serigne Bassirou Guèye n’est pas, totalement, allé dans le sens qu’ils voulaient. «Aujourd’hui, je suis d’accord qu’on renvoie jusqu’à lundi, pour récompenser un aveu de taille, c’est-à-dire qu’ils (les avocats de la défense) n’étaient pas prêts». Sur ces entrefaites, le juge Malick Lamotte a tranché. «Le Tribunal est d’accord sur le principe de renvoi. Nous avons besoin de la liste des témoins pour les auditions. C’est important. Mais également, nous allons renvoyer pour que le Parquet fasse venir les deux témoins à charge, qui étaient cités dans la procédure. Le procès est, donc, renvoyé jusqu’à lundi».
Me Ousseynou Fall : «Depuis le début de la procédure, c’est toujours le Procureur qu’on privilégie. Toutes nos requêtes sont annulées. C’est le Procureur, le représentant de l’Exécutif, qui prime sur ce dossier… »
C’est sur cette note que les rideaux sont tombés. L’intervention de Me Borso Pouye n’y fera. «Si vous renvoyez, jusqu’à lundi, nous ne disposerons pas d’assez de temps pour nous entretenir avec tous nos clients. Nous aurons du mal à nous entretenir avec eux. Il y a le fait que Fatou Traoré soit détenue de l’autre côté, au Camp pénal». Pour sa part, le juge est resté dans sa logique. Malick Lamotte signifie l’avocate que son intervention est venue après la décision du Tribunal. Ce faisant, il lui indique qu’il est dans l’impossibilité de revenir en arrière. Nous comprenons vos inquiétudes, mais nous ne pouvons pas revenir sur sa décision. «Donc, je confirme le renvoi, jusqu’à lundi». Ce fait a eu pour effet de rendre furieux Me Ousseynou Fall.
«Depuis le début de la procédure, c’est toujours le Procureur qu’on privilégie. Toutes nos requêtes sont annulées. C’est le Procureur, le représentant de l’Exécutif, qui prime sur ce dossier», déplore-t-il. Son micro est coupé. Tout de même, le juge tient à lui répondre. «Il faut un minimum de bonne foi dans vos déclarations. Ce que vous dites n’est pas la réalité. Tous ceux qui sont là peuvent constater et voir que, depuis l’ouverture de ce procès, les droits de la défense ont toujours été respectés».
Le juge Lamotte s’énerve contre Me Fall, dont le micro est coupé, puis lâche : «il faut un minimum de bonne foi dans vos déclarations. Ce que vous dites n’est pas la réalité»
Les scènes de prise de bec sont récurrentes dans ce procès. Néanmoins, les critiques de la défense étaient fondamentalement destinées au procureur, aux avocats de l’état et à l’agent judiciaire. Ce qui montre que l’affaire dite de la caisse d’avance est entré dans un tournant décisif. Dans une certaine mesure, elle a les relents de l’affaire Karim Wade. On se rappelle que les avocats du fils de l’ancien ministre n’avaient pas, tout au long du procès, ménagé le juge.
Omar NDIAYE