En 2007, le faible taux de participation (38%) aux législatives a été attribué au boycott de l’opposition. Cinq ans plus tard, en 2012, on se rend compte que cette explication n’était pas la bonne. Sans boycott d’aucun parti, le taux de participation 36,76 % a été encore inférieur. Ces faits ont été confortés fortement par les résultats de l’enquête sur les principaux déterminants individuels de l’abstention au Sénégal de 2000-2016, menée par la plateforme des Acteurs non étatiques dans laquelle 63,5% des citoyens électeurs interrogés disent vouloir s’abstenir pour les prochaines législatives du 30 juillet 2017.
Ce fort taux d’absentéisme aux législatives s’explique par dix (10) raisons qui poussent les citoyens-électeurs à s’abstenir.
- La perception de l’Assemblée nationale qui est devenue progressivement une caisse de résonnance de l’Exécutif, une chambre d’enregistrement ou validation des décisions du Gouvernement. Les preuves ne manquent pas : à titre illustratif, on peut noter les multiples modifications de la Constitution sénégalaise adoptées, sans la moindre objection, par l’Assemblée nationale. La modification relative au ticket présidentiel, le 23 juin 2011, par une révolution citoyenne qui a complètement disqualifié la fonction de député. Il en va de même pour beaucoup de lois scélérates telles que la loi Ezzan qui a blanchi des criminels patentés. Les procédures d’urgence pour satisfaire la volonté du Chef, les levées d’immunité pour des règlements de comptes… Les députés n’assument pas parfaitement leur fonction de contrôle, d’évaluation et d’interpellation du Gouvernement.
- Le divorce entre de la classe politique et les citoyens: 46,7% des citoyens enquêtés estiment que les hommes politiques ne sont pas à l’écoute des préoccupations des citoyens. Cette césure entre l’homme politique et son peuple pousse une masse critique de citoyens à s’abstenir aux élections. Une part importante des citoyens estiment que les hommes politiques les considèrent comme de simples marionnettes.
- L’inefficacité de l’action gouvernementale: 42,1% des citoyens enquêtés sont convaincues que l’action gouvernementale ne répond pas à leurs attentes et besoins. En d’autres termes, une masse critique de citoyens ne sont pas satisfaits des politiques gouvernementales. L’Exécutif transforme les députés en brigades d’applaudissement sans grande initiative et adoptant tous les textes gouvernementaux. Ce discrédit de l’Assemblée Nationale est renforcé par l’absentéisme au sein de l’hémicycle qui est la meilleure manifestation du peu d’intérêt que les députés accordent à leur propre fonction.
- Les pratiques de corruption : 31,7% des enquêtés avancent comme raison principale de leur abstention les pratiques de corruption et non transparence dans la sphère politique. Le Sénégal à l’image de la plupart des Etats de la troisième vague de démocraties n’échappe pas cette pathologie. Il faut dire que la politique au Sénégal rime avec clientélisme, distribution de prébende. Ces pratiques de corruption ne se résument pas uniquement à une logique de marchandage, elles ont aussi à voir avec une certaine éthique de la justice et d’honneur (« un vrai » homme politique est aussi un « samba linguère », un « homme d’honneur », qui doit assister ceux qui l’ont soutenu et ont voté pour lui plutôt que pour son rival. La politique au Sénégal, pour les entrepreneurs et les acteurs ordinaires, repose sur l’activation de ressources diverses pour se faire entendre et obtenir des avantages.
- La violence politique : 24,5% des enquêtés avancent comme raison de leur abstention la violence politique. La politique au Sénégal rime très souvent avec violence physique, verbale voire symbolique. On se rappelle l’histoire des milices politiques les bérets verts de la SFIO, ou encore les Kalou bleus du PDS qui ont marqué l’histoire sénégalaise. A cela s’ajoutent les assassinats politiques (Me Babacar Guèye) et les violences des joutes pré-électorales d’investitures ou de positionnement (PS, PDS, APR…). La répétition cyclique de ces pratiques de violence pousse beaucoup de citoyens à se détourner du scrutin.
- L’absence d’alternative démocratique : 22,4% des personnes enquêtées estiment que les partis politiques se ressemblent. Cette vision des citoyens à l’égard des élites traduit une absence d’alternative politique. Le changement de régime n’entraine pas au Sénégal un changement de pratiques politiques. La politique politicienne des élites et la récurrence de la trahison politique « transhumance » attestent l’absence d’éthique démocratique des acteurs politiques. Les exemples de trahison politique au Sénégal sont multiples et poussent les citoyens à considérer les acteurs politiques comme de simples charlatans peu intéressés par les aspirations de changement.
- Le déficit de transparence du système : 18 ,7% des enquêtés avancent comme principale raison de leur abstention la non fiabilité du système électoral. Les doutes sur le fichier électoral entretenu par les partis politiques, l’absence de consensus sur les règles du jeu entre autres pèsent sur la participation des citoyens aux élections. A l’occasion de chaque élection les mêmes doutes et critiques sur le système électoral ressurgissent. Par ces pratiques et discours les acteurs politiques ne rassurent nullement les citoyens sur la crédibilité et la transparence du scrutin.
- La répétition des consultations électorales : 11,4% trouvent qu’il y a trop de consultations électorales. S’il est vrai que l’élection demeure l’instrument de sélection des dirigeants trop d’élections tue l’élection. En cinq ans (2012-2017), le Sénégal a organisé six scrutins. La fréquence des consultations électorales est dommageable à la démocratie représentative car elle installe dans un cycle permanent de campagnes électorales et de politiques politiciennes entrainant de profonds clivages politiques. Les élites gouvernantes sont plus préoccupées de développer des stratégies pour maintenir au pouvoir et cherchant plus à répondre effacement aux attentes des citoyens.
- Les motifs involontaires qui liés au non retrait des cartes d’électeur : 15,6% des enquêtés disent vouloir s’abstenir pour faute de non retrait de carte d’électeur et de changement d’adresse. La refonte totale du fichier électoral menée dans la période 2005-2006, a estimé à 469.122 de cartes non distribuées selon l’annonce du Ministre chargé des Elections le 23 février 2012 à la veille du 1er tour de l’élection présidentielle, ce nombre est passé à 307883 à la veille du scrutin du 2e tour. Cette tendance risque de se confirmer cette année, sur la base des six millions d’inscrit sur le fichier moins d’un millions cinq cent ont déjà retiré leurs cartes d’électeur. D’autant plus que cette catégorie d’électeurs que nous avons qualifiés d’ « électeurs-apatrides » est souvent constituée de personnes à fortes mobilités.
- Les risques de lourdeurs de la procédure du vote le jour J vont constituer un facteur déterminant de l’abstentionnisme. En effet, avec quarante-sept (47) listes officialisant davantage l’effritement de l’espace public pourraient expliquer le découragement les citoyens-électeurs. Il s’y ajoute que le nombre maximum d’électeur par bureau de vote, même étant réduit de 900 à 600 par l’artL66 du Code électorale 2017, occasionnera de longues files d’attente et des lenteurs de vote notamment dans les lieux de vote des grands centres urbains. Ce qui constitue un motif de découragement un bon nombre d’électeur de ne pas voter.
Malick DIOP, Juriste, Expert électoral
Coordonnateur de l’Université des acteurs non étatiques