ACTUSEN
Contribution

Les dessous politiques du mythe d’un Sénégal nouvel eldorado du pétrole

« Le marchand d’œufs doit soigneusement éviter de discuter avec les fous même quand il a la raison de son côté » Proverbe africain.

   «Ils m’ont dit qu’ils ont découvert quelque chose qui ressemble à du pétrole. Mais je leur ai répondu que c’est la pire chose qui pouvait m’arriver, car je sais que je peux développer le Sénégal sans le pétrole ». Ceux qui se rappellent ces propos du Président Wade à travers les ondes de la RTS1 en 2010 doivent être plus circonspects dans cette agitation sur le pétrole sénégalais entretenue par le régime propagandiste de Macky Sall.

   Pour ceux qui connaissent Wade et ses élans parfois flamboyants, un tel discours est à décrypter au regard de la mesure et du caractère sobre qui le rythment. Il n’y a aucun doute que Wade disposait de toute l’information géologique présentement surexploitée par le régime à travers son système de communication éhonté.

Mais son expérience et sa connaissance de la géopolitique du pétrole l’ont certainement dissuadé d’en faire une publicité. Ce soir-là même il a évoqué dans le même discours la malédiction du pétrole pour certainement éviter ce tintamarre ô combien préjudiciable aux délicates affaires du pétrole. L’histoire politique du Sénégal de ces quinze dernières années est pleine de dédales qu’il nous faudra dégager avec courage et lucidité pour ne pas avoir à subir l’avenir.

  On a repris le port et l’aéroport, on s’est réinstallé dans tous les secteurs névralgiques du pays, parce qu’on veut que le pétrole revienne à la France. Un cartographe et un ingénieur en planification n’auraient aucune difficulté à dresser une carte de la stratégie de maillage de l’économie par des intérêts français.

Autoroute à péage, stations à essence, transfert d’argent, mainmise sur le secteur de la téléphonie et de l’internet, TER pour non seulement renflouer les caisses vides d’une société en crise, mais aussi pour transporter plus facilement les hommes d’affaires français… Nous sommes redevenus une colonie économique de la France incapable de supporter les chocs de la zone Euro à l’intérieur des frontières de l’Europe.

  Wade conscient de son héritage politique et mesurant l’instrumentalisation que les forces obscures pourraient faire de cette découverte dans la perspective des élections présidentielles qui se profilaient à l’horizon a certainement joué la carte de l’apaisement et de la prudence. Il n’y a pas de meilleur conseil dans les affaires que la discrétion.

Les spécialistes du pétrole en conviennent presque tous : la gestion du pétrole est tellement complexe que toute précipitation y est fatale. C’est à peu près certain que si Wade avait réussi à obtenir le fameux troisième mandat, il aurait dévoilé toutes les informations sur le pétrole. Le fait même qu’un projet de décret d’attribution d’une licence d’exploration fût découvert par le nouveau régime montre que l’information était déjà disponible.

  Contrairement à ce qu’on cherche à faire croire, à savoir que c’est Macky qui a découvert, voire fabriqué, par un coup de bâton magique, le pétrole sénégalais, l’information était disponible et l’histoire le montrera sous peu avec clarté. Mais toute la publicité qu’il entretient là-dessus est une piètre stratégie de se chercher un gage de légitimité auprès des puissances étrangères toujours avides de pétrole.

Macky Sall sait bien que le Sénégal n’est pas suffisamment préparé pour tirer profit de son pétrole, mais il en use comme monnaie d’échange contre une amnistie internationale pour ses dérive et comme un leurre du peuple sénégalais, et c’est proprement inacceptable.

   Tout le monde sait que tant que Idriss Deby sert les intérêts de la France, il bénéficiera d’une impunité internationale ; tout le monde sait que l’occident a longuement fermé les yeux sur les exactions de Mobutu au Zaïre parce que ses intérêts étaient sauvegardés ; tout le monde sait que le pétrole, le bois et l’argent gabonais ont été les ficelles sur lesquelles Bongo tirait pour non seulement régner sur les Gabonais, mais aussi pour manipuler toute le géopolitique régionale africaine ; tout le monde sait que c’est lorsque Kabila père a commencé à vouloir redonner à son pays une indépendance sur la gestion de ses richesses qu’il a été assassiné.

Le souci des droits de l’Homme et de la démocratie n’est pour l’occident qu’un machin, un lugubre prétexte pour légitimer leur funeste théorie du droit d’ingérence. Comment peut-on revendiquer des droits pour un peuple que l’on continue à considérer comme un moyen et dont les richesses sont systématiquement confisquées ?

   Les Sénégalais qui savent décrypter les signes évidents de la candeur avec laquelle la diplomatie sénégalaise opère présentement doivent être inquiets de l’avenir de ce pays. Le Sénégal a aujourd’hui perdu son indépendance diplomatique en s’inscrivant dans un suivisme sans précédant dans la gestion des crises qui secouent actuellement la sous région (crise malienne) et le golfe (la crise entre le Qatar et ses voisins).

Qu’un régime aussi maladroit et mal inspiré profite des promesses de pétrole pour asseoir une oligarchie (à défaut d’une dynastie) qui soit à la solde de bailleurs occultes n’a rien de surprenant.

  Il nous faut dans ce pays un large et puissant front contre ce régime si nous ne voulons pas hypothéquer l’avenir de notre nation. Il nous faut dissoudre les individualités et les «patriotismes» de parti dans un élan patriotique fort, capable de féconder une énergie rédemptrice. Il nous faut beaucoup de courage, de synergie et d’intelligence pour reprendre à Macky Sall la souveraineté du peuple.

Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de chercher à sauver nos destins individuels pendant que celui de la nation est vendangé. Il nous faut un combat quotidien et dans tous les recoins du pays pour mettre fin à ce gigantesque mensonge qui s’est emparé de notre pays.

La seule façon pour notre pays d’échapper à la déchéance démocratique, à la recolonisation économique et à la guerre civile est que chaque citoyen soit prêt à donner sa vie pour la survie de la patrie car comme disait Nietzsche il n’y a de résurrection que là où il y a des tombeaux.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Secrétaire général du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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