Une conférence internationale sur l’aide à apporter en Syrie s’est ouverte mardi à Bruxelles. Analyse de ces grands évènements où les promesses de dons suffisent rarement à faire face aux crises, qu’elles soient d’origine humaine ou naturelle.
Syrie, Afghanistan, Irak, Centrafrique, Haïti… À chaque fois qu’un conflit ou une catastrophe frappe un pays, la communauté internationale organise des levées de fonds. À l’initiative d’un État ou d’une organisation comme l’Union européenne ou l’ONU, ces grandes conférences et appels aux dons doivent permettre de soutenir des actions humanitaires, aider des populations en fuite, ou reconstruire après la crise. « L’avenir de la Syrie » a ainsi débuté, mardi 4 avril, à Bruxelles, en présence des premiers ministres libanais et jordanien. Elle doit faire le point sur les promesses de dons de 11 milliards de dollars par plusieurs pays et organisations internationales, faites début février 2016 à Londres, par plusieurs pays et organisations internationales.
À l’époque déjà, plusieurs ONG humanitaires avaient salué le geste, tout en spécifiant que ça ne serait pas suffisant. Elles s’alarmaient aussi de la poursuite du conflit, qui rend chaque jour les Syriens un peu plus dépendants de l’aide internationale. Ces promesses de dons sont-elles réellement ce dont les populations en crise ont besoin ? Analyse de Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique et ancien expert humanitaire pour l’ONU.
Syrie, Centrafrique, Afghanistan… À chaque conférence de donateurs, les promesses de dons affluent. Mais les chèques sont-ils réellement envoyés par la suite ?
Ce qui me frappe dans cette inflation de conférences, c’est que finalement, les promesses n’engagent que ceux qui les font. C’est une sorte d’émulation, d’effet d’annonce, où tout le monde doit donner devant tout le monde. D’autre part, ces promesses sont faites par des représentants de gouvernement, qui n’ont pas de caisse pour allouer des fonds contre la famine ou pour des réparations de guerre. Ils doivent donc se tourner vers les ministères des Finances, où des arbitrages doivent être faits, ce qui prend énormément de temps. L’Europe a bien une structure dédiée à l’aide, Echo [avec un budget annuel limité à 1 milliard d’euros], mais les fonds ne suffisent plus, vu la croissance exponentielle de la demande en cas de guerre, famine ou sinistre. Résultat : l’aide décaissée n’atteint souvent que 10 % de l’aide promise.
Cette culture de l’aide multilatérale et humanitaire est restreinte à une certaine civilisation. Les Chinois et les pays arabes ne passent pas par l’ONU et attribuent l’aide en passant par des canaux différents, comme le Croissant-Rouge. La Russie ne donnera de l’aide humanitaire que si elle en tire un bénéfice politique qui permettra de restaurer son image. Chaque groupe de pays a des motivations différentes.
Comment les fonds sont-ils concrètement répartis une fois débloqués ?
Justement, ce qui n’est pas dit dans ces opérations, c’est ce qu’on va faire de cet argent. J’ai souvent vu dire : « On va reconstruire le pays ». Mais qu’est-ce que ça veut dire au Soudan du Sud, où rien n’est construit ? Comment labellise-t-on l’opération ? En Syrie, ce n’est pas une ONG qui va reconstruire un village, mais on ne donnera pas d’argent au gouvernement syrien pour le faire. Idem pour les réfugiés syriens. Les Libanais n’ont pas de camps de réfugiés, qui sont pris en charge par la population locale. En Jordanie, où il y a deux camps, le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) est étranglé mais il fait ce qu’il peut. À partir de là, je ne vois pas comment les gouvernements libanais et jordanien pourraient utiliser l’argent des dons.
On se noie dans cette comptabilité. L’ONU par exemple va répartir l’argent dans ses organisations, que ce soit l’Unicef, le Programme alimentaire mondial ou le HCR, des organisations politiques qui n’agissent que là où elles ont le droit. Dès lors, elles se battent les unes contre les autres, car il y va de leur survie.
Des ONG relèvent que les promesses de dons sont souvent plus importantes aux pics de crise, mais diminuent après, alors que c’est là que les besoins sont le plus criants. N’y a-t-il pas un paradoxe dans cette gestion ?
Bien sûr que si. Dans le cas des famines, je ne vois pas l’intérêt de donner à manger aux gens si on part après, car c’est structurel. Tant qu’on n’aura pas réglé le problème de Boko Haram au Nigeria, il y aura un risque de famine. On s’adresse aux conséquences des crises, mais pas à leurs causes.
>> À voir : Au Soudan du Sud, le cycle infernal de la guerre et la famine
Dans le cas des catastrophes, il faudrait être pré-positionné pour être vraiment efficace. C’est bien d’intervenir dans les situations d’urgence, mais ça ne suffit pas. Surtout qu’il peut y avoir des effets par la suite, comme les épidémies de choléra. Des ONG se targuent d’être à Haïti depuis 35 ans mais, selon moi, ce n’est pas une réussite. Dans le cas contraire, elles n’auraient plus besoin d’y être.
Apporter de l’aide risque aussi d’enflammer la situation dans les pays en crise, d’en faire un but de guerre, une compétition où ce sont les plus forts qui gagnent. Si on donne de l’argent au gouvernement sud-soudanais, il s’en servira pour acheter des armes. Là-bas, des groupes rebelles prennent des populations en otage et les affament, puis font appel à l’aide internationale, récupèrent l’aide matérielle et la revendent pour de l’argent. L’ONU le sait, mais ils donnent quand même en se disant que l’aide qui arrive aux populations, c’est toujours ça de pris. Les ONG fonctionnent aussi sur ce principe. Plus elles sont petites, moins elles ont la capacité de s’adresser aux dons privés, plus elles dépendent de l’aide des États.