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Contribution

Les réactionsdu juriste ! A propos la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2019

Le Sénégal est un pays où la justice constitutionnelle ne gagne en popularité qu’en période électorale où elle est accusée de statuer à la périphérie de l’Etat.

La haute juridiction est présentée comme un « monstre froid ». Certains discutent de sa « dissolution », de sa « refonte » ou de sa « disparition » pure et simple. D’autres qualifient le Conseil d’instance « d’approbation de la volonté gouvernementale ». Ces critiques ne sauraient avoir de fondement scientifique et servir de raisonnement juridique. Les décisions récentes du Conseil constitutionnel à propos de la recevabilité des candidatures à l’élection présidentielle du 24 février 2019 ont suscité beaucoup de réactions primesautières de la part de juristes censés faire partie du « public cultivé » comprenant le raisonnement du juge constitutionnel. Ce qui soulève la question du rôle du juriste face à une décision de justice voire même la légitimité du discours juridique dans la cité. Le juriste doit-il fustiger la finalité de la décision de justice ou le style deraisonnement ayant permis d’aboutir au ratio decidendi ?

Il est clair qu’il faut distinguer, dans un centre d’intérêt les convictions politiques et la rigueur scientifique.

La production jurisprudentielle du juge constitutionnel sénégalais autour des candidatures à l’élection présidentielle mérite une lecture critique basée sur un certain nombre d’impératifs scientifiques.

D’abord, l’ordre du discours juridique porte la marque d’un raisonnement objectif. L’objectivité est « la représentation exacte de la réalité matérielle ou juridique » ou « une aptitude à rendre fidèlement compte dans le discernement et la probité, sans préjugé, partialité, ni arbitraire ». La décision n° 3-E-2019 du 20 janvier2019 du Conseil constitutionnel sénégalais nécessite une analyse juridique quand bien même le raisonnement du juge soulève la problématique de son pouvoir normatif au-delà sa légitimité voire son autorité. Le juge constitutionnel, en publiant la liste des candidats retenus à l’élection présidentielle, s’est vu accusé de « violateur du droit » par certains juristes. Ce qui semble relever d’une argumentation excessive et décourageante car comme cela a été rappelé par le Professeur Jean Pierre Queneudec le raisonnement du juriste doit suivre « un ordre implacable quelle que soit sa démarche, soit qu’il adopte un schéma déductif, soit qu’il emprunte une voie inductive. Manipulant les faits et les idées, il s’adonne à un va-et-vient intellectuel constant entre le fait particulier et la règle générale, entre le cas d’espèce et la norme, entre le concret et l’abstrait. Il en résulte que la rigueur qui le caractérise le fait souvent passer, aux yeux des autres, pour ennuyeux et dépourvu de fantaisie, ce qui ne devrait pas être ». (Cf. La formation des juristes à l’Université, in Mélanges Fréderic Sudre, 2018, p.629).

Ensuite, la démarche du juriste repose sur une approche pédagogique. Le pédagogue est « celui qui rend simple ce qui est d’apparence compliquée, qui rend accessible ce qui est complexe ». Lorsque le juge mobilise des matériaux juridiques (Constitutions, lois, arrêts…) pour rendre sa décision, il obéit à une certaine logique pédagogique selon qu’il soit passif ou audacieux. Par exemple, le Conseil constitutionnel du Sénégal a rappelé dans décision du 20 janvier 2019 qu’en raison du caractère suspensif du pourvoi en cassation « il était impossible d’exécuter l’arrêt de la Cour d’appel dans le délai du pourvoi, et en cas d’exercice du pourvoi […] seul l’anéantissement de la décision de rejet peut avoir pour effet d’empêcher l’exécution de la décision de la Cour d’appel ». Ce considérant souligne l’effort pédagogique du juge à clarifier les cas dans lesquels, la condamnation de la Cour d’appel est neutralisée.

Enfin, le juriste réputé universitaire enseigne le droit. Les prises de positions divergentes des juristes sur une même question juridique peuvent enrichir la doctrine si elles s’apparentent à une controverse juridique. La jurisprudence dégage un parfum d’ésotérisme nécessitant un éclaircissement de la part du juriste et non une accusation permanente du juge qui évolue dans un contexte particulier avec des contraintes juridiques. Les attaques des juristes contre la justice constitutionnelle menacent l’avenir du droit enseigné dans les facultés de droit. La réaction de certains juristes hypothèque la doctrine universitaire qui doit rétablir l’autorité scientifique et se prémunir contre « un des plus grands dangers qui guette le juriste : faire du droit tout en ayant des arrières pensées politiques ». La décision du Conseil constitutionnel concernant les candidatures à l’élection présidentielle apporte des éléments de discussions autour du régime juridique du pourvoi en cassation, du rabat d’arrêt, de la déchéance des droits civiques et politiques et de la perte de qualité d’électeur. La formation du juriste ne subit-elle pas une crise imputable aux universitaires si l’analyse du droit se confond avec l’analyse politique ou journalistique ?

 

Moustapha FALL

Chercheur en droit public    

Université de Nantes (France)

Contact : moustapha.fall1@etu.univ-nantes.fr

 

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