ACTUSEN
Contribution

Lettre à Ami Collé Dieng : Quand la fragilité d’une jeune femme symbolise la fragilité de notre démocratie

Une symphonie toujours brisée, une femme rarement comprise, un être humain ordinaire dans la peau d’une artiste talentueuse. Il y a trop de femmes qui souffrent dans l’anonymat ; trop de femmes seules dans ce tintamarre qu’est le showbiz implacablement hypocrite et féroce ; trop de femmes brisées par les innombrables secousses d’une société avide de succès artistique, mais trop peu encline à payer le prix de l’art. La voix d’une femme aussi talentueuse est injustement écrasée par une industrie musicale dont les intrigues et les manigances sont insupportables.

  Amie Collé est le symbole d’une société qui ne connaît pas la récompense du talent pur ; une société injuste et impitoyable envers ceux qui sont au bord du gouffre. Je ne dirai pas que vous avez craqué, car vos propos ne sont pas plus injurieux que ceux d’autres artistes dans un contexte similaire. Je dirai plutôt que vous avez été victime d’une surestimation de la démocratie sénégalaise : vous croyiez être dans un pays civilisé. Vous avez oublié que vous vivez dans un pays où la fumisterie fait vivre et où la véracité tue et avilit. Vous avez oublié que la démocratie est, comme disait Mendès France, est un état d’esprit.

   La démocratie n’est certes pas l’anarchie, mais elle n’est pas non plus un autoritarisme qui étouffe les libertés sans courir le risque d’une résistance parfois violente. Le danger d’une démocratie domestiquée, apprivoisée, est que quand les espaces de liberté sont sournoisement squattés ou tacitement fermés, la seule façon qu’ont désormais les citoyens de s’exprimer c’est la violence verbale ou physique. Au Sénégal il devient de plus en plus difficile d’exprimer une voix dissonante par rapport à la logique d’une opinion constamment fabriquée et contrôlée de façon minutieuse. Si les sentinelles de la démocratie ne reprennent pas leur noble liberté pour dénoncer et mettre en garde le régime, il y a de fortes chances que la violence devienne un rempart pour des citoyens désemparés er de désarmés.

  Oui Amie Collé, n’est pas démocrate qui veut : tout le monde n’a pas les ressorts psychologiques et moraux pour être un démocrate. Car le sang qui a abondamment coulé durant la campagne n’a jusque-là pas été puni et voilà que pour des gamineries excessives dans wathsApp, toute la république est mobilisée pour vous arrêter. Je ne saurais cautionner vos propos, mais je suis outré de voir les insulteurs d’hier s’ériger en donneurs de leçons aujourd’hui. J’ai la faiblesse d’espérer que votre arrestation n’est pas destinée à allumer un contre-feu pour distraire et détourner l’opinion.

 Oui Amie Collé, la violence et l’insolence avec lesquelles des autorités de la république ont mené campagne durant les législatives est un mauvais exemple qu’elles donnent à des jeunes comme vous. La scène politique sénégalaise actuelle est une émulation, une véritable propédeutique à l’indiscipline et à la violence. On ne peut pas avoir des autorités d’une vulgarité aussi ostensible et espérer cultiver une jeunesse de qualité.

  Vous êtes peut-être allée trop loin dans votre critique contre Macky Sall, mais ce délit est en dernière instance imputable à la fragilité actuelle de notre démocratie. Dans une démocratie où le contre-pouvoir s’est affaissé à cause d’un système  de corruption industrielle, la voix du peuple n’est plus audible. Et lorsque la parole des citoyens est longuement ignorée et étouffée, elle trouve dans le délire et la violence une forme d’expression. N’ayez pas peur, car chaque fois que vous respirerez l’air de la prison, vous aiderez à faire vaciller les barrières de la tyrannie. Il faut avoir des ailes quand on aime les abîmes a dit Nietzsche : vous avez choisi le camp du refus avec vos armes et cela a un coût.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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