Monsieur le Président,
C’est avec un cœur meurtri que je vous adresse cette lettre ! Les grèves répétitives dans le secteur de l’éducation et de la formation m’obligent à prendre ma plume pour assumer mon intellectualité. En fait, l’intellectualité ne va jamais sans engagement politique et moral d’autant plus que l’engagement tel que défini dans le petit Robert : « c’est l’acte ou l’attitude de l’intellectuel ou de l’artiste qui, prenant conscience de sa société ou du monde de son temps, renonce à une position de simple spectateur et met sa pensée et son art au service d’une cause ». Et lorsque cette lettre vous parviendra, j’aurai le sentiment d’avoir accompli par loyauté à la République, un devoir des plus nobles de ma citoyenneté. Parlant de loyauté justement, il m’a été donné de constater que la République court à sa perte et que sa ruine est en train d’être ensemencée par ceux qui devraient la bâtir. Je n’ignore pas tant soit peu, que de nombreux compatriotes n’ont pu vivre heureux qu’en voyant la République poignardée gisant dans le sang de ses bourreaux. Or, comme le disait un grand penseur, « le mal ne triomphe que par l’inaction des hommes de bien ».
Monsieur le Président,
Chaque génération a une mission, soit elle l’accomplit ou la trahit. Et ne voulant pas être complice devant Dieu et devant les hommes, j’ai décidé de prendre ma plume pour dire mes maux avec mes mots puisque je n’ai que mes mots. Je refuse d’être un complice parce que tout simplement comme le soulignait Molière : « se taire c’est être coupable; mais celui qui sait et qui se tait est un criminel ». L’affaire Dreyfus » était-elle l’affaire de Zola ? Non ! Pourtant, il s’en est intéressé quand il dit : « Puisqu’on a osé, j’oserai aussi, moi ? La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne faisait pas pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice ».
Césaire était-il obligé lui aussi de porter la voix des impuissants ? Non ! Pourtant, malgré cela, il dit : « Ma bouche sera la bouche des malheureux qui n’ont point de bouches. Ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».
Mes propos traduisent ma volonté d’agir pour le salut, espéré ou hypothétique, de la République.
Monsieur le Président,
L’éducation est un bien public dans lequel il faut savoir perdre pour en gagner plus, c’est un investissement bien sûr mais gagnant au sens de capital humain comme ensemble de connaissances pratiques pouvant augmenter la production de l’individu, et par là accroitre sa rémunération ou son salaire. Vous allez certainement me dire que vous avez beaucoup fait dans ce secteur, que vous avez beaucoup fait pour les enseignants en instituant le prix de l’enseignant avec le décret 2017-601, mais heureusement Abraham Lincoln est là pour m’appuyer en ces termes : « si vous croyez que l’éducation coûte cher, préférez l’ignorance ». C’est justement pour dire Monsieur le Président que l’école est une institution, une forme d’organisation pour reprendre les Guy Vincent, Yves Reyter et autres, une organisation matérielle comme toutes les autres institutions du pays. Institution au sens noble du terme, et, partant elle s’inscrit dans la durée. Sa visée est d’instruire et d’éduquer. Ce qui fait qu’elle diffère des autres de par ses trois dimensions à savoir : la relation au temps, la relation à l’espace et la relation entre les acteurs qui sont des relations institutionnalisées dans un contrat didactique fixé par les normes. On comprend aisément que cette forme d’organisation est en rupture avec la transmission familiale. C’est ce qui explique pourquoi, l’école est gourmande en investissements concrets en temps, en argent, en personnel et en ressources diverses qui sont objectivables. Les investissements sont consentis à l’échelle personnelle, familiale et publique. Comme institution, elle est le support de beaucoup d’attentes, de projections, de normes qui se situent quant à elles dans un autre registre, le registre culturel et symbolique.
Monsieur le Président,
Etant élève en classe de terminale au lycée Alboury NDIAYE de Linguère en 2005, nous voyions nos professeurs aller en grève et sans comprendre ou connaitre le motif, nous nourrissions une grande envie d’embrasser le métier d’enseignant et nous avons le regret de constater qu’après treize années , ce sont toujours les mêmes problèmes qui reviennent. Envoyez une mission dans les écoles, les élèves ne veulent plus être des enseignants. Justement l’enseignant qui était pris comme modèle, adulé et respecté des parents et des élèves, a vu son image se ternir au fil des années. Mariama BA, exemplaire dans la profession, n’a pas manqué de rendre hommage à ce corps : « Les enseignants- ceux du cours maternel autant que ceux des universités forment une armée noble aux exploits quotidiens, jamais chantés, jamais décorés. Armée toujours en marche, toujours vigilante. Armée sans tambour, sans uniforme rutilant. Cette armée-là déjouant pièges et embuches, plante partout le drapeau du savoir et de la vertu ». Malheureusement, l’éducation n’est pas une priorité me semble-t-il. Et les droits des enseignants les plus élémentaires sont bafoués voire torpillés. Faites un tour au ministère de l’éducation, au ministère de la fonction publique ou au ministère des finances. Des files indiennes interminables et pénibles pour obtenir un papier. C’est parce que tout simplement, à force de côtoyer l’anormal, nous en avons fini par en faire le normal. Vous en êtes conscient. Est-il normal… ??? Les enseignants sont fatigués, ils ont des problèmes de projets, d’actes d’intégration et de validation ou de rappel. A cela s’ajoute l’ absence de formation et à ce niveau la mise en position de stage est en train d’être supprimée pour ne pas dire reléguée au second plan ce qui est une violation de la loi 61-33 du 15 juin 1961 dans laquelle la formation est un droit, il n’y a pas eu de mise en position de stage niveau CAEM et CAES pour l’année 2017 pour les disciplines Français, Anglais, Histoire et Géographie pour ne citer que cela. Il faut investir des sommes importantes pour former les enseignants, les retenir dans la profession et leur offrir des possibilités de développement professionnel…
Malgré tous ces problèmes, nous y sommes et nous y restons dans ce métier qui constitue un véritable sacerdoce parce que nous y croyons. « Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat », dira Mariama Ba. Elle renchérit : « Chaque métier […] mérite considération […], le nôtre, comme celui du médecin, n’admet pas l’erreur ». Le menuisier peut revenir sur son ouvrage s’il se trompe mais l’enseignant s’il se trompe, il porte atteinte à toute une société, car tout ce qu’il fera, impactera sur le comportement de l’enfant.
Monsieur le Président,
Les enseignants que nous sommes, ne demandent pas trop. Ils veulent juste être respectés et cela passe forcément par la revalorisation de la fonction enseignante, le respect des engagements et pour dire vrai Monsieur le Président, en syndicalisme, les acquis ne se perdent pas et justement quand vous signez des accords réalistes et réalisables, vous créez des attentes. C’est dommage que vos conseillers en éducation et formation soient plus préoccupés par les bonbons qu’on distribue au palais que par les problèmes qui assaillent le système éducatif sénégalais. Cependant, je garde un espoir…
Monsieur le Président,
J’appelle donc votre compréhension afin de prendre vos responsabilités politiques et sociétales pour sauver la nation, car sauver l’école c’est sauver la communauté. L’avenir d’une nation dépend des décisions courageuses de son Président de la république. Vous êtes attendu et la décision que vous prendrez ou même si vous décidez de ne rien faire, de fermer les yeux, tout cela est scruté. Sachez seulement que l’audace réussit aux hommes honnêtes et que nul ne saurait être fier de ses turpitudes. Ainsi l’histoire retiendra de vous l’image de l’honnête homme qui a voulu servir dignement son pays et son peuple en agissant dans la vérité et par honneur. Le devoir de chacun le justifiera. Je termine avec cette belle phrase d’Euripide: « Le temps dira tout à la postérité. C’est un bavard ; il parle quand on ne l’interroge pas ».
Professeur Bouna NDAO (Bourjolof)
Diplômé en Administration Scolaire
Master 2 Sciences de l’éducation (Scédu), éducation, formation et intervention (EFI)
Doctorant en Lettres Modernes, Littérature Comparée
Chercheur en Education, 3e cycle en Gestion des systèmes éducatifs, université Senghor d’Alexandrie, Egypte.
Courriels : bourniany2@yahoo.fr
ndao.bouna@ugb.edu.sn