ACTUSEN
Contribution

L’Inclusion dans le monde médiatique : Quelle posture pour l’Ecole sénégalaise

L’environnement social au Sénégal a connu un bouleversement inédit avec la prolifération des médias de tous genres avec internet, propulseur et propagateur. La galerie d’incivisme est bien garnie : insultes, ragots, dénonciation, voyeurisme, exhibitionnisme, pornographie, etc. La liste est poussive. Sans nul doute, la circulation de l’information manipulatrice et incitatrice impacte le vécu quotidien de milliers de personnes.

Les adultes, dans une certaine mesure, peuvent appréhender ces faits avec discernement, avec tempérance, par contre les enfants et les adolescents peuvent être négativement contaminés et le mal risque d’être trop profond, parce que psychologiquement affectés. Pour contrecarrer ce danger rampant qui les guette il faut une réponse stratégique d’ordre pédagogique.

Et comme l’éducation à l’environnement, à l’hygiène, à la santé, … il faut intégrer l’éducation aux médias, à l’information et aux numériques dans le système éducatif, du préscolaire à l’université et au-delà toucher les parents pour une prise en charge continue à la maison.

L’UNESCO, en 1979, a décrit le concept d’éducation aux médias comme ‘’Toutes les manières d’étudier, d’apprendre et d’enseigner à tous les niveaux (…) et en toutes circonstances l’histoire, la création, l’utilisation et l’évaluation des médias en tant qu’arts pratiques et techniques, ainsi que la place qu’occupent les médias dans la société, leur impact social, les implications de la communication médiatisée, la participation, la modification du mode de perception qu’ils engendrent, le rôle du travail créateur et l’accès aux médias’’.

En d’autres termes, l’éducation aux médias permet de former l’esprit critique de l’élève, de l’amener à s’interroger, à faire des choix, à construire une cohérence, à mettre en question la validité et le fonctionnement de tout message venant des médias. Car les médias, surtout la télé, avec la magie de l’image, façonne l’enfant qui subit un diktat implicitement occasionné par la manière de fabriquer les émissions.

« Si le rapport au réel est médiatisé, le vécu télévisuel engendre une contagion émotionnelle immédiate. C’est ainsi qu’on peut parler de la puissance d’action de la télévision sur les émotions. Elle rend possibles les mimétismes ou initiatives inconscientes et les imitations conscientes induites par sa puissance suggestive. Tout ce qui est montré est imprégné d’émotions et rend crédibles les informations mises en scène ou tout autre événement dont la présentation semble objective et neutre», indique LILLIANE LURÇAT.

Ainsi de la bande dessinée à la présentation du journal télévisé en passant par les films, clips, jeux, publicités, documentaires, toutes ces émissions ont un caractère injonctif qui maintient l’enfant très souvent dans un carcan de consommateur passif.

L’école et la famille ont la responsabilité de participer à l’amélioration des conditions de vie des jeunes en mettant à leur disposition d’outils fondamentaux qui pourront leur permettre de faire face aux enjeux de tous les temps : apprendre à s’adapter aux différents progrès dans tous les domaines. Selon le spécialiste en éducation aux médias JACQUES PIETTE, « les médias pèsent très lourd, tant sur le processus de socialisation du jeune que sur la manière dont celui-ci perçoit, pense et interagit avec son environnement ».

L’école sénégalaise pourra alors apporter un début de réponse à cette problématique d’autant plus qu’un de ses objectifs est de permettre à l’enfant, à l’adolescent d’organiser sa pensée, à la structurer à partir des questions qu’ils se posent. Et la Loi n° 91-22 du 30 janvier 1991 d’orientation de l’Éducation nationale est d’ailleurs en phase avec ces préoccupations singulières.

Au titre I, relatif aux dispositions générales, l’article 1er dispose : l’éducation nationale, tend premièrement à préparer les conditions d’un développement intégral, assumé par la nation toute entière, deuxièmement à promouvoir les relations dans lesquelles la nation se reconnaît et troisièmement  à élever le milieu culturel de la population. Ceci suppose une prise en charge de l’intentionnalité éducative du jeune sénégalais avec un projet structurant et englobant qui aura un socle principal et des ramifications qui convergeront vers une seule finalité : la « disciplinité » du jeune sénégalais.

Pour cela il faut oser explorer la pédagogie alternative qui s’appuie sur ce que l’enfant fait chaque jour. Aujourd’hui, un fait est indéniable : les médias sont omniprésents et occupent sans conteste une large part dans les activités quotidiennes de l’enfant. Avec juste un smartphone, il peut consulter toutes les informations qui circulent dans le net et peut même fabriquer et diffuser ses propres informations.

Dès lors, l’école ne peut plus occulter ce phénomène qui a un caractère irréversible dans sa montée en puissance. Car, comme l’apprend LOUIS PORCHER, éduquer, consiste toujours à frayer un passage entre un apprenant et un objet d’apprentissage, à faire en sorte que le premier truste le second.

Le Sénégal n’a pas encore formellement intégré l’éducation aux médias dans les entrailles du système éducatif, mais l’UNESCO a compris les enjeux que constitue cette approche pédagogique novatrice et a convoqué, en janvier 1982, un symposium international à Grünwald, en République fédérale d’Allemagne. A l’époque éducateurs, communicateurs et chercheurs ont fait ce constat : Il ne faut pas sous–estimer ni le rôle de la communication et des médias dans le processus de développement ni la fonction instrumentale qu’exercent les médias pour favoriser la participation active des citoyens dans la société.

Les systèmes politiques et éducatifs doivent assumer les obligations qui leur reviennent pour promouvoir chez les citoyens une compréhension critique des phénomènes de communication. Malheureusement, la plupart des systèmes formels et non formels d’éducation ne se mobilisent que faiblement pour développer l’éducation aux médias ou l’éducation à la communication.

Dans nos écoles, les médias ne sont qu’adjuvants dans les enseignements apprentissages. Ils sont utilisés occasionnellement et à buts simplement illustratifs. Il faut dès lors passer de cet usage récréatif des médias à un usage sérieux et reconstructif du savoir de l’enfant, en lui permettant d’acquérir des habilités critiques et des capacités d’agir en citoyen autonome face à un monde de plus en plus complexe. Faire de l’éducation aux médias, c’est bâtir des compétences qui occasionnent le développement de la pensée critique de l’enfant.

C’est, également selon PIETTE, prendre le temps de s’arrêter sur les productions médiatiques elles-mêmes, sur la manière dont elles sont construites, diffusées et consommées pour comprendre ce qu’elles nous disent. C’est aussi s’interroger sur les modalités de réception des messages des différents médias et chercher à comprendre la nature de leurs impacts et de leurs effets en identifiant les idées, les valeurs et les points de vue que ces messages véhiculent et en se prononçant sur eux.

Convier donc l’élève à une démarche d’éducation aux médias, c’est l’amener à s’interroger sur la nature des relations qu’il établit lui-même avec les médias. En définitive il faut aider le jeune sénégalais à passer d’un mode de réception fusionnel et global, à un mode distancé et analytique des médias.

Cette situation lui permettra non seulement de se démarquer du caractère nocif des informations reçues mais également de bénéficier des atouts des médias. En réalité ils constituent des remparts sûrs pour la fixation des faits historiques, des changements climatiques, des développements démographiques, etc. dans l’instantanée comme dans la durée.

« Apprendre, c’est comprendre, c’est-à-dire prendre avec moi des parcelles de ce monde extérieur, les intégrer à mon univers et construire ainsi des systèmes de représentation de plus en plus performants, c’est-à-dire qui m’offrent de plus en plus de possibilités d’action sur ce monde. A me réfugier sans cesse en moi-même je n’y trouverai même pas les moyens de me comprendre, car je suis du monde autant que de moi-même et je ne peux résoudre mes problèmes que si je me comprends dans le monde », enseigne PHILIPPE MEIRIEU.

Autrement dit, chaque individu est tenu de se reconsidérer dans un positionnement qui tient compte de l’extériorité dans toutes ses manifestations. Aujourd’hui, les médias constituent eux-mêmes des objets mais aussi des sources d’apprentissage qui s’imposent au gré du développement de la technologie. Parce que « d’abord, l’audiovisuel passionne les jeunes. Ensuite, l’apprentissage par essais et erreurs semble leur être naturel et ne pas exiger plus de temps que l’apprentissage traditionnel. Enfin, les jeunes créent spontanément des groupes d’échanges d’informations dans le but d’accélérer et d’enrichir leur apprentissage », révèle MARIE-CLAUDE COPPEX-MUDRY.

En définitive, si la centralité de l’élève est toujours de rigueur, il faut donc cerner ses centres d’intérêt afin de lui administrer les outils pédagogiques adaptés. Et c’est un truisme de le dire : les jeunes s’intéressent de plus en plus aux médias. L’école doit être en mesure de s’en saisir comme atout pour permettre à ses pensionnaires d’en avoir une bonne utilisation. Car « sauf, à faillir à sa fonction essentielle, l’Ecole ne peut se désintéresser de la force qui fait cheminer les messages vers l’enfant et des motivations qui amènent celui-ci à l’accueillir », indique GUILLAUMIN. Ainsi l’école pourra aider les enfants à faire ce tri, leur apprendre à différencier ce qui est de l’ordre de l’information transmise (le perçu), de l’imaginaire (le représenté) et leur expérience personnelle (le vécu).

Elle pourra leur montrer comment appuyer la saisie d’informations nouvelles sur leur savoir déjà constitué, l’expérience ou les connaissances acquises. En réalité, l’école ne doit point permettre la réalisation d’un décrochage entre elle et la société. Au contraire le rythme de la société doit être soutenu et recadré davantage par ce qui se fait à l’école.

L’enjeu est la reprise en main de l’homme qui est laissé à la merci de la technologie, et lorsqu’on veut construire une nouvelle citoyenneté, inévitablement il faut construire  l’esprit critique des citoyens envers les médias aussi bien dans les contenus, les approches et les impacts. Cependant pour arriver à l’atteinte de cet objectif, il nous faut un autre maître, un autre professeur et au sens large un autre parent.

Dès lors le système éducatif doit aller vers déconcentration achevée en appliquant la logique d’académie jusqu’au bout avec plus de moyens et de responsabilités des autorités académiques. Ainsi les Centres régionaux de formation des personnels de l’éducation (CRFPE) auront comme objectif de mettre à la disposition du système éducatif des enseignants qui arriveront à réajuster le corps social parce qu’ayant reçu toute la formation nécessaire. Le curseur ne va plus se retrouver sur des projets ou programmes élaborés, encapsulés et incubés simplement par endroits avec une durée de vie limitée par des bailleurs, mais sur des programmes cohérents du préscolaire au secondaire.

En France, pour dérouler l’éducation aux médias, il a été mis en place le Centre de liaison en éducation aux médias et à l’information (CLEMI), en Belgique, le Centre de ressources en éducation aux médias (CREM) ; mêmes procédures pour beaucoup d’autres pays d’Europe et d’Amérique.

Toutes ces structures sont au centre d’un dispositif opérationnel interconnecté entre les ministères en charge de l’éducation, les facultés en science de l’éducation, les centres de formation des enseignants et les établissements scolaires. Le besoin en apport éducationnel est d’abord décliné par les familles, avant d’être soutenu par une volonté politique très forte.

Au Sénégal, avec le système éducatif qu’on a, lorsqu’on veut rendre l’élève apte à être un lecteur, un auditeur, un spectateur, un internaute, un auteur actif, citoyen, critique et responsable et capable de s’approprier un maximum d’informations à partir de n’importe quel type de document médiatique, inévitablement il faut mettre en place une structure très souple et opérationnelle. Point n’est besoin alors d’en créer, il faut redynamiser et réorienter le Centre national de ressources éducationnelles (CNRE) ainsi que les centres régionaux.

Alors du personnel composé de pédagogues, d’andragogues, d’enseignants et de professionnels des médias et de la communication lui sera affecté. A eux alors d’aller vers la base et selon la spécificité des chaque académie, faire une enquête approfondie avant de produire un référentiel de compétences et tous les supports didactiques et pédagogiques y afférents.

Une ambition éducative est souvent une pilule amère à faire avaler dans le système éducatif parce que l’éducation aux médias va être une innovation, cependant le niveau de déclinaison de l’échelle des valeurs mérite qu’on tente le pari.  Car, pour reprendre les propos de MEIREU : innover, c’est inventer des modèles et des outils pour résoudre des problèmes qui émergent dans une ambition éducative.

Momar Talla BEYE

Inspecteur de l’Enseignement Elémentaire

Jounaliste, Diplomé en sciences de l’information et de la communication

776564736/705821154

beyetalla@gmail.com

Leave a Comment